UNE PETITE HISTOIRE DE LA CHANSON EN FRANÇAIS (9)

 

LES ANNÉES FOLLES

“Mes salutations bien Mistinguett”, Marcel Duchamp

 


  L’armistice du 11 novembre 1918, que signent les plénipotentiaires alliés et allemand, n’est pas seulement la fin d’une interminable hécatombe, c’est en fait tout un monde qui s’achève car la guerre a entraîné la perte des équilibres internationaux et la ruine du système économique européen.

  La saignée a été terrible : sur dix hommes en âge de combattre en 1914, deux sont morts et quatre sont revenus invalides du front. Dans cette France à bout de forces, la jeunesse triomphe et se voit investie de la mission de reconstruire le pays. Cette jeunesse n’y apporte pas que son sang neuf, la guerre lui a appris à refuser tous les tabous de la Belle Époque et à rechercher tout d’abord son propre plaisir.

  Cet élan d’allégresse ne s’épuise pas dans des fêtes brillantes. Il se transforme ailleurs en une volonté d’émancipation et de changement social, nourrie par le grand espoir que représente la Révolution russe. Malgré une expansion économique vite retrouvée, les luttes sociales atteignent une grande ampleur et tournent à la violence. La CGT, qui avait 900 000 membres en 1913, en compte 2 400 000 en 1920.

  À cette révolte ouvrière vient s’ajouter la revendication féminine. Libérées du corset, les femmes raccourcissent leurs jupes, coupent leurs cheveux au ras de la nuque. Cette métamorphose n’est pas une simple mode passagère, c’est le signe d’une évolution profonde de la condition féminine.

https://www.youtube.com/watch?v=CBlF5Gi3jaM

 

L’autre jour ma femme me dit

Vois-tu mon chéri

Pour te plaire j’ai fait quelque chose de bien gentil

J’ai fait ce que font toutes les femmes

En c’moment

Elle enleva gentiment son chapeau

Et stupéfait

Je m’aperçus tout aussitôt

Qu’elle s’était fait couper les ch’veux

Comme une petite fille, gentille.

Elle s’était fait couper les ch’veux

En s’disant: “Ça m’ira beaucoup mieux”

Car les femmes tout comme les messieurs,

Pour suivre la mode, commode,

Elles se font toutes, elles se font toutes,

Elles se font toutes couper les ch’veux

Elle s’était fait couper les cheveux, Telly-Mercier (1924)

  S’il y a une euphorie des Années folles, elle est soutenue par la confiance de l’époque dans les pouvoirs libérateurs de la machine.

  Fait nouveau : l’apparition et la diffusion massive, à partir de 1920, des techniques de reproduction et de communication, radio sans fil, cinéma, phonographe...

  Le nombre d’appareils et d’engins de toute sorte mis à la disposition du public entre 1920 et 1930 lui donne l’impression d’entrer dans une nouvelle ère où la technique serait reine.

  Avec la photo et le cinéma, les phonos et les disques contribuent à mettre en place une nouvelle culture de consommation. Grâce à l’invention du haut-parleur, les gramophones n’ont plus besoins des énormes cornets d’avant- guerre. Ils sont même déjà intégrés dans des meubles élégants. Les fabricants de disques se multiplient. Les marques plus célèbres sont Columbia et Odéon.

  La radio, appelée à l’époque la T.S.F. (téléphonie sans fil), fait son apparition. En 1922, Émile Girardeau crée la première radio libre, Radiola. Le succès est tel qu’en 1924 elle devient Radio-Paris. D’autres radios suivront, Radio-Tour-Eiffel, le Poste Parisien et la station de l’École Supérieure des Postes et Télégraphes, qui transmet le Tour de France.

 

  Le music-hall, apparu à Paris au XIXe siècle avec la Gaîté (1868), les Folies-Bergère (1869) et le Casino de Paris (1890), est à son apogée.

  Après avoir présenté des numéros empruntés au cirque et au théâtre, les music-halls des “Années folles” développent des revues à grand spectacle où la chanson prend de plus en plus de place.

 

  La grande vedette du music-hall est Mistinguett (Jeanne Bourgeois – 1873-1956) dont le succès date de 1909.

  En 1912, la valse renversante dansée avec Maurice Chevalier aux Folies-Bergère la consacre. Après une halte due à la guerre elle fait sa rentrée en 1917 avec Chevalier encore. Ils deviennent “le couple” du music-hall, mais les exigences de Chevalier, qui aspire à être une vedette à part entière, entraînent leur séparation. De 1919 à 1923 elle crée successivement les revues Paris qui danse, Paris qui jazz, Paris en l’air...  Elle part ensuite en tournée en Amérique. De retour au Casino de Paris, elle salue le public d’un “Bonjour, Paris !”, “Bonjour, la Miss !”, lui répond celui-ci.

  Ça c’est Paris ! (1926) est le sommet de sa carrière. Sa longue carrière, car en 1948, à 65 ans, elle jouait encore les petites marchandes de fleurs à l’ABC.

Ses succès, des rengaines issues de ses revues, Mon homme (1920), J’en ai marre (1921), C’est vrai (1935), pris hors de contexte perdent beaucoup de leur pouvoir de suggestion.

https://www.youtube.com/watch?v=BFvYjlgqh4Q

Sur cette terre ma seule joie

Mon seul bonheur

C’est mon homme

J’ai donné tout c’que j’ai,

Mon amour et tout mon coeur,

À mon homme.

Et même la nuit,

Quand je rêve c’est de lui

De mon homme.

Ce n’est pas qu’il est beau,

Qu’il est riche ni costaud,

Mais je l’aime.

C’est idiot,

Il me fout des coups,

Il m’prend mes sous,

Je suis à bout mais malgré tout

Que voulez-vous…

 Mon homme,  Charles-Willemetz-Yvain (1920)

On dit que j’ai la voix qui traîne/En chantant mes rengaines/C’est vrai/Lorsque ça monte trop haut, moi je m’arrête/Et d’ailleurs on n’est pas/Ici à l’Opéra, chantait-elle. Elle était avant tout une reine du music-hall, une meneuse de revue. Elle avait le sens du public, le don de le mettre en joie avec ses reparties. Elle symbolise toute une époque du music-hall et de la chanson.

https://www.youtube.com/watch?v=LdcASSiZO1w

Mistinguett, propriété nationale. Colette

Mistinguett n’était ni parfaitement belle, ni très bonne chanteuse, ni très bonne danseuse, mais sa présence en scène, son charme, son abattage étaient prodigieux. Paul Derval

Maurice Chevalier (1888-1971) naît à Ménilmontant, quartier populaire de Paris, d’une famille modeste. À onze ans, il s’essaye à une carrière d’acrobate de cirque, mais il préfère le caf’conc’ du quartier où il débute à douze ans. Il imite alors les grands de l’époque, Dranem, Boucot, Dorville...

  De Belleville, il descends vers les Boulevards et s’achemine petit à petit vers le succès, l’Alcazar de Marseille, en 1907; les Folies-Bergère en vedette en 1908, puis en 1912, pour la première fois avec Mistinguett avec laquelle il interprète la “valse renversante”. De l’armistice à son départ pour Hollywood, il connaît une ascension triomphale. En 1924, il adopte le smoking et le canotier. Il est parfaitement en harmonie avec l’air du temps et incarne la vitalité joyeuse et trépidante des “Années folles”.

Vedette internationale, il part tourner à Hollywood de 1928 à 1935. Il devient l’ambassadeur de la gaieté et du charme français qui imite parfaitement l’accent parisien dans la langue du pays d’adoption.

https://www.youtube.com/watch?v=fyBffCiGr8c

  De retour à Paris, il est au sommet de sa gloire, Prosper, Quand un vicomte (1935), Ma pomme (1936), Y’a d’la joie (1937), Ça fait d’excellents Français (1939).

https://www.youtube.com/watch?v=UjCODmD88Ic

 

  Pendant l’Occupation, il penche du côté de Vichy: il chante régulièrement au Casino de Paris devant un parterre d’officiers allemands, il se produit en Allemagne au profit des prisonniers de guerre. Ceci et l’utilisation qu’en firent les nazis faillirent lui coûter la vie à la Libération.

  Mais suivant toujours l’air du temps, il interprète en 1944 un des succès de la Libération, Fleur de Paris. Il quitte alors la revue pour le “one man show”.

https://www.youtube.com/watch?v=GpL0cgvNdRw

  Jusqu’à ses adieux en 1968 aux Champs-Elysées, il chantera, dans le monde entier, devant des salles combles.

  Aucun autre artiste n’a connu comme Chevalier une telle popularité, sa démarche chaloupée, son sourire racoleur et son accent parisien resteront dans toutes les mémoires.

« On me garda près de trois mois au Concert de l’Univers. Pendant ces douze semaines, je faisais mes voyages en métro, de Ménilmontant à la  place des Ternes. Il me fallut apprendre six chansons nouvelles par semaine pour renouveler mon répertoire et ne pas lasser le public de l’établissement. Ce public grâce auquel j’étais réengagé chaque vendredi (...) Comme je l’ai déjà dit, ma principale originalité pour eux tenait dans ma juvénilité et dans les excessives gaudrioles que j’osais leur servir. (...)

Une camaraderie de gens du peuple nous mit tout de suite en harmonie. Elle, la grande Mistinguett, dès l’abord, s’était mise à mon niveau. Je n’éprouvais avec elle aucune gêne (...)

J’ai accepté de faire six jours à Bordeaux, car je veux absolument risquer le coup du tour de chant élégant (...) Je vais chanter en jaquette marron, pantalon à petits carreaux beige. Guêtres claires, gants de même. Huit reflets et canne. (...) Je viens de faire au Music-Hall français un saut dans l’inédit. Je viens de marier l’élégance et le rire, le charme et le grotesque(...)

Les Américains me déclarent universellement la vedette masculine la plus populaire du monde entier ? Paramount déchire encore une fois mon contrat. Je toucherai à l’avenir un salaire égal à celui des plus grandes vedettes de Hollywood (...) Ça gaze, ça boume ! Je suis comme dans un tourbillon de chance. » 

Ma route et mes chansons – Maurice Chevalier. Julliard – 1950

 

 Prenant ses racines dans la tradition, la chanson réaliste, héritière de Bruant, est encore en vogue dans les années 20.

  Marie-Louise Damien (1892-1978), Damia, s’échappe à 15 ans de la maison paternelle. Elle gagne sa vie comme figurante au Châtelet. À 19 ans, elle est déjà vedette à l’Alhambra.

  Après la guerre de 14, elle part en tournée avec la Loïe Fuller qui lui apprendra la science de la lumière et des projecteurs. Damia sera la première à les introduire dans le tour de chant. Elle modifie aussi sa tenue de scène, un fourreau noir très stylisé lui suffit.

  Celle qu’on appellera “la tragédienne de la chanson” avait un répertoire varié allant du mélodrame (La suppliante, La malédiction) au poème mis en musique (Le ciel est par-dessus le toit de Paul Verlaine et Reynaldo Hahn) en passant par la rengaine des faubourgs (La guinguette a fermé ses volets).

   Répertoire choisi surtout en fonction de ses possibilités scéniques, car chez Damia l’interprétation devient une œuvre en soi. Qu’elle chante un mélodrame ou une rengaine, elle le fait “à la Damia”, ce qui est, comme l’écrit P.Bost “peut-être le meilleur exemple du déplacement de l’intérêt de la chanson vers l’interprète”.

https://www.youtube.com/watch?v=_1ODAjoJiIE

Les marins qui meurent en mer

Et que l’on jette au gouffre amer

Comme une pierre

Avec les chrétiens refroidis

Ne s’en vont pas au Paradis

Ils roulent d’écueil en écueil

Dans l’épouvantable cercueil

Du sac de toile

Mais fidèle après le trépas

Leur âme ne s’envole pas

Dans une étoile

 

 Désormais vouée aux sanglots

Par ce nouveau crime des flots

Qui tant la navre

Entre la foudre et l’Océan

Elle appelle dans le néant

Le cher cadavre

Trouver Saint Pierre

Et nul n’a pitié de son sort

Que la mouette au large essor

Qui, d’un coup d’aile,

Contre son coeur tout frémissant

Attire et recueille en passant

L’âme Les Goélands fidèle du défunt.

Les goëlans, Lucien Boyer

Fréhel (Marguerite Boulc’h, 1891-1951) peut être toutefois considérée l’archétype de la chanteuse réaliste, à tel point que sa vie semble tirée d’un roman noir.

  À cinq ans, elle chantait déjà dans les rues de sa ville natale, en Bretagne.à quinze ans, la Belle Otero la remarque et l’envoie chez un éditeur musical qui la fait débuter avec la chanson La Petite Pervenche, son premier nom d’artiste.

  Elle deviendra plus tard Fréhel, du nom d’un cap breton. Une chanson, Sur les bords de la Rivièra, la rend célèbre. Jean Lorrain, Maurice Donnay, Xanrof écrivent pour elle, mais un chagrin d’amour, apparemment avec Chevalier, la précipite dans l’alcool et la drogue. Elle passe onze ans hors de France, dont cinq à Istamboul.

  Elle revient à Paris en 1923, méconnaissable, réusit à reconquérir son public mais finit sa vie misérablement dans un hôtel de la rue Pigalle.

  Elle chantait naturellement et mettait sa voix rauque au service des plus humbles qu’elle faisait danser dans les bals populaires.

https://www.youtube.com/watch?v=J9FlGjcWIfQ

“Chez Fisher” (...) La Reine du lieu, ainsi d’ailleurs que de toutes les boîtes

de nuit où elle acceptait de paraître, était indéniablement Fréhel.

Jeune femme peu facile à décrire car elle était faite de contrastes allant de la pureté du cristal à la vulgarité la plus ordurière. Elle devait avoir dans les vingt ans. Beaucoup plus que belle. (...) La voix de Fréhel était rauque, chaude, comme venant du ventre. Elle subissait constamment des alternatives que probablement la vie nocturne qu’elle aimait devait aider à se produire. Cela allait de l’aphonie, où se soupçonnait une maladie de poitrine, à d’autres moments où sa voix éclaircie, se cuivrait de manière émouvante.

Ma route et mes chansons – Maurice Chevalier, Julliard – 1950

  Yvonne George (1896-1930) peut être considérée comme l’une des grandes chanteuses de l’époque. Malheureusement, la tuberculose mettra fin à sa vie en 1930. Chanteuse, mime, comédienne e tragédienne en même temps, elle chante des chansons de marins (Nous irons à Valparaiso), des chansons anciennes (Le Roy Renaud), réalistes (La femme du bossu) ...

« Tous ceux que sa voix a bouleversés se souviendront toujours de l’avoir vue sur scène tremblante et éperdue au son même de ses chansons, comme si elle était traquée. »

G.Pioch

https://www.youtube.com/watch?v=X3njSfLn8M8


  Les fantaisistes constituent un groupe hétérogène de chanteurs humoristiques, dans la lignée de Polin et Dranem.

  Le maître en est Georgius (1889-1959) qui débute en 1913 à la Gaîté-Montparnasse. Devant l’obligation de changer de répertoire chaque semaine, il se met à écrire lui-même ses textes. L’un des premiers, Les archers du roy, aura un succès considérable. Il écrira quelque 1 500 chansons dont certaines comme Le lycée Papillon et La plus bath des javas sont mémorables.

https://www.youtube.com/watch?v=oz34K9BPDIw

Mais j’vous préviens surtout,

J’suis pas poète du tout

Mes couplets riment pas bien

Mais j’m’en fous.

Quand Julot et Nana

Sur un air de java

M’conduirent au bal musette

Sur un air de javette,

Elle lui dit je t’aime bien,

Sur un air de java,

Il répondit tant mieux

Sur un air déjà vieux

Ah ! Écoutez ça si c’est chouette !

Ah ! Ah ! Ah

C’est la plus bath des javas

La plus bath des javas.  Georgius-Trémolo

Sur scène, Georgius se présentait en habit blanc, un chrisanthème à la boutonnière. Il s’agitait beaucoup et occupait tout le plateau. Son sens de la dérision et de la parodie a éveillé l’admiration des surréalistes, Desnos en tête.

 

Populaire, fantaisiste, canaille, Jean Gabin commence sa carrière au music-hall. Il débute aux Folies-Bergère en 1922, puis il chante la Java de Doudoune aux Bouffes-Parisiens avec Mistinguett.

  Toutes ses chansons participent de l’esprit du temps, du vaudeville, du sentimentalisme et du populisme ambiants, La môme caoutchouc, Avec ma p’tite gueule, Léo, Léa, Élie...

  L’inoubliable Quand on s’promène au bord de l’eau, du film de Julien Duvivier “La belle équipée” marque les adieux de Gabin à la chanson.

https://www.youtube.com/watch?v=P43ZPK4poNA

 

  Georges Milton (1888-1970) a des débuts difficiles. Aidé par Chevalier, il connaît le succès au Casino Saint-Martin. Après la guerre, il se tourne vers l’opérette et le cinéma.

  Il impose au public sa vulgarité bon enfant et son dynamisme. Ses succès les plus populaires : La fille du bédouin (1927), Pouet-pouet (1929), J’ai ma combine (1930).

https://www.youtube.com/watch?v=lTtqkDoo4I0&list=PLITYytUwzPZPdjhwBcpjulFAx8gIx69QO

  Alibert (1889-1951) impose dans l’entre-deux-guerres la chanson “marseillaise” interprétant les succès de son beau-père, Vincent Scotto, Sur le plancher des vaches, Adieu, Venise provençale, Mon Paris. Il chante dans des opérettes, Elle est à vous (1929), Au pays du soleil (1932) et Un de la Canebière (1936) dont il a écrit le livret et triomphe sur les grandes scènes parisiennes.

  Son plus grand succès : Le plus beau de tous les tangos du monde.

https://www.youtube.com/watch?v=ioEJySlZ1ZI

 

Aux quatre coins du monde, indiscutablement

On aime sa faconde et ses mille défauts charmants

Elle a la grâce brune des filles du midi

Il n'en existe qu'une, voilà pourquoi chez nous l'on dit :

 {Refrain:}

On connaît dans chaque hémisphère

Notre Cane...Cane...Canebière

Et partout elle est populaire

Notre Cane...Cane...Canebière

Elle part du vieux port et sans effort

Coquin de sort, elle exagère

Elle finit au bout de la terre

Notre Cane...Cane...Canebière

Comment vous la décrire, son charme est sans pareil

Joyeuse elle s'étire comme un lézard au soleil

Internationale pour l'amour prend de l'air

Elle est la capitale des marins de l'univers

{au Refrain}

Il est né le divin enfant, il est né sur la Canebière

Il est né le divin enfant, il est né prés du fort Saint-Jean

Elle finit au bout de la terre

Notre Cane...Cane...Canebière

Cane Cane Canebière Sarvil. V.Scotto 1935

  Le jazz band de Billy Arnold fut le premier ensemble à se produire en France. Jean Cocteau décrit ces premiers musiciens de jazz qui “lançaient des appels de trompette comme on lance de la viande crue ou des poissons à des phoques”.

  C’est également d’Amérique que vint la mode des revues de “girls”. De jeunes femmes qui dansaient de façon parfaitement réglée sur des rythmes de jazz vertigineux.

  En octobre 1925, La Revue Nègre s’installe au théâtre des Champs-Elysées, c’est un scandale et c’est la ruée. Provoqués surtout par une jeune danseuse américaine noire de dix-neuf ans qui y danse le charleston, Joséphine Baker. La critique réagit : “Par l’indécence de votre physique vous déshonorez le music-hall français” (La Rumeur); “Contentons-nous d’admirer cette demoiselle entièrement nue, les cheveux coupés ras, ses cambrures originales, les agitations de sa chaste et ferme poitrine” (Paris soir).

Joséphine Baker (1906-1975) est issue d’une famille pauvre du Missouri. En 1919, elle fait la tournée des États-Unis avec le “Jones Family Band”, effectuant de nombreux sketches comiques. Elle joue ensuite dans d’autres revues ou comédies musicales avec plus ou moins de succès. Mais le tournant de sa carrière est son voyage à Paris.

  Le clou de la Revue Nègre est le charleston dansé par Joséphine vêtue de quelques plumes d’autruche rouge écarlate.

  Après la Revue Nègre, elle joua dans “La Revue du Jour” où elle portait son fameux costume de 16 bananes.

  En 1927, elle était l’artiste la mieux payée d’Europe et l’une des femmes les plus photographiées du monde. Elle pouvait se permettre quelques extravagances comme descendre les Champs-Élysées avec son guépard tenu en laisse.

  En 1930, elle interprète celle qui sera sa chanson fétiche, J’ai deux amours.

https://www.youtube.com/watch?v=gRfrUdsL4Pk

On dit qu’au-delà des mers

Là-bas sous le ciel clair,

Il existe une cité

Au séjour enchanteur

Et sous les grands arbres noirs,

Chaque soir,

Vers elle s’en va tout mon espoir.

J’ai deux amours,

Mon pays et Paris,

Par elle toujours

Mon coeur est ravi.

Ma savanne est belle

Mais à quoi bon le nier,

Ce qui m’ensorcelle

C’est Paris,

Paris tout entier.

Le voir un jour

C’est mon rêve joli.

J’ai deux amours

Mon pays et Paris

J’ai deux amours, Koger-Varna

  En 1936, elle fit une tournée désastreuse aux États-Unis : le public américain n’acceptait pas une femme noire avec autant de sophistication et de puissance.

  Pendant la deuxième guerre, Joséphine Baker travailla pour la Résistance. Elle fut décorée de la Croix de guerre et de la Légion d’honneur en 1961.

  Dans les années 50, elle commence à réunir sa “tribu arc-en-ciel”, c’est-à-dire à adopter des enfants de races et d’origines diverses. Elle adopte au total 12 enfants asiatiques, africains, sud-américains, européens...

  Dans les années 50 et 60, elle effectuait régulièrement des tours de chant à l’Olympia.

https://www.youtube.com/watch?v=NqFqpAAP94A

  Le 8 avril 1975, Joséphine Baker se produisit au théâtre Bobino de Paris, elle fêtait ses 50 ans de carrière.

  Le 12 avril, elle mourut. Plus de 20 000 personnes accompagnaient son cortège funèbre le long des rues de Paris. 

En novembre 2021, Joséphine Baker entra au Panthéon.

« Est-ce un homme ? Est-ce une femme ? Ses lèvres sont peintes en noir, sa peau est couleur banane, ses cheveux, déjà courts, sont collés sur sa tête comme si elle était coiffée de caviar, sa voix est suraigüe, elle est agitée d’un perpétuel tremblement, son corps se tortille comme celui d’un serpent ou plus exactement il semble être un saxophone en mouvement et les sons de l’orchestre ont l’air de sortir d’elle-même. »

Pierre de Régnier, Candide – 1925

« Puisque je personnifie la sauvage sur scène, j’essaie d’être aussi civilisée que possible dans la vie. »

Joséphine Baker

 

 

 

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