L’esclavage en toutes lettres – La esclavitud con todas la letras (1)
« Les histoires d’esclavage ne nous passionnent guère […]. Pourtant, ici, terres amères des sucres, nous nous sentons submergés par ce nœud de mémoires qui nous âcre d’oublis et de présences hurlantes. À chaque fois, quand elle veut se construire, notre parole se tourne de ce côté-là, comme dans l’axe d’une source dont le jaillissement encore irrésolu manque à cette soif qui nous habite, irrémédiable. »
P. Chamoiseau, L’esclave vieil homme et le molosse, Gallimard, 1997
Il est des sujets, dont l’esclavage, que les classes dominantes ont tendance à balayer sous le tapis. Possiblement parce que cet esclavage ainsi que la colonisation, reposant tous deux sur l’idée raciste qui soutenait, et soutient, que celui dont la couleur de peau est plus foncée que celle des Européens, leur est inférieur, est à la base de tout le système capitaliste occidental.
La voix des
écrivain·es, depuis longtemps déjà, brise ce silence.
Mon centre d’intérêt sera, bien entendu, la littérature monde en langue française. Or, comment ne pas faire référence à La case de l’oncle Tom, à l’autobiographie de Frederick Douglass et, surtout, à Beloved, de l’immense Toni Morrison ? Et du côté de l’Amérique latine, comment ne pas citer El reino de este mundo (Le royaume de ce monde) d’Alejo Carpentier ?
Pendant trois
siècles, le commerce triangulaire, appelé ainsi car il concernait trois
continents, l’Europe qui affrétait les navires, l’Afrique d’où provenaient les
esclaves et l’Amérique qui les recevait, va ravager le continent noir. Environ
22 millions d’Africains furent capturés et près de 5 millions périrent lors de
leur transport vers l’Amérique.
Les Antilles
devinrent, au XVIIIe siècle, l’une des grandes destinations de la traite
négrière, la culture de la canne à sucre étant une grande consommatrice de
main-d’œuvre. Depuis 1685, ces colonies furent soumises au Code noir,
conçu sous Louis XIV pour donner un cadre juridique à l’esclavage. L’esclave était
un être « meuble », susceptible d’être acquis et vendu comme
n’importe quel autre bien. Un cadre juridique qui ouvrait la porte à tous les
abus, sous couvert, comme l’avaient fait les Espagnols avec les autochtones
américains, de l’idée de la christianisation des peuples « arriérés ».
Les Lumières virent
se lever des intellectuels qui dénoncèrent l’esclavage.
Des sociétés anti-esclavagistes, comme les Amis des Noirs, apparurent à la veille de la Révolution. Parmi ses membres, Condorcet et Mirabeau. Ils réussirent à faire abolir l’esclavage en 1794. Napoléon le rétablit en 1802 et ce ne fut qu’en 1848 qu’il fut définitivement abrogé.
Montesquieu dénonce l’esclavage et les colonies qui dévorent des hommes dans la lettre CXVIII des Lettres persanes :
« Ces
esclaves, qu’on transporte dans un autre climat, y périssent à milliers, et les
travaux des mines, où l’on occupe sans cesse et les naturels du pays et les
étrangers, les exhalaisons malignes qui en sortent, le vif-argent, dont il faut
faire un continuel usage, les détruisent sans ressource.
Il n’y a rien de si extravagant que de faire périr un nombre innombrable d’hommes pour tirer du fond de la terre l’or et l’argent : ces métaux d’eux-mêmes absolument inutiles, et qui ne sont des richesses que parce qu’on les a choisis pour en être les signes. »
Dans Le nègre du Surinam, chapitre XIX de Candide,
Voltaire donna la parole à l’esclave noir amputé d’une main et d’une jambe :
« Quand nous
travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe
la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis
trouvé dans les deux cas. C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe.
(…) Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux
que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les
dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas
généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins
issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses
parents d'une manière plus horrible. »
Voltaire s’éloignait ainsi de l’image condescendante du « bon sauvage » et rendait aux esclaves tout le poids de leur humanité.
Le 4 février 1794,
l’abolition de l’esclavage fut proclamée par la Convention. Danton
déclara : « Jusqu'ici nous n'avions décrété la liberté qu'en égoïstes
et pour nous seuls ».
C’est ce à quoi nous pensons à la lecture de L'Esclavage des noirs ou l'Heureux Naufrage d’Olympe de Gouges, pièce présentée en décembre 1789 au théâtre de la Nation.
Quelques jours
auparavant, les colons antillais avaient publié cet article dans Le Moniteur :
« Vous sentez,
Messieurs, que cette constitution doit être différente de la vôtre. La France
n’est habitée et ne peut l’être que par un peuple libre ; les colonies, au
contraire, sont habitées par des peuples mélangés d’Européens et d’Africains.
Leur régime ne n’est ni ne doit le même que celui de la métropole ; le système
politique, l’intérêt du commerce de la France, la sûreté individuelle et
publique de vos colonies (…) la nécessité d’une constitution mixte propre à ces
colonies… »
Valère, le jeune
Français de la pièce d’Olympe de Gouges,
affirme : « Non, les Français voient avec horreur l'esclavage. Plus libres
un jour ils s'occuperont d'adoucir votre sort. »
« Cette œuvre traduit
en fait la mauvaise conscience d'une partie de la bourgeoisie révolutionnaire
devant la conception restrictive des Droits de l'homme en matière de liberté
individuelle. La pièce, selon l'autrice, « n'a d'autre intérêt que de rappeler
les hommes aux principes bienfaisants de la Nature », nous dit René Tarin
dans L'Esclavage des noirs, ou la mauvaise conscience d'Olympe de Gouges.
La pièce, qui ne connut guère de succès, fut cependant abhorrée par le parti des colons qui réussit à la faire retirer du répertoire de la Comédie française. Et réussit aussi à repousser l’abolition jusqu’en 1794.
Napoléon rétablit
l’esclavage en 1802 ce qui produisit des soulèvements dans toutes les Antilles.
En Guadeloupe, Louis
Delgrès, suivi par quelque 300 hommes, se battit jusqu’à la mort contre le
rétablissement de l’esclavage.
« À l’univers
entier, le dernier cri de l'innocence et du désespoir.
C’est dans les plus
beaux jours d’un siècle à jamais célèbre par le triomphe des lumières et de la
philosophie qu’une classe d’infortunés qu’on veut anéantir se voit obligée de
lever la voix vers la postérité, pour lui faire connaître lorsqu’elle aura
disparu, son innocence et ses malheurs », écrivit-il.
La défaite de
Delgrès entraîna la condamnation à mort d’une autre figure de la résistance
guadeloupéenne, la mulâtresse Solitude, immortalisée plus tard par André
Schwarz-Bart.
L’île de
Saint-Domingue, la plus riche colonie française des Antilles, se souleva de même. Le 7 juin 1802, le chef de la
rébellion, Toussaint Louverture fut fait prisonnier et déporté en
France, où il mourut en 1803. Son ancien lieutenant, Jean-Jacques Dessalines
proclama l’indépendance de la république d’Haïti, el 1er janvier
1804, après la bataille de Vertières où il vainquit l’armée napoléonienne.
Alphonse de
Lamartine fit de Toussaint Louverture le protagoniste
d’un poème dramatique et Aimé Césaire, le centre d’un essai sur le
colonialisme.
Or, la lutte haïtienne pour la liberté, inspira, Victor Hugo qui écrivit, à l’âge de 18 ans, une première version de Bug Jargal, conte qui devint, en 1826 le roman que nous connaissons.
En 1826, Victor
Hugo est encore un jeune poète royaliste qui voyait le soulèvement de
Saint-Domingue comme « l’invasion de la révolution dans cette magnifique
colonie ».
C’est un Hugo
raciste que l’on découvre ici. Tous les Noirs sont laids, ignorants,
l’incarnation de la barbarie et de la bestialité, à l’exception de Pierrot, dit
Bug Jargal, fils d’un roi du Congo, devenu l’un des chefs des révoltés.
Nous trouvons,
d’une part, Habibrah, « ce nain hideux était gros, court, ventru, et se
mouvait avec une rapidité singulière sur deux jambes grêles et fluettes, qui,
lorsqu'il s'asseyait, se repliaient sous lui comme les bras d'une araignée ».
Après avoir assassiné son maître, il fanatise l’armée rebelle avec ses
sorcelleries.
À son opposé, Bug
Jargal, qui se distingue par «la noblesse de son port, la beauté de ses formes »,
le seul parmi les chefs du soulèvement, qui rivalisent de cruauté, à faire
preuve de clémence et de magnanimité envers ses ennemis.
Un simple
paragraphe nous éclairera sur ce que pensait Hugo de l’esclavage :
« Huit cents
nègres cultivaient les immenses domaines de mon oncle. Je vous avouerai que la
triste condition des esclaves était encore aggravée par l’insensibilité de leur
maître. Mon oncle était du nombre, heureusement assez restreint, de ces
planteurs dont une longue habitude de despotisme absolu avait endurci le cœur. »
Ce racisme était d’ailleurs celui de la plupart des Européens de l’époque. Ceux qui osaient contredire le préjugé d’une infériorité congénitale, n’étaient guère nombreux.
Alphonse de Lamartine, une vingtaine d’années plus tard, nous présente dans son drame lyrique Toussaint Louverture, publié en 1842 mais joué qu’en 1850, cette même révolution haïtienne sous un jour bien différent.
« Trois jours
après la révolution de Février, je signai la liberté des noirs, l'abolition de
l'esclavage et la promesse d'indemnité aux colons.
Ma vie n'eût-elle
eu que cette heure, je ne regretterais pas d'avoir vécu », écrivit
Lamartine dans la préface de l’œuvre.
La manière de
présenter les afro-descendants diffère diamétralement de celle d’Hugo :
« NINA, à
ses compagnes.
Vous souvient-il,
mes sœurs, de la blanche jalouse,
Fière de sa couleur
et de son nom d'épouse ?
Son œil pour nous
punir d'attirer un regard
Contre notre beauté
se tournait en poignard.
‘’Des verges !
Flétrissez cette insolente esclave
‘’Dont la grâce
m'insulte et la beauté me brave.
‘’Vengez-moi,
frappez-la jusqu'à ce que son front
‘’De ma race
vaincue ait expié l'affront !’’
CHOEUR DE
NÉGRESSES.
Bah ! bah ! bah !
maintenant apaisez-vous, madame !
Possédez sans
rivale un époux disputé.
Les bras de nos
amants ont affranchi notre âme.
Gloire à Toussaint
! Vive la liberté ! »
Et le héros parle
de sa mission :
« Quand-
l'orage d'idée éclata sur cette île,
Je vieillissais
obscur dans un état servile ;
Je ne sais quel
esprit par mon nom m'appela,
Me cria : C'est ton
heure ! et je dis : Me voilà !
Soit qu'en certains
esprits la force intérieure
Leur assigne la
tâche et leur indique l'heure,
Soit que la force
en eux provienne de leur foi,
Dans cet ordre du
ciel que l'on entend en soi
Je ne doutai jamais
; cela semblait démence
Défaire, moi petit,
je ne sais quoi d'immense :
Et chose
singulière... une intime splendeur
D'un peuple sur mon
front fit briller la grandeur ;
Malgré mes traits
flétris et malgré l'esclavage,
L'éclat de mon
destin brilla sur mon visage… »
La critique ne fut guère enthousiaste. À l’époque, et pendant longtemps encore, le Noir ne pouvait être qu’un personnage inspirant le rire et même le dégoût, jamais un héros tragique. Un héros qui, en outre, dénonçait les crimes des Blancs !
Aux États-Unis, deux
œuvres majeures sur l’esclavages virent le jour à la même époque.
En 1845, Frederick Douglass, ancien esclave, né en 1818 dans une plantation, publia Mémoire d’un esclave.
« La grande majorité des esclaves connaissent aussi peu leur âge que les chevaux, et la plupart des maîtres de ma connaissance aiment à tenir leurs esclaves dans cet état d’ignorance. Je ne me rappelle pas avoir jamais vu un seul esclave qui pût dire le jour de sa naissance. Ils savent, il est vrai, que cet événement a eu lieu à l’époque de la plantation, de la moisson, des cerises, du printemps ou de l’automne, mais voilà tout. Mon ignorance sur ce point fut pour moi un sujet de chagrin dès ma plus tendre enfance. Les petits Blancs savaient leur âge. Je ne pouvais imaginer pourquoi je devais être privé d’un pareil privilège », lit-on au début de l’ouvrage.
Il n’existe pas
d’œuvre similaire en français. La chercheuse
Françoise Simasotchi-Bronès explique qu’ « il
a maintes fois été dit qu’une des particularités de l’esclavage,
particulièrement de celui qui était pratiqué dans les îles francophones des
Caraïbes, est le silence assourdissant qui l’a entouré. Silence des
contemporains, qui à quelques exceptions près l’ont ignoré et/ou accepté, voire
cautionné en y puisant leur enrichissement. Silence aussi de l’histoire, à
travers ses manuels qui ne l’ont longtemps mentionné que de manière épisodique. »
Lorsque l’esclavage fut aboli, la République prôna l’oubli. Mme Simasotchi-Bronès nous rappelle que « la lecture du décret d’abolition suivant le 23 mai 1848 par Rostoland, gouverneur provisoire de la Martinique, a été suivie de ce conseil : « Je recommande à chacun l’oubli du passé ». C’était une invitation à gommer les traces de quatre siècles d’histoire en orchestrant une amnésie générale (politique, économique, juridique et morale) possiblement valable pour tous. Les descendants d’esclaves eux-mêmes, « embarrassés », dit P. Chamoiseau, par cette mémoire de l’abjection vécue par leurs ascendants, auraient cherché aussi à refouler la honte d’être « une population de déportés, de vaincus et transplantés ».
Harriet Beecher-Stowe, « une petite femme qui a commencé une grande guerre », comme la qualifiait Abraham Lincoln, publia La case de l’oncle Tom en 1853
« C'était un
homme puissant et bien bâti : large poitrine, membres vigoureux, teint d'ébène
luisant ; un visage dont tous les traits, purement africains, étaient
caractérisés par une expression de bon sens grave et recueilli, uni à la
tendresse et à la bonté. Il y avait dans tout son air de la dignité et du
respect de soi-même, mêlé à je ne sais quelle simplicité humble et confiante. »
Suite à un revers
de fortune de son maître, Tom est vendu à un homme cruel. Il sera persécuté car
il refuse de maltraiter ses frères.
Dans les années
1860, le roman sera une arme puissante en mains des abolitionnistes. Un siècle
plus tard, la lecture en sera bien différente. Voici ce que nous en dit Danny
Laferrière :
« Encensé par la jeunesse des années 1850-1860, l’ouvrage est descendu en flèche un siècle plus tard par les jeunes Noirs des années 1960. L’oncle Tom, le héros principal, est un être bon, aimé de tous à la plantation, qui répond au mal par le bien. Féministe, humaniste et abolitionniste, Beecher-Stowe en appelle à la morale chrétienne qui traverse la société américaine d’alors pour répondre à des questions essentielles : un homme aussi bon peut-il être maintenu en esclavage ? Combien d’oncles Tom y a-t-il en Amérique ? Un méchant esclavagiste vaut-il mieux qu’un oncle Tom ? La rumeur a fait de ce dernier un individu au tempérament de serviteur, capable d’aimer son bourreau. Si Beecher-Stowe a été vilipendée, la plupart des grands écrivains noirs ont toujours considéré son roman comme un livre majeur. »
Bibliographie
P. Chamoiseau,
L’esclave vieil homme et le molosse, Gallimard, 1997
Montesquieu, Les
lettres persanes, Le livre de poche, 2006
Voltaire, Candide,
Le livre de poche, 1995
Victor Hugo, Bug
Jargal, Le livre de Poche, 2017
Alphonse de
Lamartine, Toussant Louverture, Hachette, BNF, 2017
Frederick Douglass,
Mémoire d’un esclave, Payot, 2022
Harriet
Beecher-Stowe, La case de l’oncle Tom, Le livre de poche, 1986
Françoise
Simasotchi-Bronès, Littératures francophones et esclavage transatlantique, https://doi.org/10.4000/diasporas.282
Léon-François
Hoffmann, Victor Hugo, les noirs et l’esclavage, Francophonia (Univ.Bologna),
n°16, 1996
René Tarin, L'Esclavage des noirs, ou la mauvaise conscience d'Olympe de Gouges, Dix-Huitième Siècle, Année 1998
La esclavitud con todas las letras
«Las historias de esclavitud apenas nos apasionan (…). Sin embargo,
aquí, tierras amargas de azúcares, nos sentimos sumergidos por ese nudo de
memorias que nos amarga con olvidos y presencias aullantes. Cada que que quiere
construirse, nuestra palabra se vuelve para ese lado, como en el eje de una
fuente cuyo surgimiento aún irresoluto le hace falta a esa sed que nos habita,
irremediable.»
P. Chamoiseau, L’esclave vieil homme et le molosse (El esclavo hombre viejo y el mastín), Gallimard, 1997
Hay temas, entre los cuales la esclavitud, que las clases dominantes
tienen tendencia a barrer debajo de la alfombra. Posiblemente porque la
esclavitud, así como la colonización, que reposan ambas en la idea racista que
sostenía, y sostiene, que aquel cuya piel es más oscura que la de los europeos,
les es inferior, es la base de todo el sistema capitalista occidental.
La voz de los escritores y escritoras rompe este silencia desde hace ya largo tiempo.
Mi centro de interés será, por supuesto, la literatura mundo en lengua francesa. ¿Cómo no referirme, empero, a la Cabaña del tío Tom, a la autobiografía de Frederick Douglass y, sobre todo, a Beloved, de la inmensa Toni Morrison? Y del lado de América latina, ¿cómo no citar El reinbo de este mundo de Alejo Carpentier?
Durante tres siglos el comercio triangular, llamado así ya que concernía
a tres continentes, Europa que alistaba las naves, África de donde provenían
los esclavos y América que los recibía, va a destruir todo el continente negro.
Alrededor de 22 millones de africanos fueron capturados y cerca de 5 millones
perecieron durante su transporte hacia América.
Las Antillas fueron, en el siglo XVIII, uno de los grandes destinos de
la trata negrera ya que el cultivo de la caña de azúcar era gran consumidor de
mano de obra. Desde 1685, estas colonias se sometieron al Código Negro,
concebido bajo Luis XIV para dar un marco jurídico a la esclavitud. El esclavo
era un bien «mueble» susceptible de ser adquirido como cualquier otro bien. Un
marco jurídico que abría la puerta a todos los abusos, so pretexto, como lo
había hecho los españoles con los indígenas americanos, de cristianizar a los
pueblos “atrasados”.
Las Luces vieron levantarse intelectuales que denunciaron la esclavitud.
Sociedades anti esclavitud, como los Amigos de los Negros, aparecieron en vísperas de la Revolución. Entre sus miembros, Condorcet y Mirabeau. Lograron hacer abolir la esclavitud en 1794, Napoleón la restableció en 1802 y sólo en 1848 fue definitivamente abolida.
Montesquieu denuncia la esclavitud y las colonias que devoran hombres en la carta CXVIII de las Cartas persas:
«Estos esclavos, que transportan a otro clima, y perecen de a miles, y
los trabajos de las minas, donde se ocupa sin cesar a los nativos y a los
extranjeros, las exhalaciones malignas que salen de ellas, el azogue que usan
continuamente, los destruye sin otra salida.
No hay nada más extravagante que hacer morir un número incalculable de hombres para sacar del fondo de la tierra oro y plata, estos metales absolutamente inútiles en sí mismos, y que sólo son riquezas porque se los elige para ser el signo de ellas.»
En El negro de Surinam capítulo XIX de Cándido, Voltaire
le da la palabra al esclavo amputado de una mano y una pierna:
«Cuando trabajamos en las azucareras, y que la piedra del
molino nos agarra el dedo, nos cortan la mano, cuando queremos huir, nos cortan la pierna. Estuve en los dos casos. Este es el precio para que coman azúcar en Europa. (…) Los perros, los monos y los loros son mil veces menos desdichados que nosotros. Los fetiches holandeses que me convirtieron me dicen todos los domingos que somos todos hijos de Adán, blancos y negros. No soy genealogista, pero si esos predicadores dicen la verdad, somos todos primos hermanos. Estará de acuerdo, empero, que no se puede tratar a los parientes de manera más horrible.»Voltaire se alejaba así de la imagen condescendiente del “buen salvaje” y devolvía a los esclavos todo su peso de humanidad.
El 3 de febrero de 1794, la abolición de la esclavitud fue proclamada por
la Convención. Danton declaró: “Hasta aquí sólo habíamos decretado la libertad
como egoístas y sólo para nosotros. “
Es lo que pensamos al leer La esclavitud de los negros o el Naufragio feliz de Olympe de Gouges, obra presentada en diciembre de 1789 en el teatro de la Nación.
Algunos días antes, los colonos antillanos habían publicado este
artículo en Le Moniteur:
«Ven, señores, que esta constitución debe ser diferente de la de ustedes.
Francia sólo es habitada y sólo puede serlo, por un pueblo libre; las colonias,
por lo contrario, son habitadas por pueblos mezclados de europeos y de
africanos. Su régimen no es ni puede ser el mismo que el de la metrópoli; el sistema
político, el interés del comercio de Francia, la seguridad individual y pública
de sus colonias (…) la necesidad de una constitución mixta propia de estas
colonias…»
Valère, el joven francés de la obra de Olympe de Gouges, afirma: «No,
los franceses ven con horror a la esclavitud. Más libres un día se ocupará de
endulzar la suerte de ustedes.»
«Esta obra traduce de hecho la mala consciencia de parte de la burguesía
revolucionaria ante el concepto restrictivo de los Derechos Humanos en materia
de libertad individual. La obra, según la autora, no tiene « otro interés
que el de recordar a los hombres los principios benefdactores de la
Naturaleza », nos dice René Tarin en La esclavitud de los negros
o la mala consciencia de Olympe de Gouges.
La obra, que no tuvo mucho éxito, fue, sin embargo, aborrecida por el partido de los colonos que logró hacerla retirar del repertorio de la Comedia Francesa. Y logró también posponer la abolición hasta 1794
Napoleón restableció la esclavitud en 1802, lo que produjo
levantamientos en todas las Antillas.
En Guadalupe, Louis Delgrès, seguido por unos 300 hombres, luchó hasta
la muerte contra el restablecimiento de la esclavitud.
«A todo el universo, el último grito de la inocencia t de la
desesperación.
En los más bellos días de un siglo célebre por siempre por el triunfo de
las luces y de la filosofía que se quieren destruir, una clase de
desafortunados se ve obligada a levantar la voz, para hacerle saber cuando haya
desaparecido, su inocencia y sus desgracias», escribió.
La derrota de Delgrès trajo la condena a muerte de otra figura de la
resistencia de Guadalupe, la mulata Solitude, inmortalizada más tarde por André
Schwarz-Bart.
La isla de Santo Domingo, la más rica colonia francesa de las Antillas,
se levantó también. El 7 de junio de 1802, el jefe de la rebelión, Toussaint
Louverture fue hecho prisionero y deportado a Francia, donde murió en 1803. Su
otrora teniente, Jean-Jacques Dessalines proclamó la independencia de república
de Haití el 1° de enero de 1804, después de la batalla de Vertières en que
venció al ejército napoleónico.
Alphonse de Lamartine hizo de Toussaint Louverture el protagonista de un
poema dramático y Aimé Césaire, el centro de un ensayo sobre el colonialismo.
La lucha haitiana por la libertad, inspiró empero a Victor Hugo, quien escribió, a la edad de 18 años, una primera versión de Bug Jargal, un cuento que se volvió, en 1826, la novela que conocemos.
En 1826, Victor Hugo es aún un joven poeta monárquico que veía al
levantamiento de Santo Domingo como “la invasión de la revolución en esta magnífica
colonia.”
Es un Hugo racista que descubrimos aquí. Todos los negros son feos,
ignorantes, la encarnación de la barbarie y de la bestialidad, exceptuando
Pierrot, llamado Bug Jargal, hijo de un rey del Congo, vuelto uno de los jefes
de los rebeldes.
Encontramos, por un lado, a Habibrah, «ese enano horrendo, erea gordp,
bajo, panzón, y se movía con una rapidez singular sobre dos piernas débiles y
flacas, que, cuando se sentaba, se replegaban debajo de él como los brazos de
una araña». Después de haber asesinado a su amo, fanatiza al ejército rebelde
con sus brujerías.
Opuesto a él, Bug Jargal, que se distingue por « la nobleza de su
porte, la belleza de sus formas», el único entre los jefes del levantamiento,
que rivalizan en crueldad, en mostrar clemencia y magnanimidad para con sus
enemigos.
Un simple párrafo nos iluminará sobre lo que pensaba Hugo de la
esclavitud.
«Ochocientos negros cultivaban los inmensos dominios de mi tío. Le diré
que la triste condición de los esclavos era aún agravada por la insensibilidad
de su amo. Mi tío formaba parte del número, felizmente bastante restringido, de
aquellos colonos a quienes una larga costumbre de despotismo absoluto, había
endurecido el corazón.»
Este racismo era, por otra parte, el de la mayoría de los europeos de la época. Los que se atrevían a contradecir el prejuicio de una inferioridad congénita, no eran muy numeroso
Alphonse de Lamartine, unos veinte años más tarde, nos presenta en su drama lírico Toussaint Louverture, publicado en 1842 pero representado sólo en 1850, esta misma revolución pero bajo una luz muy diferente.
“Tres días después de la revolución de Febrero, firmé por la libertad de
los negros, la abolición de la esclavitud y la promesa de indemnizar a los colonos.
Si mi vida sólo hubiese contado con esa hora, no lamentaría haberla
vivido,” escribió Lamartine en el prefacio de la obra.
La manera de presentar a los afrodescendientes difiere diametralmente de
la de Hugo:
« NINA, a sus compañeras
¿Recuerdan, hermanas, a la blanca celosa,
Orgullosa de su color y de su nombre de esposa?
Su ojo para castigarnos de atraer una mirada
Contra nuestra belleza se volvía puñal.
‘¡Palos! Marchiten a esta insolente esclava
‘’Cuya gracia me insulta y cuya belleza me desafía.
‘’Vénguenme, golpéenla hasta que su frente
‘’Vencida haya pagado la afrenta!’’
CORO DE NEGRAS.
¡Bah! ¡bah! ¡bah! ¡ahora cálmese señora!
Posea sin rival a un esposo disputado.
Los brazos de nuestros amantes han liberado nuestra alma.
¡Gloria a Toussaint! ¡Viva la libertad!»
Y el héroe habla de su misión:
«Cuando la tormenta de ideas se desató sobre esta isla,
Yo envejecía escuro en un estado servil;
No se qué espíritu por mi nombre me llamó,
Me gritó: ¡Es tu hora! Y yo dije: ¡Acá estoy!
Ya sea que en ciertos espíritus la fuerza interior
Les asigna la tarea y les indica la hora,
Ya sea que la fuerza en ellos proviene de su fe,
En este orden del cielo que uno oye en sí mismo
Nunca dudé, parecía demencia;
Deshacer, yo, pequeño, no sé qué cosa inmensa:
Y cosa singular… un íntimo esplendor
De un pueblo en mi frente hizo brillar la grandeza;
A pesar de mis rasgos mustios y a pesar de la esclavitud,
La luz de mi destino brilló sobre mi rostro…»
La crítica no se entusiasmó. En esa época, y aún durante mucho tiempo, el negro sólo podía ser un personaje que inspirara la risa y aún el disgusto, nunca un héroe trágico. Un héroe que, además, ¡denunciaba los crímenes de los blancos!
En los Estados Unidos, dos obras mayores ven la luz en la misma época.
En 1845, Frederick Douglass, otrora esclavo, nacido en 1818 en una plantación, publicó Memorias de un esclavo.
«La gran mayoría de los esclavos conocían su edad tanto como los caballos, y a la mayoría de los amos que he conocido, les gusta mantener a sus esclavos en este estado de ignorancia. No recuerdo haber visto jamás un esclavo que pudiera decir el día de su nacimiento. Saben, es verdad, que este acontecimiento tuvo lugar en la época de plantar, de la cosecha, de las cerezas, de la primavera o del otoño, pero eso es todo. Mi ignorancia sobre el punto fue para mí motivo de tristeza desde mi más tierna infancia. Los pequeños blancos sabían su edad. Yo no imaginaba por qué debía ser privado de semejante privilegio», se lee al comienzo del libro.
No existe una obra similar en francés. La investigadora Françoise
Simasotchi-Bronès explica que « fue dicho muchas veces que una de las
particularidades de la esclavitud, particularmente del que era practicado en
las islas francoparlantes del Caribe, es el silencio ensordecedor que la rodeó.
Silencio de los contemporáneos, que salvo algunas excepciones, la ignoraron y/o
aceptaron, aún defendieron enriqueciéndose con ella. Silencio también de la historia, con manuales
que lo mencionaron sólo de manera episódica.»
Cuando la esclavitud fue abolida, la República preconizó el olvido. La señora Simasotchi-Bronès nos recuerda que «la lectura del decreto de abolición que siguió el 23 de mayo de 1848 por Rostoland, gobernador de la Martinica, fue continuada con este consejo: “recomiendo a cada uno el olvido del pasado”. Era una invitación a borrar los rastros de cuatro siglos de historia orquestando una amnesia general (política, económica, jurídica y moral) posiblemente válida para todos. Los mismos descendientes de esclavos “embarazados”, dice P. Chamoiseau, por esta memoria de la abyección vivida por sus ascendientes, también habrían tratado dee borrar la vergüenza de ser “una población de deportados, de vencidos y de trasplantados”.
Harriet Beecher-Stowe, «una pequeña mujer que comenzó una gran guerra», como la calificaba Abraham Lincoln, publicó La cabaña del tío Tom en 1853
«Era un hombre poderoso y bien formado: pecho ancho, miembros vigorosos,
piel de ébano brillante, un rostro suyos rasgos puramente africanos, se
caracterizaban por una expresión de sensatez grave y concentrada, unidos a la
ternura y la bondad. En todo su aspecto había dignidad y respeto por si mismo,
mezclados a no se qué simplicidad humilde y confiada.»
Como consecuencia de un revés económico de su amo, Tom es vendido a un
hombre cruel. Lo perseguirán ya que se niega a maltratar a sus hermanos.
En los años 1860, la novela será un arma poderosa en manos de los
abolicionistas. Un siglo más tarde, su lectura será muy diferente. Esto es lo
que nos dice Danny Laferrière:
«Ensalzado por la juventud de los años 1850-1860, la obra es
defenestrada por los jóvenes negros de los años 1960. El tío Tom, el héroe
principal, es un ser bueno, querido por todos en la plantación, que responde al
mal con el bien. Feminista, humanista y abolicionista, Beecher-Stowe apela a la
moral cristiana que atraviesa la sociedad norteamericana de entonces para
responder a cuestiones esenciales: ¿un hombre tan bueno puede ser mantenido en
la esclavitud? ¿Cuántos tíos Tom hay en EEUU? ¿Un mal esclavista vale más
que un tío Tom? El rumor transformó a este último en un individuo con
temperamento de servidor, capaz de amar a su verdugo. Si Beecher-Stowe fue
vilipendiada, la mayoría de los grandes escritores negros siempre consideraron
a su novela como un libro mayor».
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