Yambo Ouologuem, le fondateur . Yambo Ouologuem, el fundador
Je publiai, il y a
une dizaine d’années, cet article sur Ouologuem et son roman que je considère l’un
des textes fondateurs de la littérature africaine au même titre que Les
soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma.
J’ajouterai que, lorsque la France se décide enfin à restituer une minuscule partie des chefs-d’œuvre volés impunément aux pays africains, le paragraphe sur Shrobénius est particulièrement éclairant.
Par rapport au
roman de Yambo Ouologuem, voyons ce que nous en dit Alain Mabanckou
(Le sanglot de l’homme noir, Fayard, 2012)
« Je n’ignore
pas ce qui attend un Africain qui accepte sa part de responsabilité dans la
traite négrière. Lorsque le lumineux Yambo
Ouologuem publia Le devoir de violence en 1968, le couperet ne tarda
pas à tomber.
Dans cette
fiction historique, à travers la geste des Saïfs régnant sur l’empire Nakem,
l’auteur rappelle que l’esclavage de l’Afrique par les Arabes et la
colonisation par les « notables africains » existaient avant l’arrivée des
Européens.
La colonisation
et l’esclavage n’étaient donc pas des « inventions » extérieurs à l’Afrique,
apparues sur le continent en même temps que le « visage pâle ». (…)
Le roman
d’Ouologuem signait l’acte de naissance d’une « autre littérature africaine »,
plus libre et éloignée des thèmes consensuels. C’était également la naissance
de l’autocritique, indispensable si l’on veut que soient fondés les reproches
adressés aux autres. C’était une hardiesse, au moment où tout écrivain africain
était censé célébrer aveuglement les civilisations africaines et décrire un
continent où tout était calme et pacifique avant l’arrivée des méchants
Européens, boucs émissaires de prédilection lorsqu’on ne s’explique pas
l’enlisement des États africains après leur émancipation, à partir de la fin
des années cinquante ».
Né en 1940 à Bandiagara, au Mali, Yambo Ouologuem fait ses études secondaires à Bamako. Il arrive en France en 1960 et entre au lycée Henri IV, puis devient enseignant (de 64 à 66 il est professeur au lycée de Charenton en banlieue parisienne). Il abandonne ensuite l’enseignement. Titulaire d’une licence en philosophie, en lettres et diplômé d’études supérieures de lettres et d’anglais, il se consacre un temps à la rédaction de manuels scolaires, puis travaille 4 ans à l’écriture de son premier roman, le "Devoir de violence" qui reçoit le prix Renaudot le 19 novembre 1968.
Le chroniqueur du
journal "Le Monde", Matthieu Galey écrit le 12 octobre 1968 que
"Le moins qu’on puisse dire c’est que le devoir de violence n’est pas
un roman comme ceux que les Africains écrivent habituellement, et cela pour
plusieurs raisons : un style très recherché et une appréciation de l’Afrique
qui n’est pas du goût de tous les africains".
Comme le dit si
bien Alain Mabanckou, Ouologuem osa exprimer que les Blancs n’étaient point les
seuls responsables du malheur africain. Il créa pour cela le royaume symbolique
de Nakem et la dynastie des Saïf dont il retrace l’histoire depuis le XIIe
siècle jusqu’à la colonisation.
Le dernier
représentant des Saïf, Ben Isaac el Heït ne recule devant aucun obstacle pour
assurer son pouvoir. Il règne sur ses terres par la terreur, l’esclavage et par
la collaboration avec les Blancs dont il a gagné la confiance.
À l’image d’une
Afrique édénique véhiculé dans ces années d’indépendance, Ouologuem oppose une
Afrique précoloniale en proie à la violence et au cynisme de ses rois
tyranniques. Le style de Le devoir de violence marque aussi une rupture
avec la tradition, dans la première partie du livre « La légende des Saïfs
» on retrouve, si je puis dire, toutes les caractéristiques du discours épique
détournées. Si l’épopée célèbre les exploits de son héros, une anti-épopée
comme celle de l’auteur malien est le récit de l’oppression, de la domination
de la « négraille » soumise à la dictature des Saïfs.
« Véridique ou fabulée, la légende de Saïf Isaac El Heït hante de nos jours encore le romantisme nègre, et la politique des notables en maintes républiques. Car son souvenir frappe les imaginations populaires. Maints chroniqueurs consacrent son culte par la tradition orale et célèbrent à travers lui l’époque prestigieuse des premiers États, dont le roi, sage et philosophe, couronnait une épopée qui appelait la plus grande tâche de l’archéologie, de l’histoire, de la numismatique et d’autres sciences humaines, auxquelles sont venues se joindre les disciplines naturelles et ethnologiques.
Mais il faut se
rendre à l’évidence : ce passé –grandiose certes- ne vivait, somme toute, qu’à
travers les historiens arabes et la tradition orale, que voici :
Mort en 1498,
Saïf Isaac El Heït, le doux et juste empereur, laissa trois fils : l’aîné de
tous, Josué, sacrifié à Dieu ; le puîné Saïf El Haram ; le cadet Saïf El Hilal
; huit filles cadettes, et quetre femmes : Ramina, Dogobousseb, Aïssina et
Hawa. Mais, sept ans auparavant, lors de la fête de la Tabaski, l’empereur Saïf
Isaac El Heït, voulant monter à cheval, manqua la sellette et tomba a la
renverse. Saïf El Hilal, le fils cadet, s’était précipité, ému, vers son père,
qu’il aida à se relever, cependant que son frère aîné, Saïf El Haram, trouvant
la chute fort drôle, eut l’irrévérence non seulement d’éclater de rire, mais de
prendre, fils irrespectueux, courtisans et valets d’écurie à témoin. (…)
Donc, à la mort
du juste et doux Saïf El Heït (Sur lui le salut !), son fils béni Saïf El Hilal
monta sur le trône impérial, mais –comble de disgrâce- pour treize jours
seulement. Car Saïf El Haram, proclamant la nécessité d’un couple royal formé
de la reine-mère et du fils, épousa en une même nuit les quatre femmes de son père
défunt –dont sa propre mère Ramina- prit le pouvoir, non sans jeter d’abord son
frère cadet –héritier légitime du trône- dans un cul-de-basse-fosse, pieds et
poings liés. »
Ce discours
anti-épique, surtout présent dans le premier chapitre du roman, La légende
des Saïf, au titre plus qu’évident, se retrouve ici et là dans tout le
reste de l’ouvrage, consacré aux temps de la colonisation, le plus souvent sous
la forme de formules incantatoires.
« Magnanime et
politique, Saïf l’adopta. Un hymne pour lui. Al hamdoulilaï rabbi alamin ! »
« Et la tradition dit : « Homme baisse le ton de ta voix. Ne sais-tu donc pas que Sa Seigneurie royale Saïf ben Isaac El Heït est présent partout à qui ne récite sa louange ? »
On remarquera que
ce discours est le plus souvent teinté d’ironie et parfois de couleurs
franchement grotesques.
« Neuf mois plus
tard, Tambira accouchait de quintuplés baptisés très chrétiennement : Raymond
Spartacus Kassoumi, Jean Sans-Terre Kassoumi, Anne-Kididia Kassoumi,
René-Descartes Kassoumi, René-Caillé Kassoumi enfin –noms sonores, exigés par
les parents et l’interprète Karim Bâ, manœuvrés par Saïf.
Ailleurs, dans
d’autres provinces, à la même période, la notabilité saluait d’autres heureux
événements –futurs instruments de sa politique à venir. Le Maître des mondes
est puissant et c’est vers Lui que nous devons revenir. Prions donc qu’Il nous
veuille absoudre. Amen »
Voyons aussi ce
portrait de l’ethnologue Shrobénius :
« Salivant ainsi, Shrobénius, de retour au bercail, en tira un double profit : d’une part, il mystifia son pays, qui, enchanté, le jucha sur une haute chaire sorbonicale, et, d’autre part, il exploita la sentimentalité négrillarde – par trop heureuse de s’entendre dire par un Blanc que l’ « Afrique était ventre du monde et berceau de civilisation ».(…)
Sécrétant son
propre mythe, Shrobénius se fit génial mais désinvolte, malicieux mais
pessimiste, soucieux de sa publicité – mais se gaussant d’une société qui lui
avait tout donné.
Ce
marchand-confectionneur d’idéologie prit alors des allures de sphinx pour
imposer ses rébus, justifier ses revirements passés et ses boutades. De même,
ethnologue rusé, avec la collection achetée à Saïf et celles que ses disciples
avaient ramenées gratuitement du Nakem, il vendit plus de trois cents pièces
aux tiroirs-caisses suivants : Musée de l’Homme a Paris ; Musées de Londres, de
Bâle, de Munich, de Hambourg, de New York, – louant des centaines d’autres
pièces pour divers droits ; de reproduction, d’exposition, etc. (…)
Déjà,
l’acquisition des masques anciens était devenue problématique depuis que
Shrobénius et les missionnaires connurent le bonheur d’en acquérir en quantité.
Saïf donc – et la pratique est courante de nos jours encore – fit enterrer des
quintaux des masques hâtivement exécutés à la ressemblance des originaux, les
engloutissant dans les mares, marais, étangs, marécages, lacs, limons – quitte
à les exhumer quelque temps après, les vendant aux curieux et profanes à prix
d’or. Ils étaient, ces masques, vieux de trois ans, chargés, disait-on, du
poids de quatre siècles de civilisation. Et l’on arguait, devant la crédulité
de l’acheteur, les injures du temps, les vers mauvais qui avaient rongé ces
chefs-d’œuvre en péril depuis un temps ô combien immémorial, témoin : le
mauvais état préfabriqué des statuettes. Alif lam ! Amba, Koubo oumo agoum. »
J’ai lu quelque
part qu’avec ce roman Yambo Ouologuem avait libéré les Européens de leur part
de responsabilité quant aux malheurs de l’Afrique. Rien de plus faux dans cette
lecture manichéenne. Que certains Africains en aient réduit d’autres à
l’esclavage, que des tyrans autochtones aient sévi à feu et à sang sur le
continent, n’exempte en rien les « visages pâles » de leur culpabilité.
L’image que nous donne Ouloguem des colonisateurs est aussi caricaturale que
celle des notables africains. Mais il subvertit principalement l’image
angélique, peut-être nécessaire à l’époque des indépendances, de l’histoire de
l’Afrique qu’avaient mise sur pieds les auteurs de la Négritude ainsi que
certains politiciens.
Mais revenons au Devoir
de violence lui-même, le livre se termine dans les années postérieures à la
guerre de 39-45. Un changement se produit, les Français veulent former une
nouvelle élite africaine, ce sera, au Nakem, Raymond-Spartacus Kassoumi qui
s’envolera vers Paris avec une bourse et qui, après maintes péripéties, dont
une histoire d’amour homosexuelle, rentrera au pays avec un diplôme
d’architecte, non sans avoir fait, auparavant, la guerre.
« Les têtes
enturbannées se hochaient, et chacun, secrètement, ruminait la même timide
pensée : l’homme de la situation, c’était Raymond-Spartacus Kassoumi, dont la
réussite universitaire aux pays des Flençèssi se murmurait parmi le peuple qui
le disait, après Dieu, ouiche ! plus instruit que le plus instruit des Blancs :
o djangui koié ! »
Tout comme on avait
envoyé à la guerre les fils du peuple, on installait aussi dans des postes de
direction non pas la noblesse et la caste dirigeante, mais les enfants des
serfs. Ce qui éviterait bien des inconvénients aux notables !
Saïf maintient
ainsi la division entre le peuple et l’aristocratie, constitutive de la société
africaine en y ajoutant une division supplémentaire entre le bas peuple et les
nouvelles élites issues de cette même couche sociale. Ces élites seront désormais
imperméables aux traditions vernaculaires.
« …depuis les
guerres mondiales où le tirailleur noir avait éclaté de violence au service de
la France, il s’était créé une religion du Nègre-bon-enfant, négrophilie
philistine, sans obligation ni sanction, homologue des messianismes populaires,
qui chantent à l’âme blanche allaient à la négraille telle sa main à Y’a bon,
Banania.
Choisir dans ces
conditions Raymond-Spartacus Kassoumi, c’était combler le peuple s’exaltant à
l’abreuvoir des destinées prodigieuses, et flatter le Blanc qui piaillerait
avoir civilisé son sous-développé : Ouhoum ! gollè wari ! »
Plusieurs
spécialistes se sont penchés sur Le devoir de violence. Lylian
Kesteloot considère le roman de Yambo Ouologuem comme « un démenti
détruisant avec une sorte de rage le mythe d’une Afrique précoloniale idyllique
édifiée par les écrivains de la Négritude » (Les écrivains noirs de langue
française : naissance d’une écriture. Bruxelles, Éd.de l’Institut de
Sociologie, 1971)
Antoine Marie
Zacharie Habumukiza (Le devoir de violence de Yambo Ouologuem, une lecture
intertextuelle, Queen’s University, Kingston, Ontario, Canada, 2009) nous parle
de diverses intertextualités (que d’aucuns nommeront plagiats) dans ce roman :
« La lecture intertextuelle du Devoir de violence croise constamment
différents textes de la littérature mondiale ». Les textes cités sont aussi
bien Le dernier des justes, d’André Schwartz-Bart que la Bible
ou La légende de Saint Julien l’hospitalier de Gustave Flaubert.
Selon ce même
chercheur « la particularité du Devoir lui vient, en partie, de son écriture
qui repose sur les pratiques intertextuelles et hypertextuelles. Une bonne
partie de sa littéralité est due, en grande partie, à la façon dont il institue
des relations complexes avec les œuvres qui lui sont antérieures, d’une part,
et avec les discours idéologiques et la tradition orale, de l’autre ».
Christofer Wise
assure dans la préface de l’édition 2003 du roman, publié par le Serpent à
plumes que « Ouloguem a asséné un coup de grâce à la négritude de Senghor,
ouvrant ainsi la voie à une littérature plus authentique, débarrassée de ce
besoin maladif d’édifier en Afrique un passé falsifié ».
Je peux dire, de mon côté, que, malgré son style complexe, baroque, ce roman m’a fasciné, m’a tenu hors d’haleine jusqu’à sa dernière page. Il s’agit, en outre, d’un roman qui permet de comprendre maintes œuvres postérieures de la littérature africaine.
Le devoir de violence, Yambo Ouologuem, Seuil, Paris, 1968
La más secreta memoria de los hombres, la espléndida novela de Mohamed Mbougar Sarr, premio Goncourt 2021, vuelve a poner sobre el tapete el nombre del escritor maliano Yambo Ouologuem y el de su novela Deber de violencia, premio Renaudot 1968.
Publiqué, hace unos diez años, este artículo sobre Ouologuem y su novela
que considero uno de los textos fundadores de la literatura africana al mismo
título que Los soles de la independencia de Ahmadou Kourouma.
Agregaré que, cuando Francia se decide por fin a restituir una minúscula
parte de las obras de arte robadas impunemente a los países africanos, el
párrafo sobre Shrobénius es particularmente esclarecedor.
Con respecto a la novela de Yambo Ouologuem, veamos lo que nos
dice Alain Mabanckou (Le sanglot de l’homme noir (El sollozo del hombre
negro), Fayard, 2012)
“No ignoro lo que le espera a un africano que acepta su parte de
responsabilidad en la trata negrera. Cuando el luminoso Yambo Ouologuem publicó
El deber de violencia en 1968, la cuchilla no tardó en caer.
En esta ficción histórica, a través de la gesta de los Saif que reinaban
sobre el imperio Nakem, el autor recuerda que la esclavitud del África por los
árabes y la colonización por los “notables africanos” existían antes de la
llegada de los europeos.
La colonización y la esclavitud no eran entonces «inventos» exteriores
al África, aparecidas en el continente al mismo tiempo que los «caras pálidas».
La novela de Ouologuem firmaba la partida de nacimiento de «otra
literatura africana», más libre y alejada de los temas consensuales. Era
igualmente el nacimiento de la autocrítica, indispensable si se quiere que sean
fundados los reproches dirigidos a otros. Era una audacia, en el momento en que
se esperaba que todo escritor africano celebrara ciegamente las civilizaciones
africanas y describiera un continente donde todo era calmo y pacífico antes de
la llegada de los malvados europeos, chivos emisarios predilectos cuando no se
podía explicar el estancamiento de los estados africanos después de su
emancipación, a fines de los años cincuenta.”
Nacido en Bandiagara, en el Malí, Yambo Ouologuem realiza sus estudios secundarios en Bamako. Llega a Francia en 1960 y entra al colegio Henri IV, es luego docente(de 64 a 66 es profesor en el colegio de Charenton en el suburbio parisino). Abandona luego la enseñanza. Titular de una licencia de filosofía, en letras y diplomado de estudios superiores en letras y en inglés, se consagra un tiempo a la redacción de manuales escolares, luego trabaja 4 años en la redacción de su primera novela, «El deber de violencia» que recibe el premio Renaudot el 19 de noviembre de 1968.
El cronista del diario "Le Monde", Matthieu Galey escribió el
12 de octubre de 1968 que "Lo menos que se puede decir es que El deber
de violencia no es una novela como las que escriben habitualmente los
africanos, y esto por varias razones: un estilo muy rebuscado y una apreciación
del África que no es del gusto de todos los africanos”.
Como lo dice tan bien Alain Mabanckou, Ouologuem se atreve a expresar
que los blancos no eran los únicos responsables de la desgracia africana. Para
ello crea el reino simbólico de Nakem y la dinastía de los Saif de la cual
traza la historia desde el siglo XII hasta la colonización.
El último representante de los Saif, Ben Isaac el Heit no retrocede ante
ningún obstáculo para asegurar su poder. Reina sobre sus tierras mediante el
terror, la esclavitud y con la colaboración de los blancos tras ganar su
confianza.
A la imagen de un África edénica presentada en esos años de
independencia, Ouologuem opone un África precolonial presa de la violencia y
del cinismo de sus reyes tiránicos. El estilo de El deber de violencia marca
también una ruptura con la tradición. En la primera parte del libro « La
leyenda de los Saif » encontramos, si puedo expresarlo así, todas las
características del discurso épico dadas vuelta. Si la epopeya celebra las
hazañas de su héroe, una anti epopeya como la del autor maliano es el relato de
la opresión, de la dominación de la “negrada” sometida a la dictadura de
los Saif.
«Verídica o fabulada, la leyenda de Saïf Isaac El Heït persigue aún
en nuestros días el romanticismo negro, y la política de los notables en muchas
repúblicas. Pues su recuerdo asombra las imaginaciones populares. Muchos
cronistas le rinden culto con la tradición oral y celebran a través suyo la
época prestigiosa de los primeros estados, cuyo rey, sabio y filósofo, coronaba
una epopeya que llamaba a trabajar a la arqueología. La historia, la
numismática y otras ciencias humanas, a las cuales vinieron a unisrse las
disciplinas naturales y etnológicas.
Pero hay que rendirse ante la evidencia: este pasado –ciertamente
grandioso- sólo vivía, en suma, a través de los historiadores árabes y la
tradición oral que es esta:
Muerto en 1498, Saïf Isaac El Heït, el dulce y justo emperador, dejó tres hijos : el mayor de todos, Josué, sacrificado a Dios; el siguiente Saïf El Haram ; el menor Saïf El Hilal ; ocho hijas menores y cuatro mujeres: Ramina, Dogobousseb, Aïssina y Hawa. Pero, siete años antes, durante la fiesta de la la Tabaski, el emperador Saïf Isaac El Heït, queriendo montar a caballo, pasó de largó y cayó al piso. Saïf El Hilal, el hijo menor, se había precipitado, emocionado, hacia su padre y lo ayudó a levantarse, mientras que su hermano mayor, Saïf El Haram, pareciéndole la caída muy divertida, tuvo la irreverencia no sólo de reír a carcajadas, sino de hacerlo, hijo irrespetuoso, con los cortesanos y los mozos de cuadra (…)
Entonces, al morir el justo y dulce Saïf El Heït (¡Dios lo salve!), su
hijo bendito Saïf El Hilal subió al trono imperial, pero –colmo de desgracias-
sólo por trece días. Pues Saïf El Haram, proclamando la necesidad de una pareja
real formada por la reina madre y del hijo, desposó en una misma noche a las
cuatro mujeres de su difunto padre –entre ellas su propia madre Ramina- tomó el
poder, no sin arrojar a su hermano menor –heredero legítimo del trono- a una
fosa, con los pies y los puños atados.”
Este discurso anti épico, presente sobre todo en el primer capítulo de
la novela, La leyenda de los Saif, con un título más que evidente, se encuentra
aquí y allá en todo el resto del libro, consagrado a los tiempos de la
colonización, lo más a menudo bajo la forma de fórmulas encantatorias.
«Magnánimo y político, Saif lo adoptó. Un himno para él.. Al
hamdoulilaï rabbi alamin ! »
«Y la tradición dice :
«Hombre baja el tono de tu voz. ¿No sabes que Su Señoría real Saïf ben
Isaac El Heït está presente en todos lados para quién no recita su alabanza? »
Se notará que este discurso está lo más a menudo teñido de ironía y a
veces con colores francamente grotescos.
«Nueve meses más tarde, Tambira dió a luz quintillisos bautizados muy
cristianamente : Raymond Spartacus Kassoumi, Jean Sans-Terre Kassoumi,
Anne-Kididia Kassoumi, René-Descartes Kassoumi, René-Caillé Kassoumi por fín
–nombres sonoros, exigidos por los padres y el intéprete Karim Bâ, manejados
por Saif.
En otros lados, en otras provincias, en el mismo período, la notabilidad
saludó otros felices
acontecimientos –futuros instrumentos de su política por venir. El Amo
de los mundos es poderoso y es hacia Él que debemos volver. Roguemos que nos
quiera absolver. Amen.»
Veamos también el retrato del etnólogo Shrobénius :
Salivando así, Shrobénius, de vuelta a casa, sacó un doble provecho : por un lado mistificó a su país, que, encantado, lo subió a una alta cátedra sorbonal, y, por otro lado, explotó la sentimentalidad negra –demasiado feliz de oirse decir por un blanco que « el África era el vientre del mundo y la cuna de la civilización » (…)
Creando su propio mito, Shrobénius se volvió genial pero desenvuelto,
malicioso pero pesimista, preocupado por su publicidad –pero burlándose de una
sociedad que le había dado todo.
Este comerciante-creador de ideología tomó entonces el aspecto de una
esfinje para imponer sus charadas, justificar sus cambios pasados y sus bromas.
Asimismo, etnólogo avispado, con la colección comprada a Saify las que sus
discípulos habían traído gratuitamente de Nakem, vendió más de trescientas
piezas a las cajas siguientes: Museo del Hombre de París; Museos de Londre, de
Bale, de Munich, de Hamburgo, de Nueva York, -alquilando centenares de otras
piezas por diferentes derechos; de reproducción, de exposición, etc .(…)
La adquisición de máscaras antiguas ya se había vuelto problemática
desde que Shrobénius y los misioneros conocieron la felicidad de comprar
cantidades. Saif entonces –y la práctica es corriente aún en nuestros días-
hizo enterrar quintales de máscaras rápidamente ejecutadas semejantes a las
originales, hundiéndolas en charcos, esteros, lagos, lodos –para exhumarlas
tiempo después, vendiéndolas a los curiosos y profanos a precio de oro. Estas
máscaras, con tres años de vida, cargaban
con cuatro siglos de civilización. Y se argüía, ante la credulidad del
comprador, que las injurias del tiempo, que los gusanos habían roído estas
obras de arte en peligro desde una época inmemorial: el mal estado prefabricado
de la estatuillas. Alif lam ! Amba,
Koubo oumo agoum. »
Leí en algún lado que con esta novela Yambo Ouologuem había liberado a
los europeoa de su parte de responsabilidad en cuanto a las desgracias del
África. Nada más falso que esta lectura maniquea. Que ciertos africanos hayan
reducido a otros a la esclavitud, que los tiramnos autóctonos hayan reinado a
sangre y fuego sobre el continente, no exceptúa en nada a las “caras pálidas”
de su culpabilidad. La imagen que nos da Ouloguem de los colonizadores es tan
caricaturesca como la de los notables africanos. Pero subvierte principalmente
la imagen angélica, quizás necesaria en la época de las independencias, de la
historia de África que habían levantado los autores de la Negritud así como
ciertos políticos.
Pero volvamos a El deber de violencia, el libro se termina en los
años posteriores a la guerra de 39-45. Un cambio se produce, los franceses
quieren formar una nueva elite africana, será, en el Nakem, Raymond-Spartacus Kassoumi quien volará hacia
París con una beca y quien, después de muchas peripecias, entre las cuales una
historia de amor homosexual, volverá al país con un diploma de arquitecto, no sin
antes haber participado de la guerra.
«Las cabezas enturbanadas se movían, y cada uno, secretamente,
rumiaba el mismo tímido pensamiento : el hombre adecuado era Raymond-Spartacus
Kassoumi, cuyo éxito universitario en el país de los Flençèssi se murmuraba en
el pueblo que lo decía, después de Dios, él! Más instruido que el más instruido
de los blancos : ¡o djangui koié !»
De la misma manera que se había enviado al hijo del pueblo a la guerra, se
instalaba en puestos directivos no a la nobleza y a la casta dirigente sino a
los hijos de los siervos. ¡Lo que evitaría muchos inconvenientes a los notables!
Saïf mantiene así la división entre el pueblo y la aristocracia,
constitutiva de la sociedad africana agregándole una división suplementaria
entre el bajo pueblo y las nuevas elites provenientes de esta misma capa
social. Estas elites serán desde entonces impermeables a las tradiciones
vernáculas.
«…desde las guerras mundiales en que el soldado negro había reventado
de violencia al servicio de Francia, se había creado una religión del Negro
bonachón, negrofilia filistea, sin obligación ni sanción, homóloga a los
mesianismos populares que cantan para el alma blanca y van a la negrada como su
mano a « Y’a bon Banania » (famosa publicidad de un cacao en polvo con un
negro que decía algo así como « Qué güeno Banania »)
En esas condiciones elegir a
Raymond-Spartacus Kassoumi, era colmar al pueblo que se exaltaba en el bebedero
de los destinos prodigiosos, y alabar al blanco que chillaría que había
civilizado al subdesarrollado: Ouhoum ! gollè wari ! »
Varios especialistas analizaron El deber de violencia. Lylian Kesteloot considera a la novela de Yambo Ouologuem como « una desmentida que destruye con una suerte de rabia el mito de un África precolonial idílica edificada por los escritores de la Negritud» (Los escritores negros de lengua francesa: nacimiento de una escritura. Bruselas, Éd.de l’Institut de Sociologie, 1971)
Antoine Marie Zacharie Habumukiza (Le devoir de violence de Yambo
Ouologuem, une lecture intertextuelle, Queen’s University, Kingston, Ontario, Canadá,
2009) nos habla de diversas intertextualidades (que algunos llamarán plagios)
en esta novela: «La lectura intertextual del Deber de violencia cruza
constantemente diferentes textos de la literatura mundial». Los textos citados
son tanto El último de los justos de André Schwartz-Bart como la Biblia o La
leyenda de San Julián el hospitalario de Gustave Flaubert.
Según este mismo investigador “la particularidad del Deber le viene, en
parte, de su escritura que reposa sobre prácticas intertextuales e
hipertextuales. Una buena parte de su literalidad se debe, en gran parte, a la
manera con que instituye relaciones complejas con las obras que le son
anteriores, por un lado, y con los discursos ideológicos y la tradición oral,
por el otro”.
Christofer Wise asegura en el prólogo de la edición 2003 de la novela,
publicada por Le Serpent à plumes, que “Ouloguem le dió el golpe de gracia a la
negritud de Senghor, abriendo así la vía a una literatura más auténtica,
liberada de esa necesidad enfermiza de edificar en África un pasado
falsificado.”
Puedo decir, por mi lado, que, a pesar de su estilo complejo, barroco,
esta novela me fascinó, me mantuvo sin aliento hasta su última página. Se
trata, además, de una novela que permite comprender muchas obras posteriores de
la literatura africana.
En castellano:
Deber de violencia, Yambo Ouologuem, traducción Emma Zappettini, Losada, 1969
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