RENÉ MARAN, LE PRÉCURSEUR - RENÉ MARAN, EL PRECURSOR

« On hume les odeurs du village, on en partage les repas, on voit l’homme blanc tel que l’homme noir le voit, et après y avoir vécu, on y trouve la mort. Voilà tout pour cette histoire mais quand on l’a lue, on a vu Batouala, et cela signifie que c’est un grand roman », Ernest Hemingway dans le Toronto Star, 1922.

Il y a tout juste cent ans, en octobre 1921, Batouala, véritable roman nègre, de René Maran, obtenait le prix Goncourt.

Abiola Irele, spécialiste de littérature francophone à l’université de Harvard, explique l’importance historique de ce roman :

« Le coup d’envoie de la prose africaine de langue française est lancé en 1921, par le roman Batouala… son portait sensible de la vie africaine, son évocation de l’environnement naturel n’a pas manqué d’exercer une profonde impression sur ses lecteurs africains, offrant un vif exemple de ce que peut offrir de meilleur le roman africain en français. »

Ce qui choque le plus, à l’époque, dans l’ouvrage publié par Albin Michel, c’est la préface dans laquelle Maran dresse une critique radicale de la colonisation, ce qui lui vaudra des problèmes avec le Ministère des colonies.   

« Après tout, s’ils crèvent de faim par milliers, comme des mouches, c’est que l’on met en valeur leur pays. Ne disparaissent que ceux qui ne s’adaptent pas à la civilisation.

Civilisation, civilisation, orgueil des Européens, et leur charnier d’innocents, Rabindranath Tagore, le poète hindou, un jour, à Tokyo, a dit ce que tu étais !

Tu bâtis ton royaume sur des cadavres. Quoi que tu veuilles, quoi que tu fasses, tu te meus dans le mensonge. À ta vue, les larmes de sourdre et la douleur de crier. Tu es la force qui prime le droit. Tu n’es pas un flambeau, mais un incendie. Tout ce à quoi tu louches, tu le consumes…

Honneur du pays qui m’a tout donné, mes frères de France, écrivains de tous les partis ; vous qui, souvent, disputez d’un rien, et vous déchirez à plaisir, et vous réconciliez tout à coup, chaque fois qu’il s’agit de combattre pour une idée juste et noble, je vous appelle au secours, car j’ai foi en votre générosité. »

René Maran, le lauréat du prix littéraire le plus prestigieux de France, sera absent à sa remise car ses fonctions comme administrateur colonial le retiennent en Oubangui-Chari, l’actuel Tchad.

Son père, le Guyanais Léon Maran, faisait déjà partie de cette administration quand René naît, le 5 novembre 1887, à Fort-de-France. La famille quitte bientôt la Martinique pour s’installer en Afrique équatoriale et, à l’âge de 7 ans, le futur écrivain entre en pensionnat à Bordeaux, où, il fait face, pour la première fois, à des manifestations de racisme. Au lycée Montaigne, à Paris, le jeune Maran fait la connaissance de Félix Éboué, futur gouverneur du Tchad, avec qui il joue au rugby. À 20 ans, il publie son premier recueil de poèmes.

Deux ans plus tard, il arrive au Tchad comme fonctionnaire de l’administration coloniale. Il y découvre la violence qu’il dénoncera quelques années plus tard dans Batouala.

Le cadre du roman est cet Oubangui-Chari que Maran connaît bien et son protagoniste, un homme noir, Batouala, qui plus est chef de village opposé à la colonisation des Français. Un cadre et un personnage peu habituels pour l’époque. Si peu habituels que les critiques s’acharnent sur le roman lui-même sans pouvoir échapper à leurs préjugés raciaux, comme l’explique Ferroudja Allouache :

« L’écrivain est sans cesse montré du doigt comme « nouveau » venu à la Civilisation, celle qui lui a tendu la main, l’a arraché à son milieu, à sa culture, à sa langue ; il doit rester au seuil. Seuil impossible à franchir : seuil de la langue, seuil de la littérature (ici le roman colonial, devenu un sous-genre autonome), seuil de la Nation. La lecture/ réception de l’œuvre procède souvent sur le mode du rejet, qu’il soit d’ordre linguistique, intertextuel ou moral. Tout se passe comme si l’idée pernicieuse mais souterraine qui irrigue les discours critiques était la difficulté, pour les chroniqueurs, à se reconnaître, à se retrouver dans le récit de Maran, bien que celui-ci évoque un contexte connu, réfère à une réalité proche – certes décalée – des textes littéraires sur l’Afrique.»

« …la langue est un instrument politique surtout quand il est question des écrivains dits francophones. Pour Maran, cette question n’aurait pas dû et ne devrait pas se poser puisqu’il est né « dedans ». Le talent s’exprime avant tout par le « génie » d’une langue, ici le français.

Or, Maran est très vite attaqué sur son français, son style. Les trouvailles, les inventions sont suspectes, mal reçues, incomprises. Benjamin Crémieux, qui salue en Batouala « un grand souci d’exotisme », en souligne néanmoins les manques : l’absence d’un lexique en fin d’ouvrage utile pour une meilleure compréhension. Le motif de la déception donne l’impression d’une attente déjà programmée et à laquelle l’auteur fait défaut, comme si la réception ne devait produire aucune surprise pour le chroniqueur interprète et intermédiaire entre l’œuvre et le public restreint de la prestigieuse Nouvelle Revue française. »

Batouala n’a rien d’un héros mythique. Il s’agit d’un homme avec ses qualités et ses défauts, qui observe le monde en mutation qui l’entoure à travers sa culture et ses propres pensées.

« Cette région était très riche en caoutchouc et très peuplée. Des plantations de toutes sortes couvraient son étendue. Elle regorgeait de poules et de cabris. Sept ans ont suffi pour la ruiner de fond en comble.

Les villages se sont disséminés, les plantations ont disparu, poules et cabris ont été anéantis. Quant aux indigènes, débilités par des travaux incessants, excessifs et non rétribués, on les a mis dans l’impossibilité de consacrer à leurs semailles même le temps nécessaire. Ils ont vu la maladie s’installer chez eux, la famine les envahir et leur nombre diminuer.

(…)

La civilisation est passée par là. Et dakpas, m’bis, maroukas, la’mbassis, sabangas et n’gapous, toutes les tribus bandas ont été décimées… »

Ce qui est remarquable dans ce roman de René Maran, c’est l’absence de manichéisme, ce que l’on a pu reprocher à certains ouvrages de la Négritude ; aussi bien les Blancs que les Noirs sont présentés avec leurs qualités et leurs défauts.

Deux mondes s’affrontent, celui du colonisateur mué par un cupidité sans limites, celui du colonisé, sidéré face à tant de violence. Il en fut de même, dans les années 1500, lorsque les Espagnols conquirent l’Amérique, il en est de même pour chaque colonisation. 

En 1947, René Maran publie la version définitive du roman Un homme pareil aux autres, son œuvre la plus intime car inspirée par sa propre vie. Jean Veneuse, son alter ego, quitte la France pour le Tchad où l’attend un poste dans l’administration coloniale. Il quitte aussi la femme qu’il aime, Andrée. Jean est antillais et noir, Andrée est blanche et parisienne.

La haine des autres envers sa couleur de peau devient, très souvent, une haine de soi. Ce roman permet à Maran de réfléchir sur le racisme en contexte colonial et sur les difficultés de conformer un couple mixte.

« Je sais à présent que ni l'éducation ni l'instruction ne prévalent contre les préjugés de race. Je sais que la plupart de mes chefs n'ont jamais voulu voir en moi qu'un nègre, qu'un "sale nègre", qu'il fallait tenir à l'écart, briser, humilier ; qu'un "sale nègre" indigne du moindre avancement et, malgré sa tenue, ou peut-être à cause d'elle, de toute considération. »

L’œuvre de René Maran, qui se compose aussi de poèmes, de récits et d’essais, ouvre le chemin non seulement aux écrivains de la Négritude mais aussi à tous les auteurs africains s’exprimant en français. Le centenaire de Batouala et de son prix Goncourt a permis de la redécouvrir.

Celui qui avait écrit ‘’Il n’y a pas de Blancs, il n’y a pas de Noirs, il n’y a que des hommes égaux ‘’, meurt à Paris en 1960. 

Références :

René Maran, Batouala, Magnard, 2008

René Maran, Un homme pareil aux autres, Éditions du Typhon, 2021

Ferroudja Allouache, « Impossible généalogie littéraire de René Maran », Continents manuscrits [En ligne], 17 | 2021, mis en ligne le 15 octobre 2021, consulté le 28 octobre 2021. https://doi.org/10.4000/coma.7064

https://renemaran.com/index.php/presentation/ 

«Se huelen los olores del poblado, se comparten las comidas, se ve al hombre blanco tal como lo ve el hombre negro, y después de haber vivido allí, se encuentra la muerte. Esto es todo lo concerniente a esta historia, pero cuando se la leyó, se conoció a Batuala, y esto significa que es una gran novela», Ernest Hemingway en el Toronto Star, 1922. 

Hace exactamente cien años, en octubre de 1921, Batouala, verdadera novela negra, de René Maran, obtenía el premio Goncourt.

Abiola Irele, especialista en literatura en francés en la Universidad de Harvard, explica la importancia histórica de esta novela:

«El primer golpe de la prosa africana en lengua francesa es lanzado en 1921, con la novela Batouala… su retrato sensible de la vida africana, su evocación del medio ambiente natural no dejó de ejercer una profunda impresión en los lectores africanos, dando un vivo ejemplo de lo mejor que puede ofrecer la novela africana en francés.»

Lo que más choca, en la época, de la novela publicada por Albin Michel, es el prólogo en el cual Maran presenta una crítica radical de la colonización, lo que le valdrá tener problemas con el Ministerio de las Colonias.

«Después de todo, si se mueren de hambre de a millares, como moscas, es porque valorizamos su país. Sólo desaparecen los que no se adaptan a la civilización.

¡Civilización, civilización, orgullo de los europeos y su tumba de inocentes, Rabindranath Tagore, el poeta hindú, un día, en Tokio, dijo lo que eras!

Levantas tu reino sobre cadáveres. Quieras lo que quieras, hagas lo que hagas, te movés en la mentira. Al verte, las lágrimas corren y el dolor grita. Sos la fuerza que prima sobre el derecho. No sos una antorcha sino un incendio. Consumís todo lo que tocás..

Honor del país que me ha dado todo, mis hermanos de Francia, escritores de todos los partidos, ustedes que a menudo se pelean por nada, y se destrozan a gusto, y se reconcilian de golpe, cada vez que se trata de combatir por una ide ajusta y noble, les pido me socorran, ya que tengo fe en su generosidad

René Maran, el ganador del premio literario más importante de Francia, estará ausente de su entrega ya que sus funciones como administrador colonial lo retienen en Ubangui-Chari, el actual Chad.

Su padre, el guyanés Léon Maran, ya formaba parte de esta administración cuando René nace, el 5 de noviembre de 1887, en Fort-de-France. La familia deja pronto la Martinica para instalarse en África ecuatorial, y, a la edad de 7 años, el futuro escritor entra como pupilo en Burdeos donde, por vez primera, enfrenta manifestaciones de racismo. En el liceo Montaigne de, en París, el joven Maran conoce a Félix Eboué, futuro gobernador de Chad, con quien juega al rugby.   A los 20 años publica su primer libro de poemas.

Dos años más tarde llega al Chad como funcionario de la administración colonial. Descubre allí la violencia que denunciará años después en Batouala.

El marco de la novela es ese Ubangui-Chari que Maran conoce bien y su protagonista, un hombre negro, Batouala, además jefe de poblado opuesto a la colonización de los franceses. Un marco y un personaje poco habituales para la época. Tan poco habituales que los críticos se encarnizan con la novela misma sin poder escapar de sus prejuicios raciales, como lo explica Ferroudja Allouache :

El escritor es mostrado sin cesar como el «recién llegado» a la Civilización, la que le ha tendido la mano, lo ha arrancado de su medio, de su cultura, de su lengua; debe permanecer en el umbral. Umbral imposible de franquear, umbral de la lengua, umbral de la literatura (aquí la novela colonial se ha vuelto un subgénero autónomo), umbral de la Nación. La lectura/recepción de la obra procede a menudo a la manera del rechazo, ya sea de orden lingüístico, intertextual o moral- Todo ocurre como si la idea perniciosa pero subterránea que irriga los discursos críticos fuera la dificultad, para los cronistas, en reconocerse, en encontrarse en el relato de Maran, aunque este evoque un contexto conocido, referido a una realidad cercana -por cierto, desfasada- de los textos literarios sobre África.”

«…la lengua es un instrumento político, sobre todo cuando se trata de escritores llamado francoparlantes. En el caso de Maran esto no habría debido ni debería plantearse ya que nació “dentro”. El talento se expresa ante todo por el « genio » de una lengua, en este caso el francés.

Maran es, empero, muy rápidamente atacado con respecto a su francés, su estilo. Los descubrimientos, las invenciones son sospechosas, mal recibidas, incomprendidas. Benjamin Crémieux, que saluda en Batouala «una gran preocupación por el exotismo», subraya sin embargo sus carencias: la ausencia de un léxico al final del libro, útil para una mejor comprensión. El motivo de la decepción da la impresión de una espera ya programada y a la que el autor falla, como si la recepción no debiera producir ninguna sorpresa para el cronista, intérprete e intermediario entre la obra y el público restringido de la prestigiosa   Nouvelle Revue française

Batouala no tiene nada de un héroe mítico. Se trata de un hombre con sus cualidades y sus defectos, que observa el mundo en mutación que lo rodea por intermedio de su cultura y de sus propios pensamientos.

«Esta región era muy rica en caucho y muy poblada. Plantaciones de todo tipo cubrían su extensión. Abundaba en gallinas y cabritos. Bastaron siete años para arruinar todo.

Los poblados se diseminaron, las plantaciones desaparecieron, gallinas y cabritos fueron aniquilados. En cuanto a los indígenas, debilitados por los trabajos incesantes, excesivos, y no retribuidos, se los puso en la imposibilidad de consagrarse a sus sembradíos aún el tiempo necesario. Vieron las enfermedades instaIarse entre ellos, la hambruna invadirlos y su número disminuir.

(…)

La civilización pasó por allí. Y dakpas, m’bis, maroukas, la’mbassis, sabangas y n’gapous, todas las tribus bandas fueron diezmadas…”

Lo notable en esta novela de René Maran es la ausencia de maniqueísmo, lo que pudo reprocharse a ciertas obras de la Negritud; tanto los blancos como los negros son presentados con sus virtudes y defectos.

Dos mundos se enfrentan, el del colonizador movido por una avidez sin límites, el del colonizado, estupefacto frente a tanta violencia. Ocurrió lo mismo, en los años 1500, cuando los españoles conquistaron América. Ocurre lo mismo con cada colonización.

En 1947, René Maran publica la versión definitiva de la novela Un hombre igual a los otros, su obra más íntima ya que inspirada en su propia vida. Jean Veneuse, su alter ego, abandona Francia para ir a Chad donde lo espera un puesto en la administración colonial. Abandona también a la mujer que ama, Andrée. Jean es antillano y negro, Andrée blanca y parisina.

El odio de los otros hacia su color de piel se vuelve, muy a menudo, un odio contra sí mismo. Esta novela le permite a Maran reflexionar sobre el racismo en contexto colonial y sobre las dificultades de formar una pareja mixta.

«Yo se ahora que ni la educación ni la instrucción prevalecen contra los prejuicios de raza. Se que la mayoría de mis jefes nunca quiso ver en mí otra cosa que un negro, «un sucio negro» que había que mantener separado, quebrar, humillar; sólo un “sucio negro” indigno de cualquier avance y, a pesar de su aspecto, o quizás a causa de él, indigno de cualquier consideración.» 

La obra de René Maran, que se compone también de poemas, relatos y ensayos, abre el camino no sólo a los escritores de la Negritud sino también a todos los autores africanos que se expresan en francés. El centenario de Batouala y de su premio Goncourt permitió redescubrirlo.

El que había escrito «No hay blancos, no hay negros, sólo hay hombres iguales», muere en París en 1960. 


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