Relire Steinbeck - Releer a Steinbeck

 

Certains auteurs du passé, proche ou lointain, peuvent nous éclairer sur cette époque si trouble où nous vivons. C’est le cas de Zola, de Baldwin, de Camus, d’Hugo… C’est le cas de John Steinbeck  et ses Raisins de la colère.

Pour preuve, ces extraits tirés d’un de ces chapitres où l’auteur américain s’évade de son histoire et de ses personnages, comme le faisait Hugo dans Les Misérables, pour mettre en lumière les travers de la société qu’ils subissent.

« La Banque ou la Compagnie… a besoin… veut… insiste… exige… comme si la Banque ou la Compagnie étaient des monstres doués de pensée et de sentiment qui les avaient eux-mêmes subjugués. Ceux-là se défendaient de prendre des responsabilités pour les banques ou les compagnies parce qu’ils étaient des hommes et des esclaves, tandis que les banques étaient à la fois des machines et des maîtres. Il y avait des agents qui ressentaient quelque fierté d’être les esclaves de maîtres si froids et si puissants. Les agents assis dans leurs voitures expliquaient : ‘’Vous savez que la terre est pauvre. Dieu sait qu’il y a assez longtemps que vous vous échinez dessus.’’ »

Et encore :

« Et nous on est nés ici. Là, sur la porte… nos enfants aussi sont nés ici. Et mon père a été forcé d’emprunter de l’argent. La banque était propriétaire à ce moment-là, mais on nous y laissait et avec ce qu’on cultivait on faisait un petit profit.


Nous savons ça… Nous savons tout ça. Ce n’est pas nous, c’est la banque. Une banque n’est pas comme un homme. Pas plus qu’un propriétaire de cinquante mille arpents, ce n’est pas comme un homme non plus. C’est ça le monstre.

D’accord, s’écriaient les métayers, mais c’est notre terre. C’est nous qui l’avons mesurée, qui l’avons défrichée. Nous y sommes nés, nous nous y sommes fait tuer, nous y sommes morts. Quand même elle ne serait plus bonne à rien, elle est toujours à nous.

C’est ça qui fait qu’elle est à nous… d’y être nés, d’y avoir travaillé, d’y être enterrés. C’est ça qui donne le droit de propriété, non pas un papier avec des chiffres dessus.

Nous sommes désolés. Ce n’est pas nous. C’est le monstre. Une banque n’est pas comme un homme. »

Ce roman, dont le titre provient d’un chant abolitionniste, The Battle Hymn of the Republic, que j’écoutais il y a presque 60 ans dans la voix de Joan Baez, retrace le calvaire de la famille Joad, pendant la crise des années 30, et qui, en raison des tempêtes de poussière, le Dust Bowl, produites par la sécheresse, perd ses récoltes, ce qui l’oblige à partir à la recherche d’un avenir meilleur.

Tout ceci nous parle, et nous parle très fort. En ce XXIe siècle, le libéralisme extrême dépossède du peu qu’ils avaient des milliers de personnes et, d’autre part, le désastre climatique en oblige d’autres à quitter leurs terres. Et les pays qui se disent gardiens de la civilisation leur ferment leurs portes et les chassent souvent violemment.

Steinbeck ne nous présente point, cependant, une image idyllique de la vie antérieure à la crise. Les hommes sont violents, les femmes et les enfants soumis et silencieux.

Au tout début du roman, le jeune Tom Joad rentre chez lui après avoir passé quatre ans en prison pour meurtre.

« — On était saouls, fit à mi-voix Joad. Saouls, à un bal. J’sais pas comment que ça a commencé. Et puis j’ai senti ce couteau qui me rentrait dedans et ça m’a dessaoulé d’un coup. Et v’là que je vois Herb qui se ramène encore une fois avec son couteau. Y avait cette pelle qu’était là contre le mur de l’école, alors je l’ai attrapée et je lui en ai foutu un coup sur la tête. J’avais jamais rien eu à reprocher à Herb. C’était un brave type. Il courait tout le temps après ma sœur Rosasharn quand il était tout gosse. Non, je l’aimais bien, Herb. »

Quand Tom arrive chez lui,, la maison est pour ainsi dire détruite et vide, de ses habitants et même de ses meubles.

Un voisin qui refuse de quitter sa terre, Muley, lui apprend que sa famille, quand le tracteur s’en est pris à la demeure et a commencé à transformer leur cour en champ de coton, a décidé de fuir vers la Californie, mais qu’avant de pouvoir le faire, ils logent chez son oncle John.

« — Je ne sais combien de fois, la nuit, dans ma couchette, je me représentais comment ça serait quand je reviendrais à la maison. Je pensais que Grand-père et Grand-mère seraient peut-être morts et qu’il y aurait peut-être quelques nouveaux gosses. Pa serait peut-être un peu moins dur. Man prendrait peut-être un peu de repos et laisserait l’ouvrage à Rosasharn. Je savais que ça ne serait plus pareil qu’avant. Enfin, va falloir dormir ici, j’imagine, et au petit jour on ira trouver l’oncle John. »

Il entreprendra le voyage accompagné de Casy, un pasteur qui n’exerce plus son ministère.  Avant de partir, la nuit tombée, les trois hommes sont obligés de se cacher dans un champ de coton pour ne pas être découverts par la police.

« J’aurais jamais pensé qu’il faudrait que je me cache sur les terres de mon père », dit alors Tom Joad.

Le chapitre VIII, lorsque Tom Joad retrouve sa famille, est une preuve de l’art de portraitiste de John Steinbeck.

« Il était coiffé d’un vieux feutre sale. Sur sa chemise de travail bleue, il portait un gilet sans boutons. Son pantalon était retenu par une large courroie de harnais avec une grande boucle de cuivre, cuir et métal polis par des années d’usage ; ses souliers étaient craquelés et les semelles en étaient gonflées, recourbées du bout en forme de sabot après des années de soleil, d’humidité et de poussière. Les manches de sa chemise, retenues par les muscles puissamment gonflés, lui serraient les bras. Il avait les hanches minces, le ventre plat, les jambes courtes, lourdes et fortes. Son visage, encadré par une barbe dure, poivre et sel, semblait tiré vers son menton, un menton énergique, proéminent, modelé par la barbe qui était plus sombre à cet endroit, alourdissant et renforçant la saillie de la mâchoire. Sur les pommettes du vieux Tom, où la barbe n’avait pas accès, la peau était aussi brune que de l’écume de pipe, et une patte-d’oie la ridait au coin de ses yeux constamment clignés. Il avait les yeux bruns, bruns comme des grains de café, et quand il regardait quelque chose il tendait la tête en avant, car ses yeux sombres et brillants avaient faibli. Ses lèvres d’où sortaient les gros clous étaient minces et rouges. »

Plus les Joad, ainsi que tous les milliers de personnes qui fuient vers la Californie, s’en approchent, plus le paradis qu’ils avaient échafaudé dans leurs rêves s’étioles. Comment ne pas penser aux migrants du XXIe siècle, beaucoup d’entre eux chassés de leur pays par la désertification et la misère. 

« De fermiers, ils étaient devenus des émigrants. Et leurs pensées, leurs projets, leurs longs silences contemplatifs qui avaient eu autrefois pour objet leurs champs, visaient maintenant la grand-route, la distance à parcourir, l’Ouest. Tel homme, dont le cerveau jadis ne concevait qu’en hectares, se voyait à présent confiné pendant des milliers de milles, sur un étroit ruban de ciment. Et ses pensées, ses inquiétudes, n’allaient plus aux chutes de pluie, au vent, à la poussière ou à la croissance de la récolte. Les yeux surveillaient les pneus, les oreilles écoutaient le cliquetis des moteurs, les cerveaux étaient occupés d’huile, d’essence, supputaient anxieusement l’usure du caoutchouc entre le matelas d’air et la route. Un seul désir l’obsédait : l’eau de l’étape du soir, l’eau et les choses à mijoter sur le feu. Car la santé, seule, importait, la santé pour aller de l’avant, la force d’aller de l’avant, et le cœur d’aller de l’avant. Toutes les volontés étaient tendues, braquées devant eux, et leurs craintes, autrefois concentrées sur la sécheresse ou l’inondation, s’attardaient maintenant sur tout ce qui était susceptible d’entraver leur lente progression vers l’Ouest.

Les campements devinrent fixes, chaque emplacement à une courte journée du suivant. »

Le rejet de l’autre se met en évidence dans le dialogue entre un policier californien et Man Joad. Les Okies des années 30 aux États-Unis sont les « bougnoules » de France, les « negros de mierda » d’Argentine, et tant d’autres qualificatifs qui fleurissent ces jours-ci.. Il suffit de parler différemment, de manger différemment, pour être exclu.

« — D’où venez-vous ?

— De tout près de Sallisaw, dans l’Oklahoma.

— Eh ben, vous ne pouvez pas rester ici.

— On a dans l’idée de repartir ce soir et de traverser le désert.

— C’est ce que vous avez de mieux à faire. Si je vous retrouve ici demain à la même heure, je vous embarque. Nous ne voulons pas en voir de votre espèce s’installer ici.

De fureur, le visage de Man s’assombrit. Elle se mit lentement debout, se courba et prit la poêle de fer dans la caisse aux ustensiles de cuisine.

— Vous avez beau avoir un insigne en fer-blanc et un revolver, là d’où je viens, vous auriez juste le droit de vous taire.

Armée de sa poêle, elle s’avança vers lui. Il fit jouer le revolver dans son étui.

— C’est bien ça ! fit Man. Faire peur aux femmes. Encore heureux que les hommes ne soient pas là. Ils vous auraient écharpé. Dans mon pays les gens comme vous apprennent à tenir leur langue.

L’homme recula.

— Oui, ben vous n’êtes pas dans vot’ pays, ici. Vous êtes en Californie et nous ne voulons pas voir de damnés Okies s’installer ici.

Man s’immobilisa, intriguée.

— Okies ? dit-elle à mi-voix. Des Okies ?

— Parfaitement des Okies. Et si vous êtes encore là quand je reviens demain, je vous colle au violon ! Il fit demi-tour et s’en alla cogner sur la tente voisine.

— Qui est là-dedans ? fit-il »

Le peu d’espoir qu’il restait aux Joad commence son agonie lorsqu’ils arrivent à Hooverville. On appelait ainsi les camps de fortune, les bidonvilles, où s’installaient les migrants en quête d’un meilleur avenir en Californie. Hooverville, la « jungle » de Calais, les « villas miseria », les camps de migrants de l’île de Lesbos…

« Le camp était aménagé sans ordre. Tentes, baraques, autos, étaient disséminées au hasard. La première demeure avait un aspect invraisemblable. Trois plaques de tôle rouillée en constituaient la façade sud, un carré de tapis moisi tendu entre deux planches la façade est, un bout de papier goudron et un lambeau de toile déchiquetée la façade nord, et six vieux sacs la façade ouest. Au-dessus de cette armature carrée, sur des branches de saule non élaguées, on avait empilé de l’herbe, non pas du chaume, mais des mottes de gazon en forme de pyramide. L’entrée, côté sacs, était encombrée d’ustensiles divers. Un bidon de pétrole de cinq gallons servait de poêle. Il était posé sur le flanc et était muni à une extrémité d’un bout de tuyau rouillé. Une vieille lessiveuse traînait à côté, en équilibre instable, et toute une série de caisses gisaient çà et là, caisses pour s’asseoir, caisses pour manger. Une antique Ford conduite intérieure série T et une remorque à deux roues étaient garées près de la bicoque ; l’ensemble avait un air minable et désolé. »

John Steinbeck nous alertait déjà, en 1939, sur ce qui maintenant a pris une ampleur globale, les entreprises et les banques, le Monstre, qui ne recherchent que le gain de leurs actionnaires, l’être humain qui devient une denrée périssable et jetable, tandis que la planète est près d’exhaler son dernier souffle pollué de CO2 !

« À ce moment, ils cessèrent d’être tourmentés par cette faim sauvage, dévorante, qui les avait poussés en avant, faim de terre, d’eau, de sol fertile sous un plafond de ciel bleu, faim de pousses vertes et de racines gonflées de sève. Toutes ces choses, ils les avaient, ils en étaient si riches qu’ils finissaient par ne plus les voir. Ils n’étaient plus tenaillés par le désir forcené d’un bel arpent de terre meuble, d’une charrue au soc luisant pour le labourer, de graines à jeter au vent et d’un petit moulin qui ferait tourner ses ailettes dans le ciel. Ils ne se levaient plus pour écouter dans l’obscurité le premier gazouillis des oiseaux encore ensommeillés ou la première caresse de la brise matinale en attendant qu’il fît jour pour aller travailler à leurs champs bien-aimés. En perdant leur faim, ils avaient perdu le sentiment de ces choses, et maintenant les récoltes se chiffraient en dollars, la terre était devenue un capital producteur d’intérêts et les moissons étaient vendues et achetées avant que la graine ne fût semée. Alors une mauvaise récolte, une période de sécheresse, une inondation, n’étaient plus autant de petites morts hachant le cours de l’existence, mais de simples pertes d’argent. Et tout l’amour qu’ils portaient en eux se desséchait au contact de l’argent ; toute leur ardeur, toute leur violence se désagrégeaient et se perdaient en de sordides questions d’intérêts jusqu’au moment où, de fermiers qu’ils avaient été, ils devinrent de minables marchands de produits de la terre, des petits commerçants acculés à l’obligation de vendre leur marchandise avant de l’avoir fabriquée. Et les fermiers qui n’étaient pas bons commerçants perdirent leur terre au profit de ceux qui l’étaient.

Nul homme, quelles que fussent ses capacités, quel que fût son amour de la terre et des choses qui poussent, ne pouvait subsister s’il n’était en même temps bon commerçant. Et petit à petit, les fermes tombèrent aux mains des hommes d’affaires ; elles s’agrandirent mais diminuèrent en nombre.

L’agriculture devenait une industrie et les propriétaires terriens suivirent. »

Le roman se termine toutefois par une scène profondément émouvante. Rose de Saron, qui a perdu l’enfant qu’elle attendait, allaite un homme qui agonise d’avoir cessé de se nourrir pour que son fils puisse le faire.

« Rose de Saron murmura :

— Vous… vous voulez… sortir, tous ?

La pluie balayait doucement le toit.

Man se pencha ; de la paume de sa main elle ramena en arrière les cheveux emmêlés de sa fille, puis elle l’embrassa sur le front. Ensuite, elle se leva prestement.

— Venez tous, appela-t-elle. Venez dans le fournil.

Ruthie ouvrit la bouche, s’apprêtant à dire quelque chose.

— Chut ! lui dit Man. Tais-toi et file.

Elle les fit passer devant, emmena le jeune garçon et referma la porte grinçante derrière elle.

Dans la grange pleine de chuchotements et de murmures, Rose de Saron resta un instant immobile. Puis elle se remit péniblement debout, serrant le châle autour de ses épaules. Lentement, elle gagna le coin de la grange et se tint plantée devant l’étranger, considérant la face ravagée, les grands yeux angoissés. Et lentement elle s’étendit près de lui. Il secoua faiblement la tête. Rose de Saron écarta un coin du châle, découvrant un sein.

— Si, il le faut, dit-elle.

Elle se pressa contre lui et attira sa tête vers elle.

— Là ! Là.

Sa main glissa derrière la tête et la soutint. Ses doigts caressaient doucement les cheveux de l’homme. Elle leva les yeux, puis les baissa et regarda autour d’elle, dans l’ombre de la grange. Alors ses lèvres se rejoignirent dans un mystérieux sourire.”

Tout n’est pas encore perdu, semble nous dire Steinbeck. Au beau milieu de la catastrophe, un geste  humain peut faire renaître l’espoir.

Algunos autores del pasado, cercano o alejado, pueden aclararnos sobre esta época tan turbulenta en que vivimos. Es el caso de Zola, de Baldwin, de Camus, de Hugo… Es el caso de John Steinbeck y sus Viñas de ira.

Como prueba estos fragmentos extraídos de uno de los capítulos en que el autor norteamericano se evade de su historia y de sus personajes, como lo hacía Hugo en Los Miserables, para poner a la luz los problemas sociales que estos sufren.

« El Banco o la Compañía… necesita… quiere… insiste… exige… como si el Banco o la Compañía fueran monstruos dotados de pensamiento y de sentimientos que los habían subyugado a ellos mismos. Estos negaban tomar responsabilidades por los bancos o las compañías ya que eran hombres y esclavos, mientras que los bancos eran a la vez máquinas y amos. Había agentes que sentían un cierto orgullo por ser los esclavos de amos tan fríos y poderosos. Los agentes, sentados en sus coches, explicaban: ‘’Ustedes saben que la tierra es pobre.  Dios sabe cuanto hace que ustedes se desloman encima de ella.’’»

Y aún:

« Y nacimos aquí. Allá, sobre esa puerta… nuestros hijos también nacieron aquí. Y mi padre estuvo obligado a sacar un préstamo. El banco era propietario en ese momento, pero nos dejaron aquí y con lo que cultivábamos teníamos una pequeña ganancia.

Sabemos eso… Sabemos todo eso. No somos nosotros, es el banco. Un banco no es como un hombre. Tampoco el dueño de cincuenta mil acres, tampoco es como un hombre. Ese es el monstruo.

De acuerdo, exclamaban los granjeros, pero es nuestra tierra. Nosotros la medimos, la limpiamos. Aquí nacimos, aquí nos hicimos matar, aquí morimos. Aunque no sirva para nada. Sigue siendo nuestra. 

Eso hace que sea nuestra… haber nacido en ella, estar enterrados en ella. Eso nos da el derecho de propiedad, no un papel con cifras encima.

Lo sentimos mucho. No somos nosotros. Es el banco. Un banco no es como un hombre

Esta novela, cuyo título proviene de un canto abolicionista, The Battle Hymn of the Republic, que escuchaba, hace casi 60 años, en la voz de Joan Baez, traza el calvario de la familia Joad, durante la crisis de los años 30, y que, a causa de las tormentas de polvo, el Dust Bowl, producidas por la sequía, pierde sus cosechas, lo que la obliga a partir en busca de un mejor porvenir.   

Todo esto nos habla, y nos habla muy fuerte. En este siglo XXI el liberalismo extremo despoja de lo poco que tenían a miles de personas, y, por otra parte, el desastre climático obliga a otros a abandonar sus tierras. Y los países que se dicen custodios de la civilización les cierran sus puertas y los rechazan violentamente.

Steinbeck no nos presenta en absoluto, sin embargo, una imagen idílica de la vida anterior a la crisis. Los hombres son violentos, las mujeres y los niños sumisos y silenciosos.

A comienzos de la novela el joven Tom Joad vuelve a casa después de haber pasado cuatro años en la cárcel por asesinato.

« — Estábamos borrachos, dijo a media voz Joad. Borrachos, en un baile. No se cómo empezó. Y luego sentí ese cuchillo que me entraba dentro y de golpe, se me fue la borrachera. Y ahí lo veo a Herb que vuelve otra vez con su cuchillo. Estaba esa pala contra la pared de la escuela, entonces la agarré y le pegué un golpe en la cabeza. No tenía nada que reprocharle a Herb. Era un buen tipo. Corría todo el tiempo detrás de mi hermana Rosasharn cuando era muy pibe. No, yo lo apreciaba a Herb. »

Cuando Tom llega a su casa, esta es por así decir una ruina y está vacía, de sus habitantes y aún de sus muebles.

Un vecino que se niega a dejar su tierra, Muley, le avisa que su familia, cuandó el tractor atacó la morada y comenzó a transformar su patio en campo de algodón, decidió huir hacia California, ,pero que antes de poder hacerlo, se alojan en lo del su tío John.

« — No sé cuántas veces, de noche, en mi cucheta, me representaba cómo sería cuando volviera a casa. Pensaba que el Abuelo y la Abuela podrían quizás haber muerto y que habría quizás algunos niños más. Pa sería quizás algo menos duro, Ma se tomaría quizás un poco de descanso y dejaría el trabajo a Rosasharn. Sabía que no sería lo mismo que antes. En fin, vamos a tener que dormir aquí, me imagino, y al amanecer ir a encontrar al tío John.»

Emprenderá el viaje acompañado por Casy, un pastor que ya no ejerce su ministerio. Antes de partir, al caer la noche, los tres hombres son obligados a esconderse en un campo de algodón para no ser descubiertos por la policía.

« Nunca hubiera pensado que tendría que esconderme en las tierras de mi padre», dice entonces Tom Joad.

El capítulo VIII, cuando Tom Joad se reúne con su familia, es una prueba del arte de retratista de John Steinbeck.

« Lucía un viejo sombrero de fieltro sucio. Sobre su camisa de trabajo azul, llevaba un chaleco sin botones. Su pantalón se mantenía gracias a una ancha correa de arnés con una gran hebilla de cobre, el cuero y el metal pulidos por años de uso; sus zapatos estaban cuarteados y sus suelas estaban hinchadas, curvas en la punta en forma de zuecos después de años de sol, de humedad y de polvo. Las mangas de su camisa, retenidas por los músculos poderosamente inflados, le apretaban los brazos. Tenía caderas delgadas, el vientre chato, las piernas cortas, pesadas y fuertes. Su rostro, enmarcado por una barba dura, canosa, parecía estirado hacía su mentón, un mentón enérgico, prominente, modelado por la barba que era más oscura en ese lugar, haciendo más pesada y reforzando la saliente de la mandíbula. En los pómulos del viejo Tom, donde la barba no llegaba, la piel era tan morena como la espuma de una pipa, y una pata de gallo le arrugaba el rabillo de los ojos, constantemente guiñando. Tenía ojos marrones como granos de café y cuando miraba algo inclinaba la cabeza hacia adelante ya que sus ojos o0scuros y brillantes se habían debilitado.  Sus labios, de los que salían los gruesos clavos eran delgados y rojos. »

Cuanto más los Joad, así como las miles de personas que huyen hacia California, se acercan de allí, mpas se desmorona el paraíso que sus sueños habían construido. Cómo no pensar en los migrantes del siglo XXI, muchos de ellos dejando su país a causa de la desertificación y la miseria.

« De granjeros que eran se habían vuelto inmigrantes. Y sus pensamientos, sus proyectos, sus largos silencios contemplativos que habían tenido otrora como tema sus campos, apuntaban ahora la gran ruta, la distancia que debían recorrer, al Oeste. Tal hombre, cuyo cerebro no concebía antes más que en hectáreas, se veía ahora confinado a pensar en miles de millas, en una estrecha cinta de cemento. Y sus pensamientos, sus inquietudes, ya no se dirigían a las caídas de lluvia, hacia el viento, hacia el polvo o el crecimiento de las cosechas.Los ojos vigilaban los neumáticos, los oídos escuchaban los ruidos de los motores, los cerebros se ocupaban de aceite, de nafta, calculaban ansiosamente el desgaste de la goma entre la cámara de aire y la ruta. Un solo deseo lo obsesionaba, el agua de la etapa nocturna, el agua y lo que se cocinaría sobre el fuego. Ya que sólo importaba la salud, la salud para ir hacia adelante, la fuerza para ir hacia adelante y el corazón para ir hacia adelante. Todas las voluntades estaban tensas, enfocadas hacia adelante, y sus temores, otrora concentrados en la sequía o la inundación, se ocupaban ahora de todo lo que era susceptible de retardar su lenta progresión hacia el Oeste.

Los campamentos se volvieron fijos, cada uno a corta distancia del siguiente.»

El rechazo del otro se pone en evidencia en el diálogo entre un policía californiano y Ma Joad. Los Okies de los años 30 en los Estados Unidos son los “bougnoules” de Francia, los “negros de mierda” de Argentina y tantos otros calificativos que florecen en estos días. Basta hablar de manera diferente, comer de manera diferente, para ser excluido.  

« — ¿De dónde vienen?’

— De muy cerca de Sallisaw, en Oklahoma.

— Bueno, no pueden quedarse aquí.

— Tenemos la idea de irnos esta tarde y cruzar el desierto.

— Es lo mejor que pueden hacer. Si los encuentro aquí mañana a la misma hora, me los llevo. No queremos ver gente de su especie instalarse aquí.

El rostro de Ma se ensombreció de furor. Se puso lentamente de pie, se inclinó y tomó la sartén de hierro de la caja de utensilios de cocina.

—Por más que tenga una insignia de hojalata y un revólver, de donde vengo, sólo tendría derecho de callarse.  

Armada con su sartén, avanzó hacia él. Hizo moverse al revólver en su estuche.

— ¡Qué bien! Asustar a las mujeres. Tuvo suerte que los hombres no estuvieran. Lo hubieran hecho pedazos. En mis pagos la gente como usted aprende a cuidar su lengua.

El hombre retrocedió.

— Sí, pero no está en sus pagos. Está en California y no queremos ver malditos Okies instalarse aquí.

Ma se inmovilizó, intrigada.

— ¿Okies? Dijo. ¿Okies?

— Exactamente Okies. ¡Y si todavía están acá cuando vuelva mañana, los meto en cana! Dio media vuelta y fue a golpear a la carpa vecina.

— ¿Quién está ahí? dijo

La poca esperanza que les quedaba a los Joad comienza su agonía cuando llegan a Hooverville. Así llamaban a los campos de fortuna, los campamentos donde se instalaban los migrantes en busca de un futuro mejor en California. Hooverville, la “jungla” de Calais, las “villas miseria”, los campos de migrantes en la isla de Lesbos…


« El campamento estaba organizado sin orden. Carpas, casuchas, autos, estaban diseminados al azar. La primera vivienda tenía un aspecto inverosímil. Tres chapas herrumbradas constituían la fachada sur, un cuadrado de alfrombre enmohecida tendido entre dos placas, la fachada este, un pedazo de papel alquitranado y un retazo de tela deshilachada, la fachada oeste, y seis viejas bolsas, la fachada oeste. Por encima de este armazón cuadrado, sobre ramas de sauce no podadas, se había apilado pasto, no paja, sino trozos de césped en forma de pirámide. En la entrada, del lado de las bolsas, se amontonaban utensilios diversos. Un bidón de petróleo de cinco galones servía de estufa. Estaba ubicado sobre el costado y tenía en su extremidad un pedazo de caño oxidado. Un viejo lavarropas se encontraba a su lado, en equilibrio inestable, y toda una serie de cajones yacían aquí y allá, cajones para sentarse, cajones para comer. Un antiguo Ford T y un remolque con dos ruedas estaban estacionados cerca de la casucha, el conjunto tenía un aspecto lamentable y desolado.»

John Steinbeck ya nos alertaba en 1939, sobre lo que ahora ha tomado una amplitud global, las empresas y los bancos, el Monstruo, que sólo buscan la ganancia para sus accionistas, el ser humano se vuelve un bien perecedero y desechable, mientras que el planeta está por exhalar su último aliento contaminado de CO2.

«En ese momento dejaron de ser atormentados por ese hambre salvaje, devoradora, que los había impulsado hacia adelante, hambre de tierra, de agua, de suelo fértil bajo un techo de cielo azul, hambre de brotes verdes y de raíces llenas de savia.  Todas esas cosas, las tenían, eran tan ricos que terminaban por no verlas. Ya no les movía el deseo irrefrenable de un lindo acre de tierra blanda, de un arado de reja brillante para trabajarla, de semillas para arrojar al viento y de un molinito que haría girar sus alas en el cielo. Ya no se levantaban para escuchar en la oscuridad el primer canto de las aves todavía adormecidas o la primera caricia de la brisa matutina esperando que amaneciera para ir a trabajar sus campos bien amados. Al perder su hambre, habían perdido su sentimiento po restas cosas, y ahora las cosechas se contaban en dólares, la tierra se había vuelto un capital productor de intereses y las cosechas eran vendidas y compradas antes de que los granos hubieran sido sembrados. Entonces, una mala cosecha, un período de sequía, una inundación, ya no eran pequeñas muertes cortando el curso de la existencia, sino simples pérdidas de dinero. Y todo el amor que llevaban en ellos se secaba al contacto con el dinero, todo su ardor, toda su violencia se volvían polvo y se perdían en sórdidas cuestiones de intereses hasta el momento en que, de granjeros que habían sido, se volvieron lamentables vendedores de productos de la tierra, pequeños comerciantes movidos por la obligación de vender su mercadería antes de haberla fabricado. Y los granjeros que no eran buenos comerciantes perdieron su tierra en provecho de aquellos que lo eran.

Ningún hombre, cualesquiera fuesen sus capacidades, cualquiera fuese su amor por la tierra y pour lo que crece, podía subsistir si no era al mismo tiempo un buen comerciante. Y poco a poco, las granjas cayeron en manos de los empresarios, se agrandaron pero su número disminuyó.

La agricultura se volvía una industria y los propietarios de tierra continuaron.»

La novela se termina, sin embargo, con una escena profundamente conmovedora, Rosa de Sharon, que ha perdido al niño que esperaba, amamanta a un hombre que agoniza por haber dejado de alimentarse para que su hijo pudiera hacerlo.  

« Rosa de Sharon murmuró:

— ¿Pueden…salir,… todos?

La lluvia barría suavemente el techo.

Ma se inclinó, con la palma de la mano trajo para atrás los cabellos enredados de su hija, luego la besó en la frente. Se levanto rápidamente.

— Vengan todos, llamó, vengan todos a la cocina.  

Ruthie abrió la boca, estaba por decir algo.

— ¡Chito! Le dijo Ma. Callate y andá.

Los hizo pasar delante, llevó al muchacho y cerró la puerta chirriante tras de sí.

En la granja lleva de cuchicheos y de murmullos, Rosa de Sharon permaneción un instante inmóvil. Luego se puso de pie trabajosamente, apretando la pañoleta alrededor de sus hombros. Lentamente fue al costado de la granja y se mantuvo delante del extranjero, observando su cara destruida, sus grandes ojos angustiados. Y lentamente se acostó a su lado. El movió débilmente la cabeza. Rosa de Sharon apartó la punta de la pañoleta, mostrando un seno.

— Sí, es necesario, dijo.

Se acercó y atrajo su cabeza hacia ella.

— ¡Aquí! Aquí.

Su mano se deslizó detrás de la cabeza y la sostuvo. Sus dedos acariciaban suavemente los cabellos del hombre. Levantó los ojos, luego los bajó y miró a su alrededor, en las sombras de la granja. Entonces, sus labios se unieron en una misteriosa sonrisa.”

Todo no está aún perdido, parece decirnos Steinbeck. En medio de la catástrofe, un gesto humano puede hacer renacer la esperanza.

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