L’envers du décor – La otra cara

 Le rire des déesses, Ananda Devi

Grasset, 2021

Aujourd’hui, au moment où l’on dévoile, en France, le nombre de 216.000 victimes de la pédocriminalité de l’Église catholique, je viens de finir le roman Le rire des déesses de l’autrice mauricienne d’origine indienne Ananda Devi, dans lequel l’un des thèmes centraux est la mainmise d’un gourou sur une enfant.

«  Depuis la terrasse de la Maison, j’ai tout vu. J’ai vu Shivnath emmenant Chinti avec la superbe de celui auquel rien ne saurait être refusé, celui auquel la terre elle-même appartient puisqu’il a l’appui des dieux, celui devant lequel tant de gens se prosternent qu’il prend leur adoration pour son dû. » Ananda Devi dresse ici le portrait exact de ceux qui détiennent le pouvoir, soit pour des raisons économiques ou politiques, soit pour des raisons soi-disant spirituelles, en Inde, dans ce début du XXIe siècle. En Inde aussi bien qu’ailleurs.

Le roman commence dans la Ruelle où habitent les prostitués les plus misérables et les « hijras », ces femmes nées dans un corps d’homme, d’une grande ville indienne.

Ananda Devi nous dépeint ce décor sinistre avec le talent d’un Zola de ce siècle.

« Dans cette Ruelle aux flaques d’eau croupies, jamais évacuées, parmi la mousse qui tapisse les murs et les ordures entassées dans les recoins, elles ressemblent, de loin, à des étoiles colorées. Des éclats de verre, de rire, qui captent les rares lumières. Mais allons plus près, plus près : dans ces corps bariolés de jaune safran, d’orange cuivré, de vert limon s’est installée la plus parfaite obscurité. L’espoir s’y réfugie pour mourir. »

Veena, l’une de ces femmes que le destin a poussée dans la Ruelle, est une femme révoltée. Elle a une enfant, fruit d’un viol, non désirée, à tel point qu’elle ne lui a jamais donné de nom.

« …Veena n’a jamais éprouvé le besoin de lui en donner un, espérant que cette absence d’identité la ferait vite disparaître. Mais l’enfant a résisté, tenace comme toutes les mauvaises herbes. »

Un jour, la petite découvre une fente dans la cloison qui la sépare de l’endroit où sa mère exerce son commerce. Elle y colle ses yeux.

« Les fesses de l’homme sont velues, divisées par une raie sombre et rouge. Les jambes de sa mère, au-dessous, sont des poissons morts. Une chaînette en argent encercle ses chevilles. Le derrière de l’homme s’élève et se rabaisse en rythme. Cela fait rire la petite. »

L’écrivaine mauricienne n’y va pas par quatre chemins dans ses descriptions. Et c’est très bien ainsi.

C’est à ce moment-là que la petite fille décide de se baptiser elle-même, elle s’appellera Chinti, la fourmi.

« Elle sera celle qui se glissera dans les interstices, verra tout et ne sera vue de personne. Elle risquera peut-être d’être écrasée par des pieds trop lourds mais saura toujours se cacher avant que cela n’arrive et les mordra en retour. Chinti n’est pas une petite fille mais un insecte aux mandibules puissantes, aux antennes sensibles, aux pattes agiles. »

S’étant donné un nom, on pourrait dire que l’enfant acquiert une vraie existence. Elle danse, prend soin d’elle-même, dans la mesure du possible, elle se lie d’amitié avec Bholi, « qu’on croit idiote mais qui ne l’est pas, qui garde pour elle ses pensées et ses rêves. » Le premier grand chagrin de Chinti, son premier drame, sera la mort de Bholi, sa seule amie.

Et c’est là qu’entre en scène Shivnath, un homme qui, à priori, n’aurait rien à faire dans cette Ruelle ignoble. Un « swami », un homme des dieux. Propre, étincelant même, bien habillé, dans un autre contexte, ce pourrait être un politicien, une star des réseaux sociaux ou, bien sûr, un religieux.

Shivnath s’entiche tout d’abord de Veena, si différente des autres prostitués avec son sourire qui cache tant de rage, jusqu’à ce qu’il découvre la petite Chinti et qu’il jette son dévolu sur elle.

Tout se précipite, Shivnath réussit à emmener la petite chez lui, dans son temple clinquant et l’amour maternel que Veena avait soigneusement annulé dans son cœur, éclate.

Quand le swamy décide de faire consacrer Chinti fille de la déesse Kali à Bénarès, ville sacrée, ville cimetière ancestrale, Veena, alliée à Sadhana, une hijra qui est aussi la narratrice du roman, ainsi qu’à toute une cohorte de femmes révoltées, décident de le suivre et de mettre fin à ses agissements.

Le rire des déesses est un roman social à la Hugo, dans lequel les péripéties nous tiennent en haleine jusqu’à la toute dernière page.

Ananda Devi, avec sa prose flamboyante et engagée, excelle dans l’art de la description, aussi bien des personnes que des endroits. Les pages consacrées à la ville sainte de Bénarès valent, à elles seules, le détour.

Un roman magnifique qui nous présente l’envers du décor d’une Inde réelle, intolérante et patriarcale.

 

Hoy, en momentos en que revelan, en Francia, el número de 216.000 víctimas de la pedocriminalidad de la Iglesia católica, acabo de terminar la novela  Le rire des déesses (La risa de las diosas) de la autora mauriciana de origen indio Ananda Devi, en la que uno de los temas centrales es el abuso de un gurú sobre una niña.

«  Desde la terraza de la Casa, vi todo. Vi a Shivnath llevando a Chinti con la soberbia de aquel a quien nada puede ser negado, aquel a quien la misma tierra pertenece ya que cuenta con el apoyo de los dioses, aquel ante quien tanta gente se prosterna que toma su adoración como algo que le deben.» Ananda Devi hace aquí el retrato exacto de aquellos que tienen el poder, ya sea por razones económicas o políticas, ya sea por razones aparentemente espirituales, en la India, en este comienzo de siglo XXI. En la India como en otros lados.

La novela comienza en la Callejuela donde habitan las prostitutas más miserables y las « hijras », esas mujeres nacidas en un cuerpo de hombre, de una gran ciudad india.

Ananda Devi nos pinta este decorado siniestro con el talento de un Zola de este siglo.

« En esta Callejuela con charcos de agua podrida, nunca evacuados, entre los musgos que tapizan las paredes y la basura apilada en los rincones, ellas se parecen, de lejos, a estrellas coloridas. Pedazos de vidrio, de risa, que captan las pocas luces. Pero vamos más cerca, en esos cuerpos coloreados de amarillo azafrán, de naranja cobrizo, de verde limón, se ha instalado la más perfecta oscuridad. La esperanza se refugia allí para morir.»

Veena, una de las mujeres a quien el destino llevó a la Callejuela, es una mujer rebelde. Tiene una hija, fruto de una violación, no deseada, a tal punto que nunca le puso un nombre.

«…Veena nunca sintió la necesidad de darle uno, esperando que esta ausencia de identidad la hiciera pronto desaparecer. Pero la niña resistió, tenaz como todas las malas hierbas

Un día, la pequeña descubre una hendidura en el tabique que la separa del lugar donde su madre ejerce su comercio. Pega en ella sus ojos.

« Las nalgas del hombre son peludas, divididas por una raya oscura y roja. Las piernas de su madre, por debajo, son peces muertos. Una cadenita de plata rodea sus tobillos. El trasero del hombre sube y baja rítmicamente. Eso hace reir a la pequeña.»

La escritora mauriciana no se anda con vueltas en sus descripciones. Y está muy bien.


Es en ese momento que la niña decide bautizarse a sí misma, se llamará Chinti, la hormiga.

« Ella será la que se deslizará en los intersticios, verá todo y no será vista por nadie. Correrá quizás el riesgo de ser aplastada por pies demasiado pesados pero siempre sabrá esconderse antes de que esto ocurra y como respuesta los morderá. Chinti no es una nena sino un insecto de mandíbulas poderosas, de antenas sensibles, de patas ágiles

Habiéndose dado un nombre, se podría decir que la niña adquiere una verdadera existencia. Baila, se cuida a si misma, en la medida de lo posible, se hace amiga de Bholi, « que creen idiota pero que no lo es, que guarda para ella sus pensamientos y sus sueños.» La primera gran tristeza de Chinti, su primer drama, será la muerte de Bholi, su única amiga.

Y es allí que entra en escena Shivnath, un hombre que, a priori, no tendría nada que hacer en esa Callejuela inmunda. Un “swami”, un hombre de los dioses. Limpio, hasta brillante, bien vestido, en otro contexto podría ser un político, una estrella de las redes sociales, o, por supuesto, un religioso.

Shivnath se encapricha primero con Veena, tan diferente de las otras prostitutas con su sonrisa que esconde tanta rabia, hasta que descubre a la pequeña Chinti y pone su mira en ella.

Todo se precipita. Shivnah logra llevarse con él a la pequeña, a su templo ostentoso y el amor materno que Veena había cuidadosamente anulado en su corazón, revienta.

Cuando el swamy decide hacer consagrar a Chinti como hija de la diosa Kali en Benarés, ciudad sagrada, ciudad cementerio ancestral, Veena, aliada a Sadhana, una hijra que es también la narradora de la novela, así como toda una cohorte de mujeres rebeldes, deciden seguirlo y poner fin a sus acciones.

La risa de las diosas es una novela social a la Victor Hugo, en la que las peripecias nos mantienen sin aliento hasta la última hoja.

Ananda Devi, con su prosa colorida y comprometida, se destaca en el arte de la descripción, tanto de personas como de lugares. Las páginas consagradas a la ciudad santa de Benarés valen, por si solas, ser leídas.

Una novela magnífica que nos presenta la verdadera cara de una India intolerante y patriarcal

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

8 mars - 8 de marzo

UNE PETITE HISTOIRE DE LA CHANSON EN FRANÇAIS (19)

UNE PETITE HISTOIRE DE LA CHANSON EN FRANÇAIS (18)