Ocean Vuong
…La pièce où tu pleures
S’appelle
l’Amérique
On peut être fils d’une guerre ne l’ayant pas
vécue, étant né plusieurs années après sa fin. Tout comme Ocean Vuong, j’en
sais quelque chose.
La guerre du Vietnam, bien qu’il soit né en 1988, survole, avec sa sombre violence, toute l’œuvre de Vuong.
« Une femme,
qui n’a pas encore trente ans, étreint sa fille sur le bord d’une route dans un
beau pays où deux hommes, M16 en main, avancent vers elle. Elle se trouve à un
check-point, une barrière faite de rouleaux de barbelés et de laissez-passer
utilisés comme des armes. Derrière elle, les champs ont commencé à prendre feu »,
écrit-il dans son premier roman, la femme étant sa grand-mère et l’enfant, sa
mère.
« La chanson
traverse la ville comme une veuve.
Et je songe à
d’autres Noëls blancs, à un rideau
de neige qui glisse
des épaules de la fille.
De la neige
grattant contre la fenêtre. De la neige
déchiquetée par les
tirs. Ciel rouge.
De la neige sur les
blindés qui roulent sur les
murs de la
ville, » lit-on dans son recueil « Ciel de nuit blessé par
balles »
Il s’agit de la
chanson « White Christmas » qui annonçait l’évacuation des derniers
américains et de réfugiés vietnamiens, en 1975.
Le premier roman de cet auteur vietnamo-américain, « Un bref instant de splendeur », hasardeuse, à mon avis, traduction de « On Earth We’re Briefly Gorgeous », qui navigue entre deux pôles, l’amour et la violence, est une longue lettre adressée à la mère de Vuong, analphabète, émigrée quand son fils avait deux ans, aux États-Unis.
Ces deux extrêmes, l’amour et la violence, se
rejoignent lorsque la violence est exercée par ceux qui aiment « Little
Dog », le surnom donné à l’auteur, sa mère et son amant, Trevor.
Tous deux sont, d’ailleurs, les victimes d’un
système qui broie les citoyens de seconde zone comme eux.
« La première fois que tu m’as frappé, je devais avoir quatre ans. Une main, un éclair, une minute de vérité. Ma bouche embrasée sous tes doigts. »
« La fois où tu m’as jeté la boîte de Lego à la tête. Le sang en pointillé sur le parquet. »
« ‘Je suis désolée’, as-tu dit, en mettant un
pansement sur la coupure de mon front. ‘Prends ton manteau. Je vais te payer un
McDo.’ » La tête bourdonnante, j’ai trempé des nuggets de poulet dans le
ketchup tandis que tu me regardais. ‘Il faut que tu deviennes plus grand, plus
fort, O.K. ?’ »
Cette
violence de la mère envers son enfant peut être considérée comme le résultat de
toutes les violences qu’elle a subies, d’abord au Vietnam en guerre et puis aux
États-Unis, violence de genre, violence raciale, violence contre les plus
démunis. Des violences dont elle est incapable de se défendre, n’ayant d’autre
but que celui de subvenir aux besoins de sa petite famille, elle qui ne sait ni
lire ni écrire, et dont le vocabulaire, aussi bien en vietnamien qu’en anglais,
se réduit au stricte nécessaire.
« Pour ce qui
est des mots, tu en possèdes moins que de pièces économisées sur les pourboires
du salon de manucure, que tu gardes dans le bidon de lait sous le placard de la
cuisine. »
Or, il y a un mot qui règne dans ce salon de
manucure.
« Le
mot anglais le plus fréquemment prononcé au salon de manucure était désolée.
C’était vraiment le refrain qui traduisait le sens de ce travail au service de
la beauté. J’observais les manucures, dont certaines avaient à peine sept ans,
courbées sur la main ou le pied d’une cliente, et qui répétaient encore et
toujours : ‘Je suis désolée. Je suis désolée. Je suis vraiment vraiment
désolée’, alors qu’elles n’avaient rien fait de mal. J’ai vu des employées, toi
comprise, s’excuser des dizaines de fois au cours des quarante-cinq minutes
d’une manucure, espérant marquer des points pour se rapprocher de l’objectif
ultime, un pourboire. »
Ce qui traduit la soumission et le peu de
place de ces personnes dans la société, leur maître mot étant s’effacer, ne pas attirer l’attention, être invisible.
Little Dog, par contre, ne se pose pas de questions sur sa sexualité, il n’en a pas honte, comme c’est le cas de son amant.
« Sans prévenir, il m’a attrapé les cheveux, et ma tête est brutalement
partie en arrière sous sa poigne. J’ai laissé échapper un glapissement
entrecoupé […]. ‘Continue’, ai-je dit, et j’ai laissé aller mon dos, m’offrant
tout entier. ‘Vas-y, tire.’ […]. Comment qualifier l’animal qui, découvrant le
chasseur, s’offre pour être mangé ? Un martyr ? Un faible ? Non, une bête qui
acquiert un pouvoir rare, celui de dire stop […]. Car la soumission, comme je
l’ai vite appris, était aussi une forme de pouvoir ».
Trevor succombera à une
overdose à 22 ans.
Little Dog, Rose, sa mère, Lan, sa grand-mère, Trevor, voici donc les
personnages de ce roman qui évoluent dans un univers où règne une violence systémique,
violence sociale, violence économique, violence raciale et sexuelle
Ocean Vuong dresse ainsi le portrait grandeur
nature du sort imposé à tout un pan de la société étatsunienne, ceux dont la
couleur de peau, la sexualité, la culture ou la religion ne correspondent pas
au modèle blanc, anglosaxon et protestant. C’est-à-dire, les Noirs, les Jaunes,
les Queers, les pauvres …
Ses mots, « des fragments qui flottent,
enfin déchiffrables », qui nous offrent le récit d’un désastre, donnent,
cependant, une entité charnelle à ceux que le système considère des moins que
rien.
Un bref instant
de splendeur
Ocean Vuong
Traduit de
l’anglais (USA) par Marguerite Capelle
Gallimard, 2021
Ocean Vuong
…La pieza donde llorás
Se llama Estados Unidos
Se puede ser hijo de una guerra
sin haberla vivido, habiendo nacido varios años después de su final. Como Ocean
Vuong, sé algo de eso.
La guerra de Vietnam, aunque
haya nacido en 1988, sobrevuela, con su oscura violencia, toda su obra.
“Una mujer, que aún no cumplió treinta años, abraza a su hija al borde una ruta en un bello país donde dos hombres, empuñando un M16, avanzan hacia ella. Se encuentra en un check-point, una barrera hecha de rollos de alambre de púas y de salvoconductos usados como armas. Detrás de ella, los campos han comenzado a incendiarse”, escribe en su primera novela, siendo la mujer su abuela, y la niña su madre.
“La canción atraviesa la ciudad como una viuda.
Y pienso en otras Navidades blancas, en una cortina
de nieve que se desliza de los hombros de la niña.
Nieve arañando la ventana. Nieve
Despedazada por los tiros. Cielo rojo
Nieve sobre los blindados que avanzan hacia los
muros de la ciudad,” se lee en su libro de poesía “Cielo nocturno herido
por balas”.
Se trata de la canción ”White Christmas” que anunciaba la evacuación de los últimos norteamericanos y refugiados vietnamitas en 1975.
La primera novela de este autor vietnamo-nortgeamericano, “En la tierra somos fugazmente grandiosos”, que navega entre dos polos, el amor y la violencia, es una larga carta dirigida a la madre del autor, analfabeta, emigrada cuando su hijo tenía dos años, a los Estados Unidos.
Esos dos extremos, el amor y la violencia, se
unen cuando la violencia es ejercida por quienes aman a “Little Dog” el apodo
dado al autore, su madre y su amante, Trevor.
Ambos son, por otra parte,
víctimas de un sistema que deshace a los ciudadanos de segunda como ellos.
“La primera vez que me golpeaste, yo debía tener cuatro años. Una mano, un relámpago, un minuto de verdad. Mi boca ardiendo bajo tus dedos.”
“La vez que me tiraste la caja de Lego por la cabeza. Los puntitos de sangre sobre el piso.”
“Lo siento, dijiste, poniendo un vendaje sobre el corte de mi frente. Tomá tu abrigo. Te voy a pagar un McDo. Con la cabeza zumbando, hundí nuggets de pollo en el kétchup mientras me mirabas. «¿Tenés que ser más grande, más fuerte, O.K»”
Esta violencia de la madre para con su hijo puede ser considerada como el resultado de todas las violencias que sufrió, primero en el Vietnam en guerra, y luego en los Estados Unidos, violencia de género, violencia racial, violencia contra los más pobres. Violencia contra las que es incapaz de defenderse ya que no tiene otra meta que colmar las necesidades de su familia, sin saber ni leer ni escribir, y cuyo vocabulario, tanto en vietnamita como en inglés, se reduce a lo estrictamente necesario.
“En lo se refiera a las palabras posées menos que las monedas ahorradas de las propinas del salón de manicura, que guardás en un bidón de leche bajo el placar de la cocina.”
Una frase, empero, reina en el salón de manicura.
La frase inglesa pronunciada
con más frecuencia en el salón de manicura era lo siento. Era realmente un
estribillo que traducía el sentido de ese trabajo al servicio de la belleza. Yo
observaba a las manicuras, algunas sólo tenían siete años, inclinadas ante la
mano o el pie de una clienta, y que repetía una y otra vez: “Lo siento. Lo
siento. Lo siento mucho, realmente mucho”, cuando no habían hecho nada malo. Vi
empleadas, incluso vos, excusarse decenas de veces durante los cuarenta y cinco
minutos de la manicura, esperando así marcar puntos para acercarse al objetivo
final, una propina.”
Lo que traduce la sumisión y el
poco lugar que ocupan estas personas en la sociedad, su objetivo siendo el de
desaparecer, el de no llamar la atención, ser invisibles.
Trevor, por su parte, es un hombre muy joven proveniente del mundo rural. Su sexualidad lo aleja del cliché masculinista de ese entorno. Al no ser un hombre, uno verdadero, no se considera humano.
“Sin avisar, me agarró de los cabellos, y mi cabeza se volvió brutalmente para atrás con su fuerza. Dejé escapar un chillido entrecortado. (…) ‘Seguí, le dije, y dejé caer mi espalda, ofreciéndome entero. Vamos, tirá.’ (…) ¿Cómo calificar al animal que, descubriendo al cazador, se le entrega para ser comido? ¿Un mártir? ¿Un débil? No, un animal que adquiere un poder raro, el de decir stop (…). Ya que la sumisión, como lo aprendí rápidamente, era también una forma de poder.”
Trevor sucumbirá a una
sobredosis a los 22 años.
Little Dog, Rosa, su madre, Lan, su abuela, Trevor, estos son entonces los personajes de esta novela que se mueven en un universo donde reina una violencia sistémica, violencia social, violencia económica, violencia racial y sexual.
Ocean Vuong presenta así el
retrato en tamaño real de la suerte impuesta a toda una franja de la sociedad
norteamericana, aquellos cuyo color de piel, cuya sexualidad, cultura o
religión no corresponden al modelo blanco, anglosajón y protestante. Es decir,
los negros, los amarillos, los queer, los pobres …
Sus palabras, “fragmentos que flotan, por fin descifrables”, que nos ofrecen el relato de un desastre, le dan, sin embargo, una entidad carnal a los que el sistema considera menos que nada.
En la tierra somos fugazmente grandiosos
Ocean Vuong
Traducido por Jesús Zulaika
Alfaguara, 2020






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