UNE PETITE HISTOIRE DE LA CHANSON EN FRANÇAIS (12)


LA LIBÉRATION

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  Enfin libérés, les Français peuvent chanter en 1944 Paris est à nous.

  La guerre se poursuit à l’Est, la vie quotidienne s’organise peu à peu et à Paris fleurissent les galas, les bals, les tours de chant. On essaie de se convaincre que le cauchemar est fini.

  Créée le 14 octobre 1944 par l’orchestre de Jacques Hélian, immédiatement reprise par Maurice Chevalier, Fleur de Paris (Vandair – Bourtayre) devient le chant de la Libération.

https://www.youtube.com/watch?v=uFkQkPhfz3Q

C’est une fleur de Paris,

Du vieux Paris qui sourit.

Car c’est la fleur du retour,

Du retour des beaux jours,

Des beaux jours.

Pendant quatre ans

Dans nos cœurs

Elle a gardé ses couleurs,

Bleu, blanc, rouge.

Avec l’espoir elle a fleuri.

C’est une fleur de Paris.

C’est une fleur de chez nous,

Elle est sortie de partout,

Car c’est la fleur du retour

Du retour des beaux jours

  Comme dans tous les ordres de la vie, dans le spectacle les “bons patriotes” font la chasse aux “mauvais Français”. C’est ainsi que certaines carrières sont interrompues, comme c’est le cas pour André Claveau, Lys Gauty, Léo Marjane, Susy Solidor tandis que les grandes vedettes comme Chevalier ou Piaf ne sont guère inquiétées.

  Le jazz, la musique des libérateurs américains, devient très populaire, mais exception faite des orchestres de Ray Ventura et de Jacques Hélian et d’Yves Montand, qui commence une carrière fulgurante, la chanson française se maintient dans ses domaines traditionnels.

  Les Français sont encore sous le choc de l’occupation et veulent simplement se remonter le moral.

En 1946, la carrière de Bourvil est lancée. On pourrait dire qu’il s’agit du dernier d’une longue lignée de “chanteurs idiots” qui débute à la Belle Époque, avec, dans ce cas, un fond paysan qui en fait un mélange de Dranem et Fortuné.

Bourvil, de son vrai nom André-Robert Raimbourg, doit son appellation de scène à Bourville, village normand dans lequel il s’installe dès l’âge de trois ans avec sa mère. Adolescent, il commence à travailler comme boulanger, mais le chant le passionne davantage. Il reprend d’abord à son compte le répertoire de Fernandel avant de composer des titres de son propre cru.

Sa première apparition marquante au cinéma, il la doit au film La Ferme du pendu (1945) de Jean Dréville, et surtout à la chanson Les Crayons qu’il y interprète benoîtement. Très vite, Bourvil va se retrouver cantonné dans des personnages qui se distinguent par leur gentillesse, leur bonhommie, voire leur naïveté.

https://www.youtube.com/watch?v=2O94Z1_wlqo 

En 1954, dans Poisson d'avril, il fait une rencontre déterminante en la personne de Louis de Funès, un comédien qui est son diamétral opposé à l’écran : autoritaire, colérique, énergique. Les deux hommes se retrouveront le temps d’une scène culte dans La Traversée de Paris, long métrage pour lequel Bourvil remportera la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine au Festival de Venise en 1956, puis dans Le Corniaud (1964) et La Grande vadrouille (1966), deux énormes succès de la comédie populaire signés Gérard Oury.


 En 1947, un ancien collégien de Ray Ventura, Henri Salvador, commence à faire parler de lui. Et il fera longtemps parler de lui et des multiples facettes de son talent : parodiste (Rock and rollmops, Twist SNCF), auteur de pastiches et de scies (Le Travail c’est la santé), chanteur poétique (Cherche la rose). En 2000, le fringant octogénaire a dépassé le million d’exemplaires vendus de son disque Chambre à vue. Ceci produira ce que le Nouvel Observateur appelle l’effet Salvador, les maisons de disques s’intéressent à nouveau aux doyens de la chanson.

  Après le triomphe de “Chambre avec vue”, Ma chère et tendre, de 2003, prouve la vitalité artistique de Salvador, 86 ans, auteur et compositeur de la plupart des chansons, ballades jazzy, bossas, égrenées par sa voix de velours.

https://www.youtube.com/watch?v=lNZIzor29LI

 « Chanson française et musiques noires, le têtu Henri Salvador en majesté

Il serait un peu court d’affirmer qu’Henri Salvador réédite avec son nouveau disque, Ma chère et tendre, la prouesse de Chambre avec vue, paru en 2000. Cet album détendu, acoustique et amoureux (...) relançait l’idée bousculée par le productivisme que l’on peut être jeune à plus de 80 balais. Avec Ma chère et tendre, Henri Salvador, 86 ans, prend une revanche exceptionnelle sur ceux qui doutaient encore de lui. (...)

C’est un sans-faute, un recueil de treize chansons françaises, lancé le 28 octobre sur le marché mondial que la presse brésilienne, concernée au premier chef par ce voisin né en Guyane, venu à Rio dans les années 1940 avec l’orchestre de Ray Ventura qui fuyait les nazis, commente déjà ainsi : “Avec ce mulâtre, tout est luxe”. (...)

L’aventure avait été assez exceptionnelle pour être rappelée : Salvador était, à la veille de l’an 2000, classé aux monuments historiques, rayon amuseur public pour une majorité, rayon patrimoine pour ceux qui avaient gardé en mémoire le Salvador mélomane, ami (et compère) de Boris Vian, féru de jazz et de musiques du Sud.

Véronique Mortaigne, Le Monde – 29 octobre 2003

  L’opérette attire d’autre part un large public. En décembre 1945, le Casino-Montmartre affiche Louis Mariano dans La Belle de Cadix de Francis Lopez. C’est le début d’une carrière phénoménale qui durera bien au-delà des années 60. Une carrière qui, au moyen des disques, de la radio et plus tard du cinéma, hissera Mariano au rang de grande vedette de la chanson. À l’époque de ses grands succès, Le chanteur de Mexico et Violettes impériales, ses admiratrices se comptaient par milliers et en 1954, il fêtait son millionième disque. Jusqu’à sa mort, en 1970, Louis Mariano continuera à accumuler sereinement les succès.

https://www.youtube.com/watch?v=gbn-1o3VWHw 

  Globalement, l’après-guerre voit le maintien des valeurs sûres, comme Joséphine Baker, Lucienne Boyer, Damia, Maurice Chevalier, Jean Sablon, Trenet, Tino Rossi. La carrière d’Édith Piaf se confirme et celle d’Yves Montand prend son essor. 

De son vrai nom Yvo Livi, Yves Montand est né en Italie en 1921. Sa famille fuit le régime mussolinien pour s’installer à Marseille où le jeune Livi exercera tous les métiers, livreur, manœuvre, coiffeur avant de tâter le tour de chant à l’Alcazar de Marseille en 1938.

  Puis, c’est la guerre, Paris, sa rencontre avec Édith Piaf qui l’oblige à renouveler son répertoire.   En 1945, il obtient un vrai triomphe à l’Étoile.

  C’est le début d’une triple carrière, alternant la chanson, le théâtre et le cinéma.

  Son premier répertoire illustre la vie quotidienne des Français de l’après-guerre et leur fascination pour l’Amérique et sa musique, le jazz.


https://www.youtube.com/watch?v=94q1FGlxKrM

  Plus tard et avec les collaborations de Francis Lemarque (À Paris) et du tandem Prévert-Kosma (Les feuilles mortes) le style du chanteur gagne en cohérence et en originalité.

  Yves Montand, mort à Paris en 1991, a su frapper autant par la qualité de ses chansons que par le travail scénique qu’il présentait. Des joies et des malheurs de l’ouvrier (Les Grands-Boulevards) aux poèmes les plus difficiles (Barbara, Mon frère, Les Bijoux) en passant par le militant politique (Quand un soldat, Casse-tête), l’amoureux (Les feuilles mortes), le fantaisiste (Une demoiselle sur une balançoire), voici Montand, un homme de scène qui préparait avec soin méticuleux ses récitals et un des rares chanteurs à tenir six mois à Paris

https://www.youtube.com/watch?v=MYj9V4fl4rI

« L’homme s’avance seul sur la scène installée dans l’immense enceinte sportive de ciment sonore. Un projecteur l’éclaire. Il s’assied à demi sur une haute chaise ancienne, l’une de ses jambes repliée sous lui, l’autre pendante.

Il croise les mains.

Le silence se fait d’un seul coup. Un silence tendu, dense, tangible. (...)

D’une voix égale, comme si cela allait de soi, comme si c’était banal, l’homme annonce qu’il va chanter Les bijoux, de Charles Baudelaire.

Ça se passe à Maracanâzinho, (...) Ici (...) se déroulent habituellement les compétitions de basket, de volley-ball. Mais aujourd’hui, c’est Yves Montand qui y chante. »

Jorge Semprun – Montand, la vie continue. Folio Actuel – Denoël – Joseph Clims – 1983

https://www.youtube.com/watch?v=kLlBOmDpn1s

Lucienne Delyle affirme sa carrière avec Mon amant de la Saint-Jean.

  Quelques jeunes talents commencent à percer à la fin des années 40, Jacqueline François (Mademoiselle de Paris), Lina Margy, Susy Delair et Line Renaud (Ma cabanne au Canada, 1948), chanteuse, meneuse de revue et dont la carrière continue de nos jours comme actrice de téléfilms. 

DANS LE SILLAGE DE PIAF

  Tout comme Montand, les chanteurs, les auteurs et les compositeurs qui ont commencé ou affirmé leur carrière dans le sillage d’Édith Piaf sont légion.

  Dans les années 50, elle est la vedette par excellence, en France et à l’étranger. Elle fait et défait maintes carrières. Pour un auteur, être chanté par elle est un gage de notoriété ; pour un chanteur, être le poulain de Piaf est une assurance d’avenir.

  Parmi ces poulains de Piaf, en tête de file, Charles Aznavour, de son vrai nom Varenagh Aznavourian, né à Paris en 1924 de parents arméniens émigrés de Turquie. En 1941, il se lie d’amitié avec le compositeur Pierre Roche avec lequel il forme un duo. La dissolution de ce duo le pousse vers la composition. Il écrit pour Piaf, dont il deviendra le secrétaire, puis l’accompagnateur (Jézébel), pour Gréco, (Je hais les dimanches que Piaf regrettera plus tard avoir refusé). C’est sur les conseils de celle-ci qu’il décide de devenir interprète. Il n’obtient cependant aucun succès et devra attendre 1953 et une tournée au Maroc. En 1954, il passe en vedette à l’Alhambra et en 1963, il conquiert la presse new-yorkaise au Carnegie Hall.

  Ses grands succès datent des années 60-70 : Que c’est triste Venise, La Bohème, Formidable, La Mamma, Tu t’laisse aller. Après cela, son style n’évolue guère.

https://www.youtube.com/watch?v=hWLc0J52b2I

Parallèlement il mène avec succès une carrière au cinéma avec Un taxi pour Tobrouk, Tirez sur le pianiste et Ararat.

  À 80 ans, Charles Aznavour enregistre en 2003 l’album Je voyage.

https://www.youtube.com/watch?v=ejvIYABmYxM 

Jusqu’à sa mort, en octobre 2018, il continue aussi bien à enregistrer des albums (Aznavour toujours, 2011) qu’à entreprendre les tournées, en Russie, au Québec, en Amérique du Sud, aux États-Unis…

« Car l’œuvre de Charles Aznavour est immense : tant par son abondance que par ses qualités artistiques (musicales, poétiques et novatrices). (...)

Parler d’abondance, à propos de cette œuvre fleuve, semble presque relever de l’euphémisme (...) En effet, Aznavour a toujours écrit pour d’autres interprètes tels que Les Compagnons de la Chanson, Édith Piaf, Halliday, Jean-Claude Pascal ou Bécaud (...)

Quant aux qualités artistiques de cette œuvre monumentale (...) elles procèdent de quatre vertus essentielles. Innovation de ton et d’inspiration (Aznavour fut, entre autres choses, le premier à parler concrètement de l’amour physique et de l’usure des couples au quotidien, dès le début des années 50); richesse des mélodies, alliant le swing du jazz à la mélancolie des harmonies slaves (...); force et intelligence des textes (...) et enfin, interprétation d’une exceptionnelle intensité, portée par une voix ne ressemblant à aucune autre (...). »

Marc Robine - Charles Aznavour : “L’authentique”

Chorus – nº15 – printemps 1996

https://www.youtube.com/watch?v=lWs_gSx-taI

  Gilbert Bécaud (1927-2001), premier prix de piano du conservatoire de Nice, il commence à composer en 1948. Il est pianiste de Jacques Pills de 1950 à 1952. Édith Piaf lui présente Louis Amade avec qui il compose Les croix, La ballade des baladins. Puis il rencontre Pierre Delanoë. Mes mains, chanté par Lucienne Boyer, est leur premier succès.

  1954 est l’année Bécaud. Sa présentation à l’Olympia est un véritable délire, fauteuils cassés, vitres brisées, on le surnomme alors Monsieur 100.000 volts !

Dès lors, Bécaud poursuit une brillante carrière au music-hall. Dans les années 60, il aborde une carrière internationale. Ses récitals à Londres, Moscou et New York sont autant de succès. En 1977, il fête ses vingt-cinq ans d’Olympia.

  Bécaud participe de la tradition française du music-hall. Ses chansons parlent d’une France heureuse (L’important c’est la rose), tout chez lui est aspiration à un univers fraternel, un univers juvénile et qui aspire à le rester (Le mur, Je reviens te chercher). Son plus grand succès, chanté dans toutes les langues, parle toutefois de la douleur, de la solitude (Et maintenant).

https://www.youtube.com/watch?v=TU6KBaUufks

 

Et maintenant que vais-je faire

De tout ce temps que sera ma vie

De tous ces gens qui m'indiffèrent

Maintenant que tu es partie

 

Toutes ces nuits, pourquoi pour qui

Et ce matin qui revient pour rien

Ce cœur qui bat, pour qui, pourquoi

Qui bat trop fort, trop fort

 

Et maintenant que vais-je faire

Vers quel néant glissera ma vie

Tu m'as laissé la terre entière

Mais la terre sans toi c'est petit

 

Vous, mes amis, soyez gentils

Vous savez bien que l'on n'y peut rien

Même Paris crève d'ennui

Toutes ses rues me tuent

 

Et maintenant que vais-je faire

Je vais en rire pour ne plus pleurer

Je vais brûler des nuits entières

Au matin je te haïrai

 

Et puis un soir dans mon miroir

Je verrai bien la fin du chemin

Pas une fleur et pas de pleurs

Au moment de l'adieu

 

Je n'ai vraiment plus rien à faire

Je n'ai vraiment plus rien ...

Et maintenant

 

En 1958, Édith Piaf rencontre un jeune Grec qui la séduit, Georges Moustaki. Elle interprète quelques-unes de ses chansons, dont le célébrissime Milord.

Moustaki, de son vrai nom Yussef Mustacchi, naît à Alexandrie le 3 mai 1934, de parents grecs de confession juive.

Son bac en poche, il arrive à Paris en 1951. Il y rencontre Georges Brassens qui l’encourage à composer des chansons. La grande aventure de Moustaki commence, cependant, en 1958, quand le guitariste Henri Crolla le présente à Édith Piaf.

Après sa rupture avec la Môme, il écrira pour Colette Renard, Montand ou Barbara. Il ne se positionne pas encore comme interprète, même s’il a déjà proposé, en 1966, Le métèque, qui connaîtra le succès que l’on sait, à une compagnie de disques qui l’a refusé.

https://www.youtube.com/watch?v=RCNE1DuPGpI 

En 1966, il devient le parolier de Serge Reggiani (Sarah, Ma liberté) et en 1968, Le métèque, qu’il chantera dans toutes les langues possibles dans le monde entier, lui apporte la consécration.

En 1972, Moustaki se présente au festival international de Rio de Janeiro et fait la connaissance des stars de la chanson brésilienne, Elis Régina, Chico Buarque, Gilberto Gil … Dans l’album qui suivra ce voyage, les influences de la bossa nova se feront sentir, dont Les eaux de mars, Aguas de março, d’Antonio Carlos Jobim.

https://www.youtube.com/watch?v=OkZ5UL7haiM

Georges Moustaki fut un artiste voyageur qui trouva son inspirations aux quatre coins du monde. Cela apparaît dans ses différents albums, Et pourtant dans le monde (1979), Joujou (1985), Méditerranéen (1992), Moustaki (2003), où il chante sa première chanson Gardez vos rêves ainsi que Milord.

https://www.youtube.com/watch?v=TXemO-zDKlQ

Georges Moustaki meurt en mai 2013.

 

 

 



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