UNE PETITE HISTOIRE DE LA CHANSON EN FRANÇAIS (14)


LES ANNÉES 60


 Une certaine prospérité s’installe en France. Le chômage est encore inconnu.

  Dans ce contexte, le rock’n’roll né aux États-Unis avec Bill Haley en 1951 et popularisé par Elvis Presley à partir de 1954, tout juste débarqué, séduit une partie de la jeunesse qui est devenue un groupe social à part entière avec ses propres valeurs et surtout son propre pouvoir d’achat.

  Les années 60 sont celles des rockers (Johnny Halliday, Eddy Mitchell et Dick Rivers), des yé-yé (Sylvie Vartan, Françoise Hardy, Sheila, Claude François, France Gall), des “folkeus” (Hugues Aufray, Graeme Allwright, Jean-Michel Caradec) qui adaptent le répertoire des “folk song” et “protest song” américaines (Peter, Paul and Mary, Bob Dylan).

 

  La chanson rive gauche et même la chanson traditionnelle ont du mal à résister devant la vague yé-yé, une variante un brin édulcorée du rock, qui va envahir tout le panorama musical français.

 

  Quelques fortes individualités défendent la chanson poétique :

 

  Francesca Solleville (1935) dont la volonté d’engagement se manifeste par le choix des auteurs de ses chansons : Aragon, Maurice Fanon (La petite Juive) ; Jean Ferrat (Nuit et Brouillard) ; Nazim Hikmet (Face à la porte de fer) ; Gougaud (Viêt Nam), qu’elle interprète d’une voix puissante, vibrante d’émotion.

À partir de 1959, Francesca Solleville délaisse le chant lyrique pour chanter ses auteurs préférés dans les cabarets Rive-Gauche de Paris. Influencée par Germaine Montero et encouragée par Léo Ferré, elle est orientée par Jacques Douai vers la maison de disques Boîte à musique.

Elle chante dans de nombreux cabarets, notamment à l'Écluse, où elle se produit avec Barbara, à La Contrescarpe où Elsa Triolet et Louis Aragon viennent l'entendre chanter, à La Colombe où elle croise Pierre Perret et au Port du Salut où chantent également Christine Sèvres, Jacques Debronckart, Maurice Fanon, Pia Colombo, Pierre Louki, Ricet Barrier. Elle enregistre son premier 45 tours Francesca Solleville chante Aragon et Mac Orlan.

En 1960, elle chante pour son deuxième 45 tours Luc Bérimont, Aragon et Ferré. En 1961 elle chante Mac Orlan dans un nouveau 45 tours.

En mai 1962, paraît son premier album 25 cm, intitulé Récital no 1, où elle chante les poètes Paul Fort (La Marine, mis en musique par Georges Brassens), Charles Baudelaire, Louis Aragon et Jean Ferrat (J'entends, j'entends).

https://www.youtube.com/watch?v=yDCK03v8vXw

Dans les années 1960, elle enregistre également des chansons d'Hélène Martin, Georges Coulonges, Yani Spanos, Philippe-Gérard, Serge Rezvani, et des poèmes de Guillaume Apollinaire et Jean Genet.

Elle interprète des chansons engagées contre le nazisme, le franquisme, la guerre du Viêt Nam.

https://www.youtube.com/watch?v=3cB-87Yrofk


En 1975, elle sort Chants d'exil et de lutte sur des textes de Pablo Neruda. En 1988, elle célèbre le bicentenaire de la Révolution française avec Musique, citoyennes ! Allain Leprest écrit les paroles de son album Al Dente de 1994.

En 2004, elle publie son autobiographie, A piena voce, écrite avec la collaboration de Marc Legras. En 2009, elle fête ses 50 ans de chanson.

  Jean Ferrat (1930-2010) excelle quand le social et le politique sont traduits en poésie : Au printemps, De quoi rêvais-tu ? Nuit et Brouillard, Camarades.

  Il y a trois tendances chez Ferrat, la chanson populaire (“ma môme elle joue pas les starlettes...elle travaille en usine...”); la chanson poétique (“la mer sans arrêt roulait ses galets”) et la chanson politique (“il voulait simplement ne plus vivre à genoux”)

 En 1957, il chante, en s'accompagnant à la guitare, dans quelques cabarets de la Rive gauche : Milord l'Arsouille, La Colombe, L'Échelle de Jacob, La Rôtisserie de l'Abbaye.

Faisant référence à la directive « Nuit et brouillard » qui ordonnait la déportation de tous les ennemis ou opposants du Troisième Reich, il écrit et interprète Nuit et brouillard, en mémoire des déportés victimes des camps de concentration et des centres d'extermination nazis, dont son père, juif émigré de Russie mort à Auschwitz34 : « Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel / Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou / D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel / [...] les Allemands guettaient en haut des miradors, la lune se taisait comme vous vous taisiez», chante-t-il, interpellant par ses vers la passivité de beaucoup durant l'Occupation et le Régime de Vichy. Malgré la censure non avouée des autorités qui « déconseillent » son passage sur les ondes, la chanson connaît un très grand succès auprès du public et lui vaut le grand prix du disque de l'Académie Charles-Cros.

https://www.youtube.com/watch?v=CwGaG5IMiyE

 

En 1964, il confirme son succès naissant auprès du public avec La Montagne qui demeure l'un de ses plus grands succès. Avec ce texte, il chante – sans la nommer – l'Ardèche, région chère à son cœur, et fait de cet hommage à la France paysanne un classique de la chanson française.

https://www.youtube.com/watch?v=cR1HNrjKwYg

 

En 1969, Jean Ferrat chante Ma France, chanson phare de l'album homonyme.

https://www.youtube.com/watch?v=XAbbzXe8NwM

En 1972, il fait, au Palais des Sports de Paris, ses adieux à la scène.

Dès lors, Ferrat, qui habite en Ardèche, sortira les albums La femme est l’avenir de l’homme (1975), Ferrat 80, Je ne suis qu’un cri (1985), Dans la jungle ou dans le zoo (1991) et, 1995, un disque avec des textes d’Aragon qu’il a mis en musique.

Il meurt à Aubenas (Ardèche) le 13 mars 2010.

 


 Claude Nougaro (1929-2004). Fils d’un chanteur lyrique, il est d’abord journaliste, puis il enregistre son premier disque en 1962. C’est le succès (Les Don Juan, Une petite fille, Cécile ma fille).

  Attiré par le jazz moderne, il recherche des sonorités nouvelles, ce qui ne l’empêche pas de célébrer la ville rose où il est né (Toulouse) ou même d’écrire en 1968 Paris mai, ce qui lui vaudra d’être interdit à la radio. Les succès se multiplient jusqu’en 1980 où commence sa traversée du désert qui prend fin en 1988 avec l’album Nougayork.

https://www.youtube.com/watch?v=BCYo4a0DHJM

  Ses thèmes sont l’érotisme, la mort et surtout la femme. Il redonne aux mots, en pleine vague yé-yé, une valeur magique. L’important de son chant tient d’une part à la richesse harmonique de sa voix et, d’autre part, au sens qu’il donne à la phrase, tiré du jazz, de la bossa-nova et même de la java.

https://www.youtube.com/watch?v=zmRgXOw1o3A

Quand le jazz est

Quand le jazz est là

La java s'en

La java s'en va

Il y a de l'orage dans l'air

Il y a de l'eau dans le gaz

Entre le jazz et la java

(…)

Le jazz et la java

 

 « L´évolution de la carrière de Nougaro est, quant à elle, fameuse. Contrairement à Gainsbourg, Nougaro est resté fidèle au jazz. Mais, dans les années 1980, le chanteur a beau avoir tiré son accompagnement musical vers le jazz-rock, son public a vieilli, ses disques se vendent moins. En 1985, la maison Barclay lui rend une liberté que le chanteur met à profit en repensant de fond en comble l’aspect musical de son répertoire. Deux ans plus tard, il effectue son grand retour avec un album qui le hisse à la tête des ventes. La raison de ce succès ? Nougayork est presque entièrement conçu sur des rythmes funks afro-américains (binaires et très syncopés, la section des cuivres répondant au chanteur), très appréciés des jeunes. La facture des textes n’a pas changé. »

Métamorphoses de la chanson française (1945-1999)

Paul Garapon

Esprit – Juillet 1999

https://www.youtube.com/watch?v=8FyZNN08j2M 

« Nougaro, le poète qui faisait swinguer les mots

Place du Capitole, au cœur de Toulouse, un rassemblement doit être organisé, vendredi 5 mars, en hommage à Claude Nougaro, mort la veille d’un cancer, à 74 ans. La disparition du chanteur et poète a suscité d’innombrables réactions, de Jacques Chirac à Kool Shen, du groupe NTM.

Cette émotion est à la mesure d’un parcours musical et poétique qui a mené Nougaro des classiques de la chanson française –il a écrit pour Édith Piaf- aux musiques venues d’Afrique, via l’Amérique du Nord et le Brésil. Ce “blanc de peau” avait su faire swinguer la langue française comme personne, collaborant avec de grands jazzmen français –Eddie Louiss, Maurice Vander-, reprenant les thèmes de leurs collègues américains, Dave Brubeck ou Sonny Rollins. “Ils nous a décomplexés de notre accent” dit de lui Magyd Cherfi, du groupe Zebda. »

Le Monde

6 mars 2004

En 2021, Mouss et Hakim, deux intégrants du groupe Zebda, originaires de Toulouse, sortent leur album Darons de la Garonne composé de textes inédits de Claude Nougaro que leur a fourni la sœur du chanteur.

https://www.youtube.com/watch?v=GkpvD63PlqA

Fils d’immigrés italiens, né en 1922 à Reggio Emilia et arrivé à Paris tout enfant, Serge Reggiani, est tout d’abord acteur (Les portes de la nuit, Casque d’or).

  Il commence à chanter en 1965, quand Jacques Canetti, le patron des Trois-Baudets, le convainc d’enregistrer un disque de chansons de Boris Vian. Peu après, Barbara lui offre d’assurer sa première partie. Elle lui enseigne les ficelles du métier.

  Avec Les loups sont entrés dans Paris (Vidalie-Bessières) et Le déserteur (Vian), il conquiert un public beaucoup plus jeune que lui.

https://www.youtube.com/watch?v=8v77VIxElwM 

  Peu à peu, sa carrière de chanteur éclipse celle d’acteur. Les meilleurs auteurs écrivent pour lui, Moustaki (Ma liberté, Sarah), Lemesle (Le barbier de Belleville), Dabadie (Hôtel des voyageurs), Gainsbourg (Maxim’s)...

  Il chante dans toutes les salles, cabarets, Bobino, Olympia, mais il n’ira pas au Zénith ni à Bercy, il a besoin de l’intimité du public.

https://www.youtube.com/watch?v=8jYjF4U0wW8 


  Dans ses chansons, il parle de ses propres faiblesses, de ses peurs. Il passe lui-même des périodes de dépression, des passages á vide sous le signe de l’alcoolisme, surtout après le suicide de son fils Stéphan.

  Dans les années 90, chaque nouveau disque, Reggiani 95, Nos quatre vérités (1997), Les adieux différés (1999), Enfants, soyez meilleurs que nous (2000) prend des allures de testament.

  Il meurt, á 82 ans, le 22 juillet 2004. 

 « Serge Reggiani, que l’on disait grabataire, a renoué avec la scène. Au Palais des Congrès, et plus récemment à l’Olympia, il s’est produit assis devant des salles combles que l’émotion des retrouvailles et la fibre nostalgique allaient faire se lever dès les premières chansons. 

L’effet Salvador – Sophie Delassein

Le Nouvel Observateur – Du 30 octobre au 8 novembre 2003

« Aidés ou non par la chirurgie esthétique, certains êtres semblent ne jamais vieillir. D'autres ont l'air d'adolescents prolongés, incapables d'atteindre la maturité. Serge Reggiani a toujours été à la fois en deçà et au-delà, trop jeune et trop vieux. Quand il fait l'apache pour les beaux yeux (et la chevelure) de Signoret « Casque d’or », c'est un gamin qui se donne l'allure d'un dur à qui on offre une vue imprenable à travers la lucarne de la guillotine. Ensuite viendront la barbe et les lunettes. Entre les deux états, entre le jeune homme pas encore mûr et l'homme déjà vieux, s'ouvre une béance.

Frêle, fragile, vulnérable, sont des adjectifs qui frôlent sa silhouette sans l'altérer. Une aura l'accompagne en permanence, le protégeant, non du malheur, mais de ses défigurations. Ni les rides, ni l'œil qui tombe façon cocker, ni les joues creusées, ni la cigarette ou la pipe au coin du bec, ni la dégaine menue n'ébrèchent en quoi que ce soit l'image d'un hidalgo revenu de tout sauf de l'angoisse.

De cet homme à l'âge flottant, aux trajectoires hésitantes, se dégage une mélancolie à couper au couteau. D'un geste sec, à fendre l'âme. Nul besoin de rodomontades ni de déclarations intempestives, il lui suffit d'un tout petit sourire au coin des lèvres et tout est dit. Avec juste ce qu'il faut de térébrante nostalgie pour flanquer le cafard et donner aussi l'envie de se blottir dans un oubli. Serge Reggiani est un inconsolable gentilhomme. »

L’élégance de la déchéance-Hervé Gauville

Libération 24 juillet 2004


Les tenants de la chanson traditionnelle sont bien différents les uns des autres. Parmi eux, l’une des meilleures actrices françaises, Jeanne Moreau (1928-2017) qui, après Le Tourbillon qu’elle interprétait dans Jules et Jim de François Truffaut, a chanté avec intelligence, sensibilité et humour les œuvres de Bassiak, Gérard et même Jeanne Moreau.

« En 1962, Jeanne Moreau assise près d'un guitariste, les mains sur les genoux, s'est mise à chanter devant la caméra de François Truffaut. « Elle avait des bagues à chaque doigt… »

https://www.youtube.com/watch?v=bWjCTLsTxVY

La scène de Jules et Jim, devenue presque un monument à elle seule, a lancé l'autre carrière de l'actrice : celle d'une chanteuse à la voix grave, particulièrement attachée aux mots. Elle interprétera ceux de Rezvani, Norge, Duras, Guillevic, Genet. Pourtant, Jeanne Moreau refusait de parler d'une quelconque carrière de chanteuse : « N’employez pas cette expression, ça m’agace », expliqua-t-elle à Libération en 2002. « J’ai eu la chance de pouvoir chanter, mais c'est un prolongement naturel de la comédie. »

Dans la foulée de Jules et Jim, Revzani, sous le pseudonyme de Cyrus Bassiak, a écrit pour Jeanne Moreau son deuxième grand succès public, J'ai la mémoire qui flanche (1963).

https://www.youtube.com/watch?v=o6uU2czYbOM

Au total, l'actrice aura chanté deux albums entiers de composés par Revzani/Bassiak, en 1963 et 1966. En 1968, sortent les Chansons de Clarisse, dix-sept textes de Guillevic d'après Elsa Triolet, et mis en musique par Philippe-Gérard.

« Ça m’a aidé à m’en sortir »

L'actrice écrit elle-même les paroles de ses chansons pour l'album Jeanne chante Jeanne (1970). « Je sortais d'une psychothérapie », racontait-elle toujours dans la même interview à Libération. « Mon analyste m'a poussé à écrire "mes trucs". Je les lui ai apportés. "Ça ferait des jolies chansons", m'a-t-il dit. Il a eu raison, en tout cas ça m'a aidé à m'en sortir. J'ai énormément de peine à écrire, sauf les chansons, car c'est une écriture de la sensation, ça doit être rapide, venir d'un coup. C'est gai, j'en ai écrit plein. »

En 1975, elle interprète ce qui deviendra un autre de ses titres phares : India Song, une chanson écrite par Marguerite Duras pour le film du même nom (musique de Carlos d'Alessio).

https://www.youtube.com/watch?v=t5DSNWPyk4s&feature=emb_imp_woyt

Une douzaine d'années après le Guillevic des Chansons de Clarisse, Philippe-Gérard met en musique un autre poète, le Belge Norge. L'album Jeanne Moreau chante Norge, qui ne compte pas moins de 22 titres, sort en 1981.

Après un long moment sans actualité discographique, c'est en récitante à la voix presque crépusculaire qu'elle accompagne, en 2010, Etienne Daho sur le Condamné à mort. Les deux artistes livrent une version sublime du célèbre poème de Jean Genet, sur une musique d'Hélène Martin.

https://www.youtube.com/watch?v=YAqpiLixTX8

A l'heure du bilan, toujours interrogée par Libération en 2002, elle confiait que selon elle, ce qui reste d'une chanson, c'est « l’énergie ». « C’est une sensation immédiate, qui s'étire parfois sur plusieurs minutes, mais ça va vite, comme un choc. »

Libération, le 17 juillet 2017

En 2011, elle enregistre Emma avec le groupe Les têtes raides.

https://www.youtube.com/watch?v=PWpan2HXKR8

On écoute aussi, dans ces années 60, des chanteurs sentimentaux qui n’ont pas ployé devant la vague yé-yé. Certains ont également connu un grand succès à l’étranger.

 

 C’est le cas de Salvatore Adamo (1943). Son père quitte la Sicile pour travailler dans les mines de Jemmapes (Belgique) en 1947. À 17 ans, il remporte un prix radiophonique.

  Il ne tarde pas à connaître le succès, confirmé par un passage à l’Olympia en 1965. C’est le début d’une carrière internationale au cours de laquelle il interprète ses chansons dans la langue du pays traversé.

  En pleine période yé-yé, il compose des valses, des javas, des tangos. Ses textes gentils, voire naïfs, ont abordé les problèmes de tous les adolescents (Vous permettez, Monsieur, Mes mains sur tes hanches, Les filles du bord de mer).

https://www.youtube.com/watch?v=-AQITwJPuXc 

Au fur et à mesure que les années ont passé, les sujets se sont élargis, parfois vers l’actualité (Inch’Allah).

https://www.youtube.com/watch?v=qIkrsBOymAY 

« Un disque d’Adamo (Par les temps qui courent) se présente comme un livre aux chapitres précis, aux thèmes invariablement humanistes qui prêtent le plus souvent le flanc à une nostalgie que sa voix, parfaitement intacte, prolonge avec un certain plaisir. Musicalement les cordes sont essentielles (...) Fidélité est justement le mot qui semble le mieux convenir au chanteur qui signe la totalité des titres de cet album. Une fidélité également amoureuse telle qu’elle est résumé dans “Étrange”: “Il attend tout fané/Que revienne l’âme soeur/Est-elle déjà passé?/Regardait-il ailleurs?/Mais soudain la voilà/Pardonne-moi j’étais folle/Il la prend dans ses bras.../Et ensemble ils s’envolent” »

Michel Troadec

Chorus – nº35 – Printemps 2001

 

 Dalida (1933-1997). Née en Egypte de parents italiens, elle arrive à Paris à 22 ans, après avoir gagné un concours de beauté, dans l’espoir de faire du cinéma, rêve qu’elle ne réalisera qu’en 1985 dans le Le sixième jour du cinéaste égyptien Youssef Chahine.

  Elle se lance alors dans la chanson et son premier succès Bambino date de 1956, suivi par Gondolier, Ciao ciao bambina, les Enfants du Pyrée, Le jour le plus long, Je reviens te chercher.

https://www.youtube.com/watch?v=VK-DLHO6Btk

Elle a vendu plus de deux millions de disques, interprété plus de 600 chansons en 8 langues.

  À 46 ans, elle devient meneuse de revue au Palais des Sports.

https://www.youtube.com/watch?v=JxHTw7H_uTo

Les raisons de son succès ? Sa voix d’alto à l’accent italien, son corps de pinup, son côté kitsch et ses histoires d’amour souvent malheureuses.

  Une petite place du XVIIIe arrondissement de Paris, au carrefour de la rue de l’Abreuvoir, de la rue Girardon et de l’allée des Brouillards, est devenue la “Place Dalida” le 24 avril 1997.

 « Dans ce début des années 80, le Palais des Sports est la salle à la mode. À la surprise générale, Dalida, abonnée à l’Olympia vient parfaire sa cure de jouvence disco dans l’antre du rock’n’roll. La campagne médiatique menée par son frère Orlando est exemplaire.

Le produit est parfaitement ciblé. “Dali” est la première chanteuse à s’installer si longtemps porte de Versailles (15 jours), la campagne d’affiches provocante entrera dans les annales du show-biz. Voici Dalida assise à califourchon sur une chaise, un chapeau claque remplissant l’office habituel de la feuille de vigne (...)

Dalida chante Mon frère le soleil. La diva est au centre de la scène vêtue d’une cape gigantesque justement en forme de...soleil. »

1968-1988 Histoires de chansons, Sylvie Coulomb – Didier Varrod

Balland – 1987 

Mireille Mathieu (1947) est l’héroïne d’un conte de fées médiatique : fille d’un tailleur de pierres d’Avignon, faisant la lessive et la vaisselle pour ses douze frères et sœurs, elle gagne un concours de chant et monte à Paris où on la sacre comme l’héritière d’Édith Piaf en 1965.

  Sa carrière internationale la mène aux États-Unis, au Japon, en Russie.

  Ce qui étonne chez Mathieu, c’est son manque d’émotion vraie. Il s’agit d’un travail technique sans faille, une perfection qui donne le vertige, le vertige du vide.

https://www.youtube.com/watch?v=EDjveZ8dNaU

« Elle était la chanteuse préférée des Français en 1968, elle est encore aujourd’hui parmi les trois premières de tous les sondages dont Télé 7 jours ressent périodiquement la nécessité. Mireille Mathieu, si ses scores discographiques ne sont plus ceux d’antan, remplit toujours les salles (son Palais des Congrès fut un franc succès) et s’est installée dans le rôle honorifique d’ambassadrice de France à l’étranger, ses expéditions en Chine ou en URSS sont d’ailleurs largement évoquées dans les grands médias. Elle annonce sa rentrée à Bercy avec les chœurs de l’Armée Rouge. »

1968-1988 – Histoires de chansons, Sylvie Coulomb – Didier Varrod

Balland – 1987

Sacha Distel (1933-2004) est le neveu de Ray Ventura.  Il grandit dans les coulisses du spectacle et commence sa carrière comme guitariste de jazz.

  A la fin des années 50, il a une liaison amoureuse avec Brigitte Bardot, et, en 1958, il enregistre comme chanteur, Scoubidou, c’est un succès monstre. D’autres succès suivent, Oh, quelle nuit !,  Personnalité, Scandale dans la famille, Monsieur Cannibale ...

https://www.youtube.com/watch?v=AoTim-pHvag

En 1968, l’esprit de la chanson coloniale est encore bien vivant !

  A Partir des années 70, il passe bien plus de temps à l’étranger qu’en France.

  En avril 2003, Sacha Distel fait un retour inattendu avec le double album En vers et contre vous.

 

 Boby Lapointe (1922-1972). Arrivé à Paris en 1951, il exerce plusieurs métiers, électricien, installateur d’antennes de télévision avant d’écrire des chansons, notamment Aragon et Castille, que Bourvil interprète dans le film Poisson d’avril.

https://www.youtube.com/watch?v=K4Jkh5aAn-0

  Ses vrais débuts ont lieu au Cheval d’or. Assis sur un tabouret d’étable et accoudé au piano, il hurle ses chansons sans tenir trop compte du rythme, remue les épaules et se secoue dans tous les sens, le regard vide et l’air furieux.

  En 1960, il chante Framboise dans le film de Truffaut Tirez sur le pianiste. Il passe alors dans les grandes salles parisiennes, souvent en première partie de Brassens.

https://www.youtube.com/watch?v=hVEk1wiUxa0

Elle s’appelait Françoise

Mais on l’appelait Framboise

Une idée de l’adjudant

Qui en avait peu pourtant

Des idées

Elle nous servait à boire

Dans un bled du Maine-et-Loire

Mais c’était pas Madelon

Elle avait un autre nom

Et puis d’abord pas question

De lui prendre le menton

D’ailleurs elle était d’Antibes

Quelle avanie

Avanie et Framboise

Sont les mamelles du destin.

Framboise

  Il publie une cinquantaine de chansons en douze ans et joue dans La veuve Couderc, Les choses de la vie, Marc et les ferrailleurs.

  Les chansons de Boby Lapointe sont des sortes de petites machines dont les mots sont les engrenages. La musique s’amuse à les faire grincer. Le chanteur est le moteur de la machine. On peut dire que Boby Lapointe est un chanteur burlesque : un être humain perdu au cœur d’un monde mécanique.

  En décembre 1971, il apparaît pour la dernière fois sur scène à Bobino. Ce n’est qu’après sa mort prématurée, en 1972, qu’il fut reconnu à sa juste valeur.

 


  Nino Ferrer (1940-1998) découvre le rhythm’n’blues étant bassiste dans des orchestres new orléans et cherche à le traduire en français. L’énorme succès de ses chansons à l’humour absurde Mirza, Les cornichons, Le téléfon, l’enferme dans la catégorie des amuseurs publics.

https://www.youtube.com/watch?v=buUqkohMphg

 

Après une certaine désaffection du public, il revient en force dans les années 60 avec des ballades comme Le Sud (1975) et La maison près de la fontaine (1977).

https://www.youtube.com/watch?v=Ahyzb47QwPA


Pierre Perret
est révélé par un Musicorama (1959). Il fait après le tour des cabarets “rive gauche”. Trois ans plus tard, c’est le succès avec Tord-boyaux, révélateur d’un humour féroce. La truculence de ses rengaine (valses, tangos, paso-dobles) achève de le rendre irrésistible sur scène. Les spectateurs hilares reprennent en chœur Tonton Cristobal.

https://www.youtube.com/watch?v=WV7nO1Lefu8

 

  Il récupère l’argot populaire :

Elle a des gambettes

Si bien tournées

Que même les quenouilles de Marlène

À côté c’est du barbelé

  Pierre Perret est, en somme, l’héritier de toute une tradition gauloise

 

LES ANNÉES YÉ-YÉ

La France s’enlise dans la guerre d’Algérie qu’on appelle pudiquement et hypocritement les “évènements d’Algérie”. Commence aussi une période d’expansion économique et de plein emploi.

  Le monde de la chanson va se transformer complètement : quelque trois millions de jeunes deviennent la cible préférée des maisons de disques qui vont substituer la politique du coup commercial à l’édification patiente de la carrière d’un artiste.

Une carrière commence alors avec un disque passé à la radio plusieurs fois par jour, cela s’appelle le “matraquage”. RTL, RMC, Europe 1 assurent des passages réguliers, répétés des succès des idoles sur les ondes.

  L’émission culte est Salut les copains de Frank Tenot et Daniel Filipacchi. Deux heures d’antenne tous les jours (17-19 heures), ensuite un journal du même nom (1962), puis d’autres (Mademoiselle âge tendre, Chouchou, Super hebdo) contribuent à lancer bon nombre de vedettes yé-yé.

Le succès fulgurant de SLC pousse alors chaque groupe de presse à créer son propre magazine de teenagers. Ainsi naissent et meurent Nous, les garçons et les filles, Formidable, Moins 20... Rock’n’folk apparaît dans le contexte de la contestation surgie autour du phénomène Dylan.

  Le 45 tours est le support musical par excellence, celui qui permet à un éditeur d’enregistrer quatre titres à moindre frais. Quant au fan, il trouve un produit financièrement à sa portée. D’autre part, le tourne-disque et la radio deviennent bien plus légers et transportables.

 Les jeunes Français s’enthousiasment pour la variété anglaise, qui fait beaucoup pour mondialiser le rock dur (les Rolling Stones) ou un rock tendant vers la pop music (les Beatles, avec qui Sylvie Vartan se produit à l’Olympia en 1964).

 Le répertoire yé-yé est à l’image d’un public dont les préoccupations principales sont les copains, les flirts, les surprises-parties, l’école, bref, les circonstances de la vie quotidienne des 15-20 ans.

  Les pères fondateurs de cette chanson yé-yé, qui firent les beaux jours du Golf Drouot : Johnny Hallyday, Eddy Mitchell, Dick Rivers... Le Golf Drouot était un club parisien, ouvert en 1953, transformé en 1956 à l’usage de la clientèle jeune (16-21 ans) par le barman Henri Leproux.

  L’attraction principale est le juke box, un électrophone qui reproduit les chansons choisies par la clientèle après introduction d’une pièce de monnaie. Parmi ses auditeurs les plus assidus, Jean-Philippe Smet (Johnny Halliday) et Claude Moine (Eddy Mitchell). Le succès du premier lance le club et en fait “le temple du rock”.

 

 Johnny Hallyday (1943-2017). Enfant, il est élevé par sa tante. Ses deux cousines et le mari de l’une d’elles, Lee Halliday, forment un trio avec lequel le petit Jean-Philippe Smet parcourt l’Europe.

  À la fin des années 50, il fréquente le Golf Drouot et en 1959, il est engagé su Robinson Moulin Rouge. En 1960, il sort son premier 45 tours (T’aimer follement). Il devient alors l’idole des enfants du “baby boom” de l’après-guerre.

  Le rock d’abord (Souvenirs, souvenirs), le yé-yé ensuite et puis le twist (Viens danser le twist), Johnny surfe sur les vagues de la mode. Fin 1966, il aura vendu 18 millions de disques.

https://www.youtube.com/watch?v=lN6ypUw_7gE


  Les années 70 inaugurent une nouvelle phase de sa carrière, celle des spectacles de plus en plus étonnants, empruntant au cirque et aux grandes machineries hollywoodiennes : 129 personnes furent nécessaires pour faire tourner dans 85 villes le “Johnny circus” de 1972.

  Ses tubes sont innombrables, Que je t’aime, À tout casser, Sarah, Ma gueule, Quelque chose de Tennessee, Laura ...

https://www.youtube.com/watch?v=8Sc4Pb7d1Nk

 

   Malgré cette présence constante au hit-parade, Johnny réserve toute son attention au travail de scène. Usant de toutes les techniques des rockers américains, Johnny mène son public vers une sorte de communion.

  En 2003, à 60 ans, Johnny Hallyday est peut-être la seule idole inébranlable de la chanson française.

En 2005, sort l’album Ma vérité, plus rock que les précédents et où il renoue avec la composition : Apprendre à aimer.

https://www.youtube.com/watch?v=VXpwEHdHGYk

En 2006, commence le Flashback Tour qui s’achèvera en mars 2007.

Les tournées s’enchaînent ainsi que l’enregistrement d’albums, Le cœur d’un homme (2007), Ça ne finira jamais (2008), Jamais seul (2011), L’attente (2012), De l’amour (2015), Rester vivant (2017).

Johnny Hallyday meurt le 5 décembre 2017.

https://www.youtube.com/watch?v=s3O1Xro7oAI

 « Plus de quarante ans que cela dure et l’on ne voit pas pourquoi cela s’arrêterait. (...) À l’heure où l’on parle de prendre sa retraite, Johnny n’est pas près de prendre la sienne, pour le plus grand bonheur de ses fans comme pour celui des annonceurs auxquels il prête son image et son nom. (...) Dimanche soir, a eu lieu au Parc des Princes, devant 55 000 spectateurs (...) le “concert de sa vie”. Son récital était retransmis en direct par TF1, ce qui permit à des millions de téléspectateurs d’écouter leur idole.

Quoiqu’il en soit, bon anniversaire Johnny ! »

Régine Deforges

L’Humanité – 18 juin 2003

« Johnny le revenant

Mémoire chantante, phénix de foire, icône nationale, telle est l’équation du Johnny 2000.

Le mystère Johnny? Celui d’un juke-box vivant qui vampirise les mémoires. En juin 1960, il chantait déjà “Souvenirs, souvenirs”. Il aura fallu quarante ans pour que la rengaine devienne vérité: un concert de Johnny Halliday, ce sont quatre décennies compilées en trois heures. (...)

En 1964, Johnny effectue son service militaire à Offemburg, RFA: il est l’idole de la première génération qui, depuis 1870, ne montera pas au front.(...) “Je suis un soldat” chantait Johnny dans “Quand revient la nuit”. Oui, mais un soldat passe-murailles : yé-yé en 1963, rhythm’n’blues en 1965, hippie en 1967, hard rock en 1975; puis sa musique a intégré des synthés dans les années 80 et des violons dans les années 90. Accidents de voiture, tentative de suicide, divorces, familles recomposées, démon de midi, il aura tout vécu et tout reflété. (...)

Johnny, c’est le Revenant. Au mythe orphique (...) il ajoute une légende d’énergie herculéenne. Il y a quelque chose de culturiste de foire chez ce marathonien des chapiteaux. »

Marc Lambron. Le Point nº1446 – 2 juin 2000

À sa mort, en 2017, Johnny Hallyday a droit à des funérailles nationales.

Les premières années 60 sont aussi celles des groupes. Au premier rang, Les chaussettes noires, constituées autour d’Eddy Mitchell.

  Leurs succès avant de se dissoudre en 1963 : Be bop a Lula, Eddy sois bon (Johnny be good, Chuck Berry), Daniela.

  Eddy Mitchell (Claude Moine, 1942) continuera sa carrière en solo. Ses chansons où figurent des adaptations des “hits” américains (Toujours un coin qui me rappelle) sont très souvent signées Claude Moine qui révèle un vrai talent de parolier : L’épopée du rock, Et s’il n’en reste qu’un, Sur la route de Memphis...

https://www.youtube.com/watch?v=w-W4VgQtLNA

     Dick Rivers (Hervé Forneri, 1945) était le leader des Chats sauvages (Twist à Saint-Tropèz, C’est pas sérieux). En solo il connaît de temps en temps le succès avec des balades country (Faire un pont, Maman n’aime pas ma musique), mais, des trois légendes, c’est celui qui a le plus de difficultés à se maintenir.

https://www.youtube.com/watch?v=r7p4w9zf9R0

L’un des plus grands vendeurs de disques de la période, Richard Antony (1938), enregistre en 1969 son premier succès, Nouvelle vague. Celui qu’on appelle “le père tranquille du rock” s’est, en fin de compte, laissé porter par les vagues yé-yé (J’irai twister le blues), bossa-nova (Tout ça pour la bossa-nova), locomotion (On twiste sur le locomotion), protest song (Écoute dans le vent). En 8 ans, il enregistre trois cent chansons dont 21 seront nº1 au hit-parade. Il se reconvertit plus tard dans la chanson de charme sans grand succès.

https://www.youtube.com/watch?v=9J80X1niH38

De ses origines modestes –des parents marchands de bonbons sur les marchés de la région parisienne- à sa découverte par Claude Carrère, qui deviendra son producteur, l’histoire d’Annie Chancel (1946), Sheila, ressemble à une “succes story” à l’américaine.

  Sheila, un pur produit de l’industrie du disque, est un miroir qui renvoie au public français l’image de sa propre tranquillité, de son amour de la famille et de l’ordre. Elle a le visage d’une jeune fille agréable, gaie, simplement vêtue avec un signe distinctif, les couettes de sa coiffure.

  En mars 1963, elle passe à l’émission de Guy Lux où elle chante L’école est finie. À partir de là tout ira très vite, Ma première surprise-partie, C’est toi que j’aime, La famille, Petite fille de Français moyen...

https://www.youtube.com/watch?v=HUylpu7sk1Y

En 1977, Carrère comprend qu’il faut réorienter la carrière de Sheila, ce sera l’opération disco. Elle chante Singing in the rain qui se retrouve nº1 sur tous les charts européens.

   Les années 80 amènent un tournant dans sa carrière, Sheila se produit sur scène, ce qu’elle n’avait pratiquement pas fait auparavant, elle change de répertoire, Smile, de Chaplin; Over ther rainbow, de Judy Garland; L’absence, de Bécaud, entre autres. “Qui aurait dit qu’un jour je chanterais ça ? Pas moi” confesse-t-elle devant son public.

  Celle qui a été sacrée icône gay est toujours portée par des milliers de fans, un peu déstabilisés par son changement de ton et de répertoire mais qui continuent à l’aimer inconditionnellement.

https://www.youtube.com/watch?v=q6Qw10T-IaY

Actuellement on la voit surtout dans les pages des magazines people.

« SHEILA au Zénith

Il y eut d’abord ce soir du 22 février où tous les fidèles étaient là. Une femme enfin noyée dans la lumière.

Une drôle d’ambiance singulièrement émouvante. La naissance d’une chanteuse placée sous couveuse vingt ans durant ne se rate décidément pas. Ils étaient tous là, ils venaient juger “la bête”. Sur les bancs embouteillés de l’école du spectacle, on n’a pas toujours été bonne copine avec elle. (...)

Sheila au Zénith ou la mise à nu des contradictions et ambiguïtés d’une carrière sans équivalent. Sur scène, (...) la chanteuse (...) donne tout et ne nous épargne rien. De ses tubes à l'intérêt malheureusement et strictement historique, à ses histoires du temps présent (...)

La scène reste la consécration suprême que 63 millions de disques vendus ne lui avaient pas donnée. (...)Sheila sur scène, c’est la victoire d’une chanteuse enfin libérée d’un système qu’elle a elle-même trop souvent nourri. (...) »

1968-1988 – Histoires de chanson, Sylvie Coulomb-Didier Varrod Balland - 1987

  Sylvie Vartan (1944) sort son premier disque Quand le film est triste en 1961. C’est un succès grâce au puissant battage publicitaire orchestré par Daniel Filipacchi, car les seuls atouts de la blonde chanteuse étaient à cette époque sa jeunesse et sa bonne volonté.

  En 1965, elle épouse Johnny Halliday à Loconville. Pour des milliers de jeunes ils deviennent “le couple”. Son succès se maintient, Tous mes copains, La plus belle pour aller danser.

https://www.youtube.com/watch?v=sfiuaOWjEkI

 Son assurance grandit, des cours de chants, des tournées aux États-Unis et au Japon lui apprennent le métier.

  En 1970, après un accident de voiture, une chirurgie esthétique aux États-Unis, l’apprentissage de la danse, on vient juger à l’Olympia la nouvelle Sylvie Vartan. La Sylvie des paillettes et des chorégraphies télégéniques est née là, abandonnant sur scène l’image éthérée de la petite mariée de Loconville. Comme l’heure est à la ballade, elle enregistre Deux minutes trente-cinq secondes de bonheur, Comme un garçon...

  https://www.youtube.com/watch?v=eVJ9wu_3YU0


En 1975, elle prend possession du Palais des Congrès. Le tournant vers la revue façon Las Vegas est désormais définitif.

  En 1978, Sylvie Vartan enregistre un album entier aux États-Unis, I don’t want the night to end, c’est un échec.

  Quoique habitant les États-Unis, Sylvie retourne de temps en temps en France et enregistre des albums (Nouvelle vague, Toutes peines confondues, Soleil bleu et Merci pour le regard, en 2021).

https://www.youtube.com/watch?v=wfrYEplkEPk

 

Claude François (1939-1978) commence sa carrière musicale comme batteur de l’orchestre d’Aimé Barelli.

  Avec Belles, belles, belles, Marche tout droit et Si j’avais un marteau il s’installe rapidement en tête des hit-parades.

https://www.youtube.com/watch?v=H8grVC-YO8M

  Il est adopté par les 10-16 ans, ce qui lui permet d’être toujours fidèle à sa manière première, au contraire des autres vedettes yé-yé qui ont été obligées d’évoluer pour survivre.

  Il puise souvent ses musiques dans le hit-parade américain. Les paroles édulcorées répondent aux besoins des pré-adolescents

  Dans les années 70 Claude François est un vrai businessman avisé qui se forge une image de prince charmant. Cheveux blonds, yeux bleus, visage lisse qui polarise l’affection de ses fans. Il possède sa propre compagnie de danse (les Clodettes), il dirige au bras de fer son propre label (Flèche) et lance ses artistes maison dont le plus connu reste Alain Chamfort. Il lance plus tard Podium, son magazine.

  La vente de ses succès de disque, de Comme d’habitude (1968), dont l’adaptation anglaise (My way) devint un énorme hit aux États-Unis, à Alexandrie Alexandra  (1978) sa dernière chanson, sans oublier C’est de l’eau (1970) ou Le téléphone pleure (1975) se trouva relancée après sa mort en 1978. Sa résidence à Dannemois est devenue un lieu de pèlerinage.

https://www.youtube.com/watch?v=HkVhN64dyd8

Le premier chanteur français à oser chanter du folk est Hugues Aufray (1932) qui fait ses débuts en 1959. En pleine vogue du rock’n’roll il a du mal à percer jusqu’à ce que, de retour des États-Unis où il a découvert Bob Dylan, Pete Seeguer, Peter Paul and Mary, il adopte le style “cow-boy” et adapte Bob Dylan et le Kingston trio. Son premier succès (1964) est d’ailleurs signé Dylan, N’y pense plus, tout est bien. Un an après, il sort un album entièrement consacré au protest singer américain.

  Suivent des ballades plus françaises, Les crayons de couleurs (sur le racisme), Le bon Dieu s’énervait, Les mercenaires. 

https://www.youtube.com/watch?v=u1RIf_ovLPU

  Les chansons d’Hugues Aufray chantent la nature, le grand large, l’aventure.

  À 70 ans, il enregistre un album avec des sonorités celtiques et hispaniques, Chacun sa mer. Suivront Troubador since 1948, en 2011 et Autoportrait, en 2021.

https://www.youtube.com/watch?v=NaLIfxWbEbA

Françoise Hardy (1944) enregistre à 18 ans son premier 45 tours, Tous les garçons et les filles.

https://www.youtube.com/watch?v=XPkBMqehr5k

 En 1963, elle passe à l’Olympia et prend la tête des hit-parades européens.

  On trouve chez elle trois styles de chansons: celles qu’elle signe, au début de sa carrière, qui racontent des flirts adolescents sur des rythmes de rock lent (J’suis d’accord, Mon amie la rose); puis celles que signes d’autres auteurs, d’une forme plus poétique et qui lui permettent de se maintenir en dehors du va-et-vient de la  mode (Des ronds dans l’eau, Ma jeunesse fout l’camp) et finalement une troisième vague basée sur la recherche d’un climat, sur la mise en valeur de la couleur “blue” que Françoise Hardy est la seule à apporter à la chanson française. Ce sont, par exemple, les chansons que lui produisent, dans les années 70,  Michel Berger (Message personnel) et Michel Jonasz (J’écoute la musique saoule)

https://www.youtube.com/watch?v=ANchsQz11po

En 1982, sort l’album Quelqu’un qui s’en va et en 1986, Décalages. 1994 sera l’année de Le Danger avec des mélodies plus rock.

En 2000, elle enregistre Clair-obscur. Son fils, Thomas Dutronc, l'accompagne à la guitare sur quelques morceaux de cet album.

2005 sera l’année de Tant de belles choses et 2010, celle de La pluie sans parapluie.

L’amour fou sort deux ans plus tard.

Le dernier album de Françoise Hardy, Personne d’autre paraît en 2018.

Françoise Hardy – Clair-obscur

Elle a toujours préféré l’ombre à la lumière (...) Françoise Hardy revient avec Clair-obscur, un album en demi-teintes qui lui ressemble forcément (...) C’est tout naturellement qu’elle a fait appel au complice d’une vie, Jacques Dutronc avec lequel elle n’avait pas chanté depuis des années, interprétant Puisque vous partez en voyage une chanson écrite en 1930 par Jean Nohain (...) cette ouverture relativement classique précède un autre duo, plus étonnant. Avec Ol, jeune chanteur camerounais au timbre feutré, au côté duquel Françoise Hardy chante Celui que tu veux. Une autre surprise est cette adaptation d’un célèbre morceau, Tears, devenu Tous mes souvenirs me tuent, de Django Reinhart et Stépahne Grapelli, ici accompagné à la guitare par Babik Reinhart, fils de Django et un certain ... Thomas Dutronc. Clair-obscur est le disque des rencontres. On y croise Iggy Pop (...) Étienne Daho (...) Sans doute est-ce là l’un de ses albums les plus sensibles et les plus personnels.

V.H.

L’Humanité – 13 mai 2000


Marie Laforêt (1939-2019) est déjà bien connue comme actrice quand elle enregistre son premier disque en 1964 (Les vendanges de l’amour) qui connaît un grand succès. Les titres qui suivent, adaptations de succès étrangers ou chansons originales (Manchester et Liverpool, Viens sur la montagne, Mon amour, mon ami

  Elle interprète ensuite des chansons folk, dont Blowin’in the wind de Bob Dylan ou La flûte magique sur l’air de El condor pasa, avant que Simon et Garfunkel en fassent leur propre version.

  Elle chantera jusqu’aux années 70. On ne le verra plus que comme actrice.

France Gall (1947-2017) fut d’abord l’une des lycéennes-chanteuses lancées à l’époque du yé-yé. Ses atouts : un minois charmant, un filet de voix et, surtout, un papa auteur de chansons à succès qui lui écrit son premier tube en 1965, Sacré Charlemagne.

  Elle chantera ensuite Gainsbourg, Les sucettes et Poupée de cire, poupée de son grâce à laquelle elle remporte le grand prix Eurovision 1965 et dont elle vendra plus d’un million de disques.

  Après une passe difficile dans sa carrière, elle rencontre Michel Berger qui sera son nouveau pygmalion. Avec lui, France Gall renoue avec le succès, La déclaration d’amour, Musique, Viens, je t’emmène, Il joue du piano debout, Si. Maman, si, Babacar

Le couple lance aussi l’opéra-rock Starmania.

Michel Polnareff (1944) est le fils d’une danseuse et du compositeur Léo Poll. À cinq ans, il commence ses études de piano et décroche, à onze ans,

le premier prix du Conservatoire de Paris. Après une très courte expérience professionnelle dans les assurances, il préfère prendre sa guitare et chanter dans la rue.

  En 1965, il obtient le prix Disco Revue ce qui lui permet d’enregistrer un disque, La poupée qui dit non (1966), un formidable tube qu’il enchaîne avec Love me, please love me.

  Son style nouveau, très musical, traverse les frontières et Polnareff se classe dans les charts européens, de l’Angleterre à l’Allemagne.

  Avec son image extravagante, lunettes noires, pantalons moulants, provocations ambiguës, Polnareff défraie la chronique. Son titre L’amour avec toi est interdit d’antenne pour pornographie.

  En 1972, l’affiche de son spectacle Polnarévolution le montre fesses nues. Ce scandale lui apporte à nouveaux interdictions et procès. Ceci, ajouté avec des démêlés avec le fisc, le font quitter, en 1973, la France pour les États-Unis où il arrive à placer, deux ans plus tard, Jesus for tonight dans le billboard.

  Ses albums suivants connaissent, en France, des succès divers. Bulles, de 1981, lui prouve que le public hexagonal ne l’a pas oublié.

  En 1989, Goodbye Marilou envahit les ondes de radio et devient un grand succès. Mais ce sera le dernier feu d’artifice de Michel Polnareff.

Dans le panorama yé-yé, Michel Polnareff s’est révélé comme un artiste vraiment original qui allonge et décompose les syllabes selon l’exigence du tempo, qui place sa voix comme un instrument de plus à la manière de l’école américaine. Compositeur, il arrange et dirige une musique inspirée de la “soul” mais aussi de la musique classique. Le tout à comme résultat un romantisme qui ne se prend pas au sérieux. Un exemple en sont ses chansons les plus belles, Tous les bateaux, tous les oiseaux (1969) et On ira tous au paradis (1973).

https://www.youtube.com/watch?v=-eat3UGPn7E

Vers la fin des années 60, Joe Dassin (1938-1980) représente une variété qui ne se pose pas de questions. Fils du réalisateur Jules Dassin, il commence à chanter aux États-Unis, à l’université où il termine son doctorat en ethnologie. Plus tard, en France et avec les paroliers Franck Thomas et Jean-Michel Rivat, il élabore un répertoire qui connaît un grand succès : Les Dalton, Siffler sur la colline, La bande à Bonnot, Le petit pain au chocolat, Les Champs-Elysées, L’Amérique, Le chemin de papa...

  Dans les années 70 et avec la collaboration de Pierre Delanoë et Claude Lemesle, Joe Dassin adapte des succès étrangers, Vade retro, Et si tu n’existais pas, Un lord anglais et surtout L’été indien qui lui permet d’aborder une carrière internationale interrompue par sa mort en 1980.

https://www.youtube.com/watch?v=589e0KAmM1U

Jacques Dutronc (1943) abandonne le lycée pour devenir guitariste des Cyclones. Avec un autre groupe, les Fantômes, il enregistre un 45 tours qui n’obtient aucun succès. Il devient plus tard guitariste d’Eddy Mitchell et directeur artistique de Françoise Hardy pour laquelle il écrit Va pas te prendre pour un tambour et Le temps de l’amour et dont il va bientôt partager la vie.

  En 1965, il se lance comme chanteur. Et moi et moi et moi, paroles de Jacques Lanzmann, inaugure un style de chansons qu’il ne va jamais quitter et dont la façon de ne pas se prendre au sérieux n’appartient qu’à lui. Les cactus, Les play-boys, J’aime les filles, Il est cinq heures, Paris s’éveille sont devenues des classiques.

https://www.youtube.com/watch?v=3WcCg6rm3uM

  En 1973, il ralentit ses activités de chanteur pour se lancer dans le cinéma avec un rôle dans Antoine et Sébastien de Jean-Marie Périer. Suivront L’important c’est d’aimer de Zulawski, Les bons et les méchants de Lelouch, L’état sauvage de Francis Girod et Sauve qui peut la vie de Godard.

  En 1975, il sort l’album L’île enchanteresse et chante en duo avec Françoise Hardy et en 1980, il fait un retour fracassant avec l’album Guerre et pets dont 6 titres sont écrits avec Serge Gainsbourg.

  Il remporte un César avec le film Van Gogh et, en 1993, une Victoire de la Musique pour ses concerts au Casino de Paris.

  En 1995, Dutronc sort l’album Brèves rencontres et en 2000 il chante avec Françoise Hardy Puisque vous partez en voyage et tourne Merci pour le chocolat et La mort intime

En mai 2003, Jacques Dutronc sort Madame l’existence où il retrouve Jacques Lanzmann qui écrit la plupart des textes

https://www.youtube.com/watch?v=drloL9BNNf4&list=PLiN-7mukU_RFpdSLwi_qHdzN9OZWed-9d

En novembre 2022,  Jacques Dutronc enregistre avec son fils Thomas l’album Dutronc & Dutronc.

https://www.youtube.com/watch?v=b6A-Enj9NuM

Brigitte Fontaine et Jacques Higelin

Artiste impossible à cataloguer, Brigitte Fontaine est née à Morlaix, en Bretagne, en 1940. Bien avant la musique, la grande passion de son enfance est le théâtre. Au début des années 60, elle débarque à Paris bien décidée à faire du théâtre, mais elle finit par se mettre à la chanson.  Elle cultive déjà un style fantasque et décalé.

 

Higelin et Fontaine

 En 1964, elle monte la pièce Maman j’ai peur avec deux jeunes acteurs alors inconnus, Rufus et Jacques Higelin. L’amitié avec Higelin a duré jusqu’à la mort de celui-ci, en 2018. Ils sortent tous les deux un album en 1965, Douze chansons avant le déluge. Trois ans après, ce sera Brigitte Fontaine est folle.

  C’est à cette époque qu’elle rencontre Areski Belkacem, un musicien algérien avec lequel elle commence à travailler et à vivre. Avec Higelin, ils forment un trio qui va se placer pendant plusieurs années à l’avant-garde du théâtre expérimental. Brigitte Fontaine devient la diva de l’underground parisien. Elle sort son album le plus célèbre, Comme à la radio, où elle est accompagnée de l’Art Ensemble de Chicago, figure de proue du jazz moderne de l’époque.

https://www.youtube.com/watch?v=Tn_Nk_rAAaA

  En 1971, elle signe le fameux Manifeste des 343 femmes, célèbres ou pas, qui déclarent avoir eu recours à l’avortement, avortement qui ne deviendra légal qu’en 1975. Dès lors, elle s’engagera très souvent dans des luttes politiques ou sociales.

  En 1973, Fontaine et Areski sortent Je ne connais pas cet homme et en 1974, L’incendie. C’est une époque fertile en créations mais sans grandes répercutions.

  Les années 80 sont encore plus difficiles. En 1985, l’album French corazon est refusé par toutes les maisons de disques. Ce n’est que trois ans plus tard, et par l’intermédiaire d’une admiratrice japonaise, que l’album est enregistré.

  Grâce à un clip vidéo, le titre Le Nougat connaît un certain succès en 1989. Brigitte Fontaine renoue alors petit à petit avec le public. En 1993, elle présente, avec Areski et Higelin, un show au Bataclan qu’elle répète plus tard au Casino de Paris.

https://www.youtube.com/watch

  L’album 1995, Genre humain, qui passe allègrement du rap au raï, est co-signé par un autre admirateur, français cette fois, Étienne Daho. Les Palaces, de 1997, est plus serein.

En 2001, paraît Kékéland. Selon Fontaine: “Kéké, c’est un peu ouf, simplet, rigolo, foufou, un peu kitch”. Areski est toujours de la partie, mais d’autres musiciens ont collaboré à l’album : les Américains de Sonic Youth (Demi clocharde, Kékéland, où on entend aussi la voix de Bertrand Cantat), Noir Désir (Baby boom boom), M, qui reprend avec elle Y’a des zazous, grand succès des années 40.

En 2005, après avoir donné une série de concerts avec ce groupe, mais aussi avec la Compagnie des musiques à ouïr, elle publie chez Flammarion un nouveau roman, La Bête curieuse, dont l'ambiance érotique annonce un peu la tonalité de son quinzième album, Libido (2006).

En février 2008, notre artiste publie chez Flammarion un nouveau roman, Travellings, tandis que Benoît Mouchart lui consacre une biographie, Brigitte Fontaine, intérieur/extérieur.

Paru en octobre 2009, son disque Prohibition est réalisé par Ivor Guest et Areski Belkacem, avec la participation de Grace Jones et Philippe Katerine.

https://www.youtube.com/watch?v=IlLJqORNu2Q

Un nouvel album intitulé L'un n'empêche pas l'autre, constitué d'inédits et de reprises, la plupart en duos, paraît le 23 mai 2011.

En octobre 2012, les éditions Actes Sud publient Portrait de l'artiste en déshabillé de soie, où Brigitte Fontaine dévoile ses pensées intimes sous forme d'une suite de révélations et d'illuminations poétiques qui prolongent son travail d'écrivaine.

En 2013, Brigitte Fontaine publie son album J'ai l'honneur d'être avec la collaboration d'Areski et de Jean-Claude Vannier, dont le premier extrait, Crazy Horse, fait l'objet d'un clip signé Enki Bilal.

Le 24 janvier 2020, elle sort son 19e album : Terre neuve, composé de 19 titres, et une nouvelle fois réalisé en compagnie de Yan Péchin et Areski Belkacem. La chanson Vendetta est décrite par le journal L'Humanité comme la suite de sa signature du manifeste des 343.

https://www.youtube.com/watch?v=sT-JtbU-EOc

 Théâtre, chanson, livres, rien de ce qui est parole n’est indifférent à Brigitte Fontaine, artiste hors norme dans l’univers de la chanson française.

« La plus originale de nos chanteuses se situe à mi-distance de Björk, Frehel et de Catherine Ringer.

Quatre ans après Palaces, la complice d’Higelin et d’Areski Belkacem sort Kékéland. Un album délirant dans lequel on croise M, Bertrand Cantat, les Valentins ou encore le groupe new-yorkais Sonic Youth.

Le zazou est-il plus contagieux que la maladie de la vache folle ? Oui, affirme Brigitte Fontaine auquel l’étrange phénomène n’a pas échappé : " Ça commence par un tremblement chante-t-elle, qui vous prend soudain brusquement / Et puis, on pousse un hurlement ! "

Toujours aussi fantasque, dans son nouvel album Kékéland, elle s’amuse à jouer les géniales déconneuses en compagnie de M, dans un duo espiègle, Y a des zazous, reprise d’une chanson de 1942, écrite par le comique troupier Andrex, lequel voyait des zazous partout dans son quartier. Si Brigitte Fontaine puise à la source du caf’conc’, c’est pour mieux sacrifier à ses désirs de théâtralité, allant jusqu’à s’imaginer aujourd’hui en " demi-clocharde " aux vers délirants : " Des asticots dans l’héroïne, ça me dégoûte / Dorénavant, je bois du gin avec des sorbets aux marrons. " Prêtresse d’un rock décalé, allergique au show-biz, elle est une allumée des espaces free, définitivement à la marge de toute production formatée. La pop consensuelle n’est pas pour elle comme en témoigne Kékéland, qui ressemble à un kaléidoscope d’impressions totalement " zarbi ", sur lequel souffle une douce folie. À l’image des Filles d’aujourd’hui, qui, nous dit-elle ont " la folie des grandeurs ".

On la croit gaie et foldingue. Elle est tout autre chose, sorte d’araignée du soir dont les textes aux vapeurs mystérieuses, ne s’entourent pas tous les jours d’espoir : " Je fume à m’en rel’ver la nuit " ou encore " C’est comme un peu de poudre dans une veine bleue ". Elle ne broie pas du noir pour autant, forçant le destin, à travers ce drolatique pays peuplé de kékés " Un kéké, c’est un louf, un rigolo ", sourit celle qui aime inventer pour mieux se réinventer. Reine d’un jardin surréaliste où se croisent d’étranges âmes, elle adore ainsi explorer des territoires de modernité sonique où l’abstraction n’est jamais loin. Le premier des kékés à avoir collaboré avec elle a été M, l’un de ses grands admirateurs, au côté duquel elle interprète Y a des Zazous, le fils de Mathieu Chédid lui ayant également écrit Pipeau et Rififi qui traduit l’empire de la nuit. Autre duo, autre rencontre, Baby boom boom chanté avec Bertrand Cantat, propose une relecture d’un titre des années quatre-vingt, tiré de l’album les Églantines sont peut-être formidables. Kékéland multiplie ainsi les participations, des Valentins au groupe new-yorkais Sonic Youth en passant par Archie Sheep et, bien sûr, le fidèle Areski Belkacem. Résultat : des ambiances qui relèvent aussi bien de la chanson rock que du trip hop et du free jazz. Où l’on s’aperçoit que Brigitte Fontaine cultive une véritable passion pour l’écriture. Elle use de la langue en esthète de mots choisis qu’elle flatte, caresse de sa voix grave, en poétesse pop. À la fin, elle dit simplement : " Ça vous plaît ? " consciente que tout le monde ne la suivra pas, libre et heureuse. Un grain de folie bienvenu en cette rentrée. »

Victor Hache

L’Humanité-15 septembre 2001

 Le 20 avril 2022, Brigitte Fontaine, 82 ans, a fait ses adieux à scène au Printemps de Bourges. Voici ce qu’écrivait Sébastien Jédor sur le site de RFI :

« Imprévisible et irrévérencieuse… Le suspense aura duré jusqu’au bout, mais, finalement, Brigitte Fontaine, vêtue d'une robe pourpre, affublée d'un casque en cuir et de lunettes fumées rondes, est bien sur scène. "Je vous emmerde et je vous embrasse" lance-t-elle à la foule qui chantait déjà Y’a des Zazous avant même le début du spectacle.

Un petit discours donc, et deux chansons interprétées par la reine Brigitte, installée sur un trône sculpté par un artiste aussi fou qu’elle… La "Fucking night" (littéralement "putain de nuit", titre du spectacle) durera deux heures, avec une pléiade d’artistes, dirigés par Lucie Antunes : les chanteurs -M-, Arthur H, Philippe Katerine, Jarvis Cocker, les actrices Béatrice Dalle et Anna Mouglalis, ou encore la chanteuse et actrice PR2B… 

"Je trouve que c’est la plus grande poétesse contemporaine, explique PR2B. À chaque fois, je suis émue par sa manière d’écrire et de pulvériser la langue. Je crois qu’elle a de grands modèles, qu’on a d’ailleurs en commun : Arthur Rimbaud, Henri Michaux… Je trouve ça rare d’avoir mêlé cela avec de la chanson et d’en faire à la fois un chaos et une fête !"  

Féministe et anarchiste, Brigitte Fontaine a aussi joué au cinéma. Le réalisateur Gustave Kervern, également sur scène, n’est pas près de l’oublier. "J’ai l’habitude de dire qu’au cinéma, il y a trois choses particulièrement difficiles : tourner avec des animaux, tourner avec des enfants, mais avant tout, tourner avec Brigitte Fontaine !" Avec son complice Benoît Delépine, il l'avait fait tourner dans le long-métrage Le Grand soir, sorti en 2012. 

Alors qu'il est question de la sortie d'un nouvel album, si Bourges est sa dernière scène, comment Brigitte Fontaine, 82 ans, voit-elle l’avenir ? "Je ne sais pas, répond-elle, je suis myope". »

  En 1968, les artisans du “rock québécois”, Robert Charlebois, Claudine Monfette, Louise Forestier et Yvon Deschamps font un joyeux scandale avec leurs rythmes latins, “canayens”, jazz et blues sur lesquels ils articulent des paroles en “joual”, le parler du Québec. A la suite apparaissent Diane Dufresne, Plume Latraverse, le groupe Beau Dommage, Fabienne Thibeault... 

  Robert Charlebois (1944) sort son premier disque en 1966, c’est un événement au Québec ainsi que son spectacle Osstidcho (show de l’hostie). Il devient le chef de file du renouveau de la chanson de la Belle Province.

  Le succès de Lindberg, d’Ordinaire, de Les ailes d’un ange et de Cartier, son sens du spectacle, lui assurent le succès au Québec mais aussi en France.

  C’est lui qui va réussir à allier la langue québécoise et le rock’n’roll. Charlebois impose cette fusion dans les années 70 qui sont d’ailleurs le moment le plus fort de sa carrière. Il participe notamment à la Superfrancofête de 1974 sur les Plaines d’Abraham avec Félix Leclerc et Gilles Vigneault, immortalisée par l’album J’ai vu le loup, le renard, le lion.

https://www.youtube.com/watch?v=AtYcPgLXzG8

Des hélices

Astrojet, Whisperjet, Clipperjet, Turbo

A propos chu pas rendu chez Sophie

Qui a pris l'avion St-Esprit de Duplessis

Sans m'avertir

 

Alors chu r'parti

Sur Québec Air

Transworld, Nord-East, Eastern, Western

Puis Pan-American

Mais ché pu où chu rendu

 

J'ai été

Au sud du sud au soleil bleu blanc rouge

Les palmiers et les cocotiers glacés

Dans les pôles aux esquimaux bronzés

Qui tricotent des ceintures fléchés farcies

Et toujours ma Sophie qui venait de partir

(…)

Ma Sophie, ma Sophie à moi

A pris une compagnie

Qui volait sur des tapis de Turquie

C'est plus parti

Et moi, et moi, à propos, et moi

Chu rendu à dos de chameau

(…)

Lindberg, Charlebois-Peloquin

Dès lors, les albums et les tournées se succèdent : Longue Distance (1976), Solide (1979), Heureux en amour ? (1981), Super Position (1985), Dense (1988), Immensément (1992), Le chanteur masqué, écrit par Jean-Jacques Goldman (1996), Le doux sauvage (2001), Tout écartillé (2006) …

https://www.youtube.com/watch?v=lGbLBBcfF7M

Le théâtre musical intéresse également Charlebois qui conçoit, en 1993, Jacques Cartier et, en 1999, Sans nom, inspiré de Jules Verne.

Durant la deuxième décennie des années 2000, paraissent Tout est bien (2010), Et voilà (2019) et Charlebois à Ducharme (2021).

Depuis 2019, Robert Charlebois présente le spectacle Robert en Charleboiscope.

https://www.youtube.com/watch?v=lJ76bz54eOM

Autour de moi il y a la guerre

La peur, la faim et la misère

J’voudrais qu’on soit tous des frères

C’est pour ça qu’on est sur la terre

J’suis pas un chanteur populaire

Je suis rien qu’un gars ben ordinaire

https://www.youtube.com/watch?v=-aqALErFMd4

  Louise Forestier se partage entre le théâtre et la chanson depuis ses débuts dans les années 60.

  Habituée aux auteurs français comme Boris Vian et Léo Ferré, elle ajoute bientôt à son répertoire des chansons de Robert Charlebois avec qui elle chantera en 1968.

https://www.youtube.com/watch?v=UaVlEEfNA5c

 En 1981, elle participe du succès québécois de Starmania. Dans ces années 80, elle donne des sonorités plus rock á ses chansons.

  En 1987, elle gagne le prix Félix pour sa chanson Le diable avait ses yeux.

  Son album Lumières (2003), revoit ses principaux succès et présente de nouvelles chansons. Cinq ans plus tard paraît Éphémère qui reçoit le grand prix de l’Académie Charles Cros.

https://www.youtube.com/watch?v=0wd-eEeofSI

En 2016, Louise Forestier participe du spectacle Les vieux criss avec Michel Lefrançois, François Guy et France Castel dont on enregistrera un CD.

 Diane Dufresne (1944) est avant tout une bête de scène qui surprend son public à chacun de ses shows depuis près de 40 ans.

  Dans les années 60, elle chante Brel et Ferré dans les boîtes de la banlieue de Montréal. En 1966, elle quitte le Québec pour la France où elle chante ses concitoyens Claude Léveillé et Félix Leclerc. Elle retourne au pays en 1968.

  Dans les années 70, Diane Dufresne rencontre François Cousineau qui deviendra son compagnon et l’auteur de ses plus fameuses chansons. Tiens-toé bien, j’arrive, son premier album signé Cousineau-Plamondon est un énorme succès. Tout Dufresne y est déjà : l’intensité, l’humour et même l’auto-dérision ainsi que sa voix exceptionnelle.

https://www.youtube.com/watch?v=4y7_uzFgJcU

  À partir de là, elle enchaîne les albums et les shows, les uns aussi flamboyants que les autres : À part de ça, j’me sens ben (1974), Sur la même longueur d’ondes (1975) ...

  En 1978, elle participe de la comédie musicale Starmania de Michel Berger et Luc Plamondon.

  En 1984, Diane Dufresne monte l’un de ses spectacles les plus célèbres, Magie rose, où participent aussi Jacques Higelin et les Manhattan Transfer.

  Suivront Dioxine de Carbone et Top secret (1986). En 1991, elle présente Symphonique n’roll avec l’Orchestre symphonique du Québec.

https://www.youtube.com/watch?v=1L94TjSwrNE

  Après une période d’un certain silence, il faudra attendre 1997 pour que Diane Dufresne produise un nouvel album, Comme un parfum de confession, un disque intime et dépouillé.

  En 2003, elle donne deux récitals à guichet fermé à Paris.

En 2004, la chanteuse présente "Diane Dufresne chante Kurt Weill"

https://www.youtube.com/watch?v=dL6TP6okIbg

En 2007, aux Francofolies de Montréal, Diane Dufresne chante La Javanaise avec Juliette Gréco. Elle enregistre ensuite l’album Effusion.

En 2011, la chanteuse québécoise présente le spectacle Diane Dufresne et les Violons du Roy, l’album live s’appellera Partager les anges.

L’album Meilleur après sort pour ses 75 ans, en 2019.

  Beau Dommage, groupe composé par Pierre Bertrand, Marie-Michèle Desrosiers, Réal Desrosiers, Michel Hinton, Robert Léger et Michel Rivard, s’est formé, en 1972, à L’université de Montréal. Leur premier album, La complainte du phoque en Alaska, atteint, en 1974, des records de vente.

  Le groupe obtient une renommée inouïe au Québec avec des chansons décrivant la quotidienneté de la ville de Montréal (Blues d’la métropole, Tout va bien)

https://www.youtube.com/watch?v=m8JZooSVi_c

  Le groupe se dissout en 1978 mais se reforme, exceptionnellement en 1984, année où ils reçoivent le prix Felix pour l’ensemble de leur œuvre.

En soixante-sept tout était beau

C'était l'année d'l'amour, c'était l'année d'l'Expo

Chacun son beau passeport avec une belle photo

J'avais des fleurs d'in cheveux faillait tu être niaiseux

 

J'avais une blonde pas mal jolie

A vit s'une terre avec quatorze de mes amis

Partie élever des poules à la campagne

Qui m'aurait dit que la nature allait un jour voler ma gang

 

Mais qu'est-ce qu'un gars peut faire

Quand y a pus l'goût de boire sa bière

Quand y est tanné de jouer à mère

Avec la fille de son voisin

Tous mes amis sont disparus

Pis moé non plus j'me r'connais pus

On est dix mille s'a rue Saint-Paul

Avec le blues d'la métropole

(…)

Le blues de la métropole

Beau Dommage

« L’histoire de l’Afrique n’est pas écrite, elle est chantée. À chaque moment important, les artistes ont su être là, avec leurs mots et leurs rythmes », écrivit le romancier guinéen Tierno Monenembo.

Ce fut le cas dans les années 60, années des indépendances.

Et même du côté du général De Gaulle, qui propose aux citoyens des États jusque-là colonisés de former une Communauté où chacun jouirait d’autonomie. On sait bien qu’autonomie n’est pas synonyme d’indépendance ! Et comme, pense-t-il, il n’y a rien qu’une chanson pour influencer les masses, la radio des colonies d’Afrique diffuse la version française de « Jingle bells », nommée Dis-moi oui.

https://www.youtube.com/watch?v=u9WLo_Vt5SA

Une chanson, toutefois, pourrait être considérée le symbole de cette période, Indépendance cha cha.

https://www.youtube.com/watch?v=eXOrqyIA-hU

Lorsqu’il est envoyé à Bruxelles, en 1960, pour suivre la table ronde qui réunit les principaux activistes congolais en vue d’obtenir l’indépendance, son auteur, Joseph Kabasele Tshamala, connu sous le nom de Grand Kallé, a déjà popularisé la rumba et le chachacha à la tête de l’African Jazz.

En l’espace de quelques semaines, et grâce à sa diffusion à la radio, Indépendance cha cha devient le premier tube panafricain et « la chanson symbole de l’émancipation des années 1960 » comme le dit l’écrivain congolais Alain Mabankou.

Les paroles, en lingala mêlées à quelques mots en français disent :

« Indépendance cha-cha tozuwi ye ! / Oh Kimpwanza cha cha tubakidi / Oh Table Ronde cha cha ba gagner o ! / Oh Lipanda cha cha tozuwi ye »

C’est-à-dire :

Nous avons obtenu l’indépendance / Nous voici enfin libres / À la Table Ronde nous avons gagné / Vive l’indépendance que nous avons gagnée

Elles citent aussi des leaders de l’époque comme Lumumba, Tshombé, Kasavubu et des mouvement pro indépendance comme l’Abako et le Conakat.

La chanson est encore d’actualité, le chanteur d’origine congolaise Baloji marie, en 2010, sous le titre de Le jour d’après, les paroles pleines d’espoir de 1960 à des mots plus amers qui renvoient au chaos qui a suivi la décolonisation : les coups d’État, d’instabilité chronique et la confiscation du pouvoir : « Les promesses de lendemain, les promesses de l’aube/ d’un État souverain où le sol se dérobe/ entre milices et rebelles, pillages et recels/ peuples que l’on déplace comme des cheptels/ de parcelle en parcelle/ de gouvernance en tutelle. »

https://www.youtube.com/watch?v=C4vc25TcIe0

Le grand écrivain congolais (Brazzaville) Alain Mabanckou l’explique clairement dans un article publié le 8 juillet 2010 dans Libération, et que l’on trouve aisément sur Internet :

« L’indépendance dans cette chanson de Grand Kallé célébrait d’abord et avant tout le départ du Blanc, le droit des Africains de gérer eux-mêmes leur continent. Les danses et la joie nous avaient fait oublier que la désillusion arriverait très vite, en moins d’un lustre. Avec le temps, cette chanson est devenue le symbole de notre naïveté et de notre insouciance. Les lumières trompeuses des « indépendances sur le papier » nous firent croire qu’il suffisait que le Blanc parte pour que le continent noir reprenne son vrai chemin. Et certaines nations africaines sont désormais entre les mains de monarques arrivés militairement au pouvoir et qui savent « mieux coloniser » que le Blanc puisqu’ils ont l’habileté de faire voter « les bêtes sauvages ». Et lorsque certains de ces monarques meurent, leurs fils poursuivent le bilan dictatorial de leur ascendant. Au grand malheur des populations africaines… »

Franklin Boukaka, né à Brazzaville en 1940 et assassiné dans cette même ville, en 1972, commence sa carrière musicale en 1955 dans le groupe Sexy Jazz.

Chanteur et guitariste, spécialiste de la rumba congolaise et du zoukous, Boukaka chantait pour l’unité africaine et dénonçait la corruption et l’autoritarisme de certains dirigeants du continent. Son dernier disque Le Bûcheron, réalisé avec Manu Dibango, peint la misère du peuple et exprime son amertume.

https://www.youtube.com/watch?v=LvDn11AEoas

Il rend aussi hommage, dans Les Immortels, aux martyrs du combat contre le colonialisme, Ben Barka, Lumumba, Abdel Kader …

https://www.youtube.com/watch?v=P5QQ1Kk9QnM

Boukaka est aussi l’auteur de compositions moins politique comme Les Brazzavilloises.

https://www.youtube.com/watch?v=LnvpSJKSIGk

Franklin Boukaka est assassiné à Brazzaville le 24 février 1972. 

La Guinée est le seul pays à refuser par voie référendaire l’option d’une indépendance progressive et accompagnée par la puissance coloniale française, réclamant de ce fait l’indépendance immédiate et sans ingérences. Elle lui sera accordée le 2 octobre 1958, quatre jours seulement après le vote.

Bientôt, Sékou Touré, tout nouveau président, prend en main la politique culturelle du pays (« la culture est une arme de domination plus efficace que le fusil », clame-t-il). Il s’appuie notamment sur la musique pour unifier la nation, rendre sa fierté à la population… et chanter ses louanges.

L’hymne du pays devient Ma belle Guinée, adaptation de l’air traditionnel Alfa Yaya.

https://www.youtube.com/watch?v=Z1ffPFTz3Ks

Créé en 1961, le très populaire Bembeya Jazz devient bientôt National. En 1969, le groupe livre un album fondateur, Regard sur le passé, qui célèbre l’histoire épique de l’almamy Samory Touré, fondateur de l’empire wassoulou, résistant au colonisateur… et arrière-grand-père de Sékou Touré. Ce dernier a dicté des modifications pour la version originale. Ce chant de près de 35 minutes en français et en malinké est une ode à peine déguisée au guide de la révolution : « Grâce à toi, nous sommes devenus des hommes / Grâce à toi, nous avons notre indépendance / Tu es exemplaire de la Guinée, et tes ennemis seront toujours humiliés […] »

https://www.youtube.com/watch?v=T6-_SMaJExg

Dans ces mêmes années 60, et encore au Congo, le grand guitariste qui jouait avec Grand Kallé, Dr Nico, accompagné de l’African Fiesta Sukisa, enregistre la rumba Tu m’as déçu chouchou, dont le refrain est en français.

https://www.youtube.com/watch?v=oSL-cm2lROU&list=OLAK5uy_kQUkT7a0q8Ip9zORI9V2Kh65eSYO7wKxs


 À côté des rythmes afro-cubains et américains, la vague yéyé, venue de France, déferle, dans ces années 60, en Afrique francophone, où l’influence de la France reste très présente.

Une exception, la Guinée de Sékou Touré où la musique européenne est bannie et la production locale encouragée.

Johnny Hallyday réalise plusieurs tournées en Afrique tout comme Sylvie Vartan, Françoise Hardy et Claude François.

Les jeunes artistes africains vont donc se mettre au twist, comme Boubacar Traoré qui enregistre en 1963 Mali Twist.

https://www.youtube.com/watch?v=p8jj20mJfk8

À la même époque, Manu Dibango sort le 45 tours Twist à Léopoldville.

https://www.youtube.com/watch?v=yZoAcdV9pJ4

Ces années twist se retrouvent dans l’œuvre du grand photographe Malick Sidibé.

Haïti, dans les années 60, voit l’émergence d’un nouveau rythme, le Compas Direct, crée par le chef d’orchestre innovateur Nemours Jean-Baptiste, inspiré de la musique cubaine, principalement du mambo.

Le Nouvelliste de Port-au-Prince écrivait le 29 août 2005 :

 « En 1958, trois ans après avoir donné naissance au compas, il rebaptise son groupe L'Ensemble Aux Calebasses qui devient Ensemble Compas Direct, qui lui-même ne tarde pas à devenir Ensemble Nemours Jean-Baptiste. Le nouvel Ensemble s'implante solidement et engage la polémique avec le Jazz des Jeunes. En 1961, « La coqueluche de Port-au-Prince », comme l'a surnommé le public port-au-princien, anime des soirées au Palladium d'Haïti. Et c'est au cours de cette année que prend naissance à Port-au-Prince un nouveau groupe musical : L'Ensemble Weber Sicot, cadence rampas, après avoir quitté l'ensemble de Nemours avec lequel il a élaboré le rythme aujourd'hui cinquantenaire. En 1962, la participation remarquée de cadence rampas aux festivités carnavalesques fait grandir sa popularité et insuffle un sang neuf au carnaval haïtien. A tel point que l'année suivante, l'Ensemble Nemours Jean-Baptiste décide de lui emboîter le pas. Commence alors une longue période de polémique entre les deux groupes qui atteint son point culminant en 1964 avec le match musical et de football entre les deux formations qui s'est déroulé le 8 avril sous la direction de Raoul Guillaume et s'achève, tandis que souffle très fort le vent des mini-jazz, par la disparition des deux super ensembles (départ pour les États-Unis) de la scène : Sicot (1968), Nemours (1969). On connaît la suite. Nemours Jean-Baptiste qui s'est éteint dans sa 71ème année est le père créateur d'un rythme aujourd'hui international. Joué en Haïti, aux États-Unis, aux Antilles, il est admis dans l'Hexagone aux Champs-Elysées. C'est peut-être la suprême consécration pour le compas. Les générations de plus de 55 ans se souviendront longtemps encore de la musique entraînante de l'Ensemble Nemours Jean-Baptiste, de ses savoureuses compositions surtout trop nombreuses pour être citées ici. »

https://www.youtube.com/watch?v=E7hF53DfXOI

Weber Sicot, donc, va se démarquer de Nemours Jean-Baptiste en créant un nouveau rythme, proche de la meringue et du calypso, le Cadence Rampas, Kadans en créole. Il introduit une batterie dans son groupe quand Nemours Jean-Baptiste n’utilise que des timbales cubaines.

En 1968, Weber Sicot s’installe à New York, fuyant la dictature de Papa Doc.

https://www.youtube.com/watch?v=IBQP7EwDQDo

D’autres musiciens de la mouvance Compas Direct, Michel Desgrottes …

et Louis Lahens.

https://www.youtube.com/watch?v=oHq5lT6fJz8


 Au milieu des années 60 apparaît en Haïti une nouvelle génération qui intègre ce que l’on appelle les Mini Jazz, bien que leur musique n’ait pas grand-chose à voir avec le jazz. Leurs influences proviennent du rock et de la musique tropicale latino-américaine.

Le groupe pionnier des Mini Jazz est Ibo Combo.

https://www.youtube.com/watch?v=r8bIqhxEOs4

À Port-au Prince, mais aussi à Pétion.Ville, Cap Haïtien, Gonaïves et les autres villes du pays, apparaissent des groupes de Mini Jazz :

Tabou Combo, …

https://www.youtube.com/watch?v=bc5zIZUi5jI

… Bossa Combo, dont le son ne ressemblait en rien au rythme brésilien …

https://www.youtube.com/watch?v=6nAkE_hpt8M

… Les Diplomates …

https://www.youtube.com/watch?v=XAb2wbtTgJo

.... Les Pachas …

https://www.youtube.com/watch?v=CIMHzy3Ti38

Gérard Dupervil est le grand crooner de cette époque.

Né à Miragoâne en 1933, il commence sa carrière comme trompettiste, avant d’adopter l’accordéon. C’est lui d’ailleurs qui initie Nemours Jean Baptiste et Weber Sicot au solfège. Il se fait connaître, par la suite, en interprétant des chansons françaises.

En 1958, il intègre le Jazz des jeunes et devient l’un des meilleurs interprètes et compositeurs du groupe.

https://www.youtube.com/watch?v=ZQhJ5azcZSU

Son succès Fleur de mai restera gravé dans la mémoire haïtienne. Il demeurera un chanteur inimitable et respecté des musiciens d’Haïti.

https://www.youtube.com/watch?v=lrMFxWR-JEI

Dans les Antilles françaises, dans les années 60, le ka devient l’instrument identitaire par excellence. C’est l’héritage des tambours que fabriquaient les esclaves et le rythme du gwo ka rappelle les ancêtres que l’on ne doit pas oublier dans ces années 60 où parler créole dans les cours d’école est encore interdit et que certains bars sont réservés aux Blancs.


L’esprit marron, du nom des esclaves ayant fui les habitations pour chercher la liberté dans le maquis, refait surface.

Tandis que le Bumidon (Bureau pour la Migration des Départements d’Outre-Mer) créé par Michel Debré, manifestation du racisme systémique et ininterrompu de la politique française en Outremer, organise une forte émigration antillaise vers des emplois peu qualifiés en Métropole ; les musiciens qui choisissent les percussions, le ka, choisissent le camp de la revendication.

C’est le cas d’Antilles méchant bateau, que chante André Mahy, une biguine lente, accompagnée d’un saxo et de gwoka, et qui nous rappelle que l’histoire des Antilles s’est écrite, tout d’abord, dans les cales des bateaux négriers.

https://www.youtube.com/watch?v=7N11iG2Gl3w

La langue interdite, le créole, s’y mêle harmonieusement au français.

André Mahy chante aussi les travers de l’amour.

https://www.youtube.com/watch?v=Q2XDzHyGpXE

Les vieilles biguines traditionnelles, comme Adieu foulards, adieu madras, résonnent de nouveau dans les Antilles.

https://www.youtube.com/watch?v=S4TalF1slCA

Je reviendrai toujours est une biguine au rythme caribéen, interprétée par Henri Debs et son « combo », une autre référence aux Antilles hispanophones.

https://www.youtube.com/watch?v=ZmSxAuIuRE4

 

Provenant d’Haïti, le kadans rampa de Weber Sicot arrive aux Antilles françaises.  Il est joué, entre autres, par les Vikings de la Guadeloupe

https://www.youtube.com/watch?v=443btFn79Ks

… ainsi que les Léopards de Saint-Pierre.

https://www.youtube.com/watch?v=ZCsW298NE_E

 

 

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