UNE PETITE HISTOIRE DE LA CHANSON EN FRANÇAIS (13)
SAINT.GERMAIN-DES.PRÈS
ET
LA CHANSON
RIVE GAUCHE
“Un
artiste, c’est quelqu’un qui a mal aux autres” Jacques Brel
La chanson qui vivait sur la rive droite de la Seine,
installe, après la guerre, ses quartiers rive gauche, entre le Quartier latin
et Saint-Germain des Prés.
Au même moment, dans le même Saint-Germain des Prés, se
développe une théorie philosophique, l’existentialisme, dont l’auteur le plus
connu est Jean-Paul
Sartre.
Parmi les jeunes gens qui montent sur scène ou qui sont
dans la salle, il y
a un rejet envers une société qui n’a pas pu se lever de
la guerre. Ils inventent une nouvelle manière de chanter dont quelques-unes des
qualités formelles sont aussi le résultat de l’espace limité du cabaret où l’on
peut tout juste installer un piano. Cette pauvreté musicale va conférer une grande
importance au texte, à la chanson littéraire.
Les paroliers sont, d’ailleurs, très souvent, des gens de lettres, Aragon, Queneau, Jean-Paul Sartre, Robert Desnos.
https://www.youtube.com/watch?v=1sUkTIsWI2c
Maintenant
que tu vis
A
l'autre bout d'Paris
Quand
tu veux changer d'âge
Tu
t'offres un long voyage
Tu
viens me dire bonjour
Au
coin d'la rue Dufour
Tu
viens me visiter
A Saint-Germain-des-Prés
Il n'y
a plus d'après
A
Saint-Germain-des-Prés
Plus
d'après-demain
Plus
d'après-midi
Il n'y
a qu'aujourd'hui
Quand
je te reverrai
A
Saint-Germain-des-Prés
Ce
n'sera plus toi
Ce
n'sera plus moi
Il n'y
a plus d'autrefois
Tu me
dis "Comme tout change !"
Les
rues te semblent étranges
Même
les cafés-crème
N'ont
plus le goût qu'tu aimes
C'est
que tu es une autre
C'est
que je suis un autre
Nous
sommes étrangers
A
Saint-Germain-des-Prés
Il n'y
a plus d'après
A
Saint-Germain-des-Prés
Plus
d'après-demain
Plus
d'après-midi
Il n'y
a qu'aujourd'hui
Quand
je te reverrai
A
Saint-Germain-des-Prés
Ce
n'sera plus toi
Ce
n'sera plus moi
Il n'y
a plus d'autrefois
A
vivre au jour le jour
Le
moindre des amours
Prenait
dans ces ruelles
Des allures
éternelles
Mais à
la nuit la nuit
C'était
bientôt fini
Voici
l'éternité
De
Saint-Germain-des-Prés…
Guy
Béart
Juliette
Gréco (1927)
est la muse de cette époque et sa première vedette populaire.
Sa mère et sa sœur déportées par la Gestapo, elle connaît, à 15 ans, la prison de Fresnes. Libérée, dans le Paris de l’Occupation, elle s’oriente vers le théâtre et puis, à la Libération, elle découvre la chanson. Elle débute en 1949 au Bœuf sur le toit. En 1954, elle réussit l’examen de passage de l’Olympia où elle convainc par sa présence sur scène et la qualité de ses chansons : Les feuilles mortes, Déshabillez-moi, Jolie môme, La Javanaise
https://www.youtube.com/watch?v=GEpaVG3As-c
https://www.youtube.com/watch?v=dk3m3H6_HNw
Le cinéma la détourne un temps de la chanson. Elle joue à Hollywood dans Les Racines du ciel.
Elle retourne en France et à la chanson et triomphe en 1966 au TNP avec George Brassens. L’année suivante 60.000 personnes l’acclament à Berlin comme la grande dame de la chanson française.
Juliette Gréco aurait pu en rester là, mais elle aime le risque et n’a jamais cessé de travailler, de renouveler son répertoire. Dans les années 90, elle défend le rappeur MC Solaar et finit ses récitals par Le temps des cerises, symbole de la Commune de Paris.
Les années 2000 verront notre artiste tout aussi active
et curieuse.
En 2004, elle enregistre Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez, un album avec
des textes de Miossec, Biolay, Marie Nimier,
Gérard Manset et Jean Rouault qu’elle4 présente l’année
suivante à l’Olympia.
Deux ans plus tard, Gréco se trouve à New York pour
enregistrer, accompagnée de musiciens de jazz, Le temps d’une chanson, un album composé
de chansons qu’elle n’avait jamais chantées dont Volare, Utile, Né
quelque part …
https://www.youtube.com/watch?v=r4_Jm_vuFKQ
En 2008, Gréco enregistre Roméo et Juliette sur l’album Dante d’Abd Al Malik. C’est le début d’une belle amitié dont le slameur se souviendra dans son livre Juliette, paru en 2023.
En 2012, l’album Ça se traverse et c’est beau, consacré aux ponts de Paris, voit le jour. Les textes sont signés Marie Nimier, François Morel, Philippe Sollers, Amélie Nothomb ou encore Jean-Claude Carrière. Melody Gardot,
Marc Lavoine et Féfé l’y accompagnent en duo.
https://www.youtube.com/watch?v=k6Gh1_25KNs
L’année suivant sort Gréco chante Brel réunissant douze titres de Jacques Brel arrangés par Bruno Fontaine.
https://www.youtube.com/watch?v=5nTbdyTqHIs
Début 2015, Juliette Gréco annonce sa dernière tournée,
appelée Merci ! :
« J'ai
88 ans, et je n'ai pas envie de monter sur scène en boitant. C'est une question
de courtoisie, de dignité. [...] Je veux partir debout. Je ne voudrais pas
faire pitié. J'ai horreur de ça ».
Cette tournée qui commence au Printemps de Bourges et la
mène ensuite à Tel Aviv, Montréal, Anvers, Berlin, Francfort, ainsi que
plusieurs villes en France et le Châtelet, la Cigale et le théâtre des
Champs-Elysées, à Paris, finit abruptement le 12 mars 2016 lorsque l’artiste
souffre un ACV.
Juliette Gréco meurt le 23 septembre 2020 à l’âge de 93
ans, à Ramatuelle.
https://www.youtube.com/watch?v=bUyINUOyaCI
« Juliette
Gréco a des millions dans la gorge, des millions de poèmes qui n’ont pas encore
été écrits, dont quelques-uns seront écrits. Ne fait-on pas des pièces pour
certains acteurs, pourquoi ne ferait-on pas des poèmes pour une voix ? »
Jean-Paul
Sartre
« Juliette, l’amour à mort
Juliette
Gréco sort Aimez-vous
les uns les autres, ou bien disparaissez un album signé par de jeunes auteurs tels que Benjamin Biolay ou Miossec.
L’injonction
est là, froide et impérieuse “Aimez-vous les uns les autres, ou bien
disparaissez” sans “faire de bruit, sans faire de vagues”, Juliette Gréco retourne
avec un album de grande beauté, dont le titre, étrange, est tiré d’une chanson
de Gérard Manset, l’un des collaborateurs de son nouvel enregistrement (...)
Juliette
est là, mythe intact du music-hall, merveilleuse dans sa robe noire, le visage
fardé de blanc où s’accrochent les lumières de scène. Gréco, en liberté,
virevolte “rêvant d’infini, du soleil de minuit” (comme si rien n’était), en
compagnie de Gérard Jouannest, son pianiste –comme il le fut longtemps de Brel,
rencontré en 1960 (....) Mariés, ils ne se quittent jamais, réunis par l’amour
et la passion pour la chanson à texte (...) Juliette n’a jamais cessé d’allumer
la flamme de la poésie mise en musique (...) Cette même audace, cinquante-quatre
ans après ses débuts, la mené à dire oui à un groupe d’auteurs dans le vent qui
rêvaient d’écrire pour elle (...)
Comment
fait-elle pour défier le temps ? A soixante-seize ans sa voix n’a pas une ride,
avec une incroyable modernité, guidée par sa seule étoile, la beauté des choses
(...) On reste subjugué par cette femme exceptionnelle qui ne craint pas
d’exister, vibrante à chaque récital (...) »
Victor
Hache
L’Humanité
– 7 novembre 2003
« La
rentrée parisienne d’une âme forte, Juliette Gréco
Toujours
attentive à ce qui se passe du côté de la chanson –comme en témoigne son récent
album (,,,), Juliette Gréco (...) fait passer des sensations et des émotions
par surprise. Son sourire est énigmatique là où d’autres auraient appuyé une
moue, son poing se serre quand on attendrait des bras ouverts, elle est
goguenarde sur une romance (Ne me quitte pas, très éloignée du personnage
pleurnichard incarné par Brel) (...)
Au
répertoire de ce récital 2004, Gréco a largement inscrit les nouvelles chansons
(...). Parce qu’on l’imagine mal vivre dans la nostalgie, elle semble les
interpréter avec plus d’envie et de gourmandise que ses classiques. »
Sylvain
Siclier
Le Monde
– 28-02-04
« Il faut savoir qu'on ne trempe pas sa plume dans du sirop d'orgeat. Il faut savoir que ces gens sont des êtres de souffrance, des êtres qui ont les douleurs de la création, de la mise au monde de quelque chose. Ce sont des gens qui ont l'impression qu'on ne les entend pas, parce que peu de gens en font cas, parce qu'ils défendent mal leur œuvre. [...] Moi je suis la servante de mes seigneurs ! Et je choisis mes seigneurs avec beaucoup de prudence, je suis là pour ça. C'est mon métier, c'est mon bonheur, c'est ma fierté. C'est ma fierté de faire descendre la poésie dans la rue. »
Juliette
Gréco
"A voix nue" sur France Culture, diffusion du
09/02/2001
https://www.franceculture.fr/musique/juliette-greco-jai-passe-une-viedebloui
Catherine Sauvage débute au Bœuf sur le toit en 1948. En 1950, elle partage l’affiche du Quod Libet avec Léo Ferré dont elle adopte le répertoire.
Elle chante également Maurice Fanon, Brassens, Mac Orlan,
Hugo, Baudelaire, Queneau, Vian, Prévert, Gainsbourg et fait connaître au
public français les chansons du Québécois Gilles Vigneault.
“Chanteuse
d’amour, de révolte, de larmes, elle a une voix sauvage d’une redoutable
exactitude qui frappe en plein cœur”.
Marguerite Duras
https://www.youtube.com/watch?v=Q4AELn9FrZE
Ces années 50 voient l’expansion des moyens de diffusion
de la musique.
De nouveaux programmes à la radio et même sur la toute
nouvelle télévision, la découverte du microsillon vont élargir le marché du
disque.
Mais il est encore impensable d’arriver au disque sans
avoir fait auparavant ses preuves sur la scène.
Jusqu’aux années 60, le cabaret est la salle d’attente,
le lieu où l’on fait ses preuves avant d’accéder au music-hall, en lever de
rideau d’abord, puis en vedette américaine (juste avant l’entracte) et enfin en
vedette tout court.
En plus des cabarets de Saint-Germain-des-Prés, le Tabou,
la Rose rouge, l’Écluse, il y en a un, situé tout près de Pigalle, le Théâtre des Trois Baudets, où va se
produire la plupart des nouveaux talents de la chanson. Son directeur, Jacques Canetti est un imprésario, “découvreur de
talents”, spécialiste des auteurs-compositeurs-interprètes façon rive gauche.
Pour son aptitude à anticiper les goûts du public,
Jacques Canetti a joué un rôle fondamental pendant plus de trente ans.
En 1952, il rencontre Georges Brassens chez Patachou, il lui propose alors de roder son tour de chant chez lui.
Né à Sète en 1921, Georges Brassens arrive à Paris en 1939. Recueilli par Jeanne Planche (celle de La cane de Jeanne), il travaille chez Renault et publie en 1942 À la venvole, un livre de poèmes.
En 1952, Patachou l’engage dans son cabaret et c’est là que le découvre Canetti.
Il enregistre en 1954 son premier disque (La mauvaise réputation, le Gorille, etc.). La Mauvaise Réputation est d’ailleurs presque un résumé des caractéristiques de l’œuvre de Brassens : non conformisme, verve, un anarchisme bien français qui met en cause la bourgeoisie, l’église, l’armée, tout cela dans un texte finement ciselé dans la lignée d’un Villon ou d’un La Fontaine.
https://www.youtube.com/watch?v=26Nuj6dhte8
Au
village sans prétention
J’ai
mauvaise réputation
Qu’je
m’démène
Ou
qu’je reste coi
Je
passe pour un je ne sais quoi
Je ne
fais pourtant de tort à personne
En
suivant mon ch’min de petit bonhomme
Refrain
Mais
les braves gens n’aiment pas que
L’on
suive une autre route qu’eux
Non,
les braves gens n’aiment pas que
L’on
suive une autre route qu’eux
Tout
le monde médit de moi
Sauf les
muets, ça va de soi
Le
jour du 14 juillet
Je
reste dans mon lit douillet,
La
musique qui marche au pas
Cela
ne me regarde pas.
Je ne
fais pourtant de tort à personne
En
n’écoutant pas le clairon qui sonne…
La
mauvaise réputation
https://www.youtube.com/watch?v=2W6HM0CCiRs&list=PLiNagu4w9dC3
DK2OmSHc2d-juIGu1CrHb
C'est à travers de larges grilles,
Que
les femelles du canton,
Contemplaient
un puissant gorille,
Sans
souci du qu'en-dira-t-on.
Avec
impudeur, ces commères
Lorgnaient
même un endroit précis
Que,
rigoureusement ma mère
M'a
défendu de nommer ici...
Gare
au gorille !...
Tout à
coup la prison bien close
Où
vivait le bel animal
S'ouvre,
on n'sait pourquoi. Je suppose
Qu'on
avait du la fermer mal.
Le
singe, en sortant de sa cage
Dit
"C'est aujourd'hui que j'le perds !"
Il
parlait de son pucelage,
Vous
aviez deviné, j'espère !
Gare
au gorille !...
L'patron
de la ménagerie
Criait,
éperdu : "Nom de nom !
C'est
assommant car le gorille
N'a
jamais connu de guenon !"
Dès
que la féminine engeance
Sut
que le singe était puceau,
Au
lieu de profiter de la chance,
Elle
fit feu des deux fuseaux !
Gare
au gorille !...
Celles-là
même qui, naguère,
Le
couvaient d'un oeil décidé,
Fuirent,
prouvant qu'elles n'avaient guère
De la
suite dans les idées ;
D'autant
plus vaine était leur crainte,
Que le
gorille est un luron
Supérieur
à l'homme dans l'étreinte,
Bien
des femmes vous le diront !
Gare
au gorille !...
Tout
le monde se précipite
Hors
d'atteinte du singe en rut,
Sauf
une vielle décrépite
Et un
jeune juge en bois brut;
Voyant
que toutes se dérobent,
Le
quadrumane accéléra
Son
dandinement vers les robes
De la
vieille et du magistrat !
Gare
au gorille !...
"Bah
! soupirait la centenaire,
Qu'on
puisse encore me désirer,
Ce
serait extraordinaire,
Et,
pour tout dire, inespéré !" ;
Le
juge pensait, impassible,
"Qu'on
me prenne pour une guenon,
C'est
complètement impossible..."
La
suite lui prouva que non !
Gare
au gorille !...
Supposez
que l'un de vous puisse être,
Comme
le singe, obligé de
Violer
un juge ou une ancêtre,
Lequel
choisirait-il des deux ?
Qu'une
alternative pareille,
Un de
ces quatres jours, m'échoie,
C'est,
j'en suis convaincu, la vieille
Qui
sera l'objet de mon choix !
Gare
au gorille !...
Mais,
par malheur, si le gorille
Aux
jeux de l'amour vaut son prix,
On
sait qu'en revanche il ne brille
Ni par
le goût, ni par l'esprit.
Lors,
au lieu d'opter pour la vieille,
Comme
l'aurait fait n'importe qui,
Il
saisit le juge à l'oreille
Et
l'entraîna dans un maquis !
Gare
au gorille !...
La
suite serait délectable,
Malheureusement,
je ne peux
Pas la
dire, et c'est regrettable,
Ça
nous aurait fait rire un peu ;
Car le
juge, au moment suprême,
Criait
: "Maman !", pleurait beaucoup,
Comme
l'homme auquel, le jour même,
Il
avait fait trancher le cou.
Gare
au gorille !...
Le
Gorille
Les sympathies de Brassens vont aux humbles (Bonhomme), aux prostituées (La complainte des filles de joie), à ceux qui
souffrent (La prière, sur un texte de Francis Jammes),
aux amoureux (Les amoureux
des bancs publics, Le parapluie).
https://www.youtube.com/watch?v=vvjhsZYaofk
Je veux dédier ce poème
À
toutes les femmes qu'on aime
Pendant
quelques instants secrets
À
celles qu'on connaît à peine
Qu'un
destin différent entraîne
Et
qu'on ne retrouve jamais
À
celle qu'on voit apparaître
Une
seconde à sa fenêtre
Et
qui, preste, s'évanouit
Mais
dont la svelte silhouette
Est si
gracieuse et fluette
Qu'on
en demeure épanoui
À la
compagne de voyage
Dont
les yeux, charmant paysage
Font
paraître court le chemin
Qu'on
est seul, peut-être, à comprendre
Et
qu'on laisse pourtant descendre
Sans
avoir effleuré la main
À
celles qui sont déjà prises
Et
qui, vivant des heures grises
Près
d'un être trop différent
Vous
ont, inutile folie
Laissé
voir la mélancolie
D'un
avenir désespérant
Chères
images aperçues
Espérances
d'un jour déçues
Vous
serez dans l'oubli demain
Pour
peu que le bonheur survienne
Il est
rare qu'on se souvienne
Des
épisodes du chemin
Mais
si l'on a manqué sa vie
On
songe avec un peu d'envie
À tous
ces bonheurs entrevus
Aux
baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux
coeurs qui doivent vous attendre
Aux
yeux qu'on n'a jamais revus
Alors,
aux soirs de lassitude
Tout
en peuplant sa solitude
Des
fantômes du souvenir
On
pleure les lèvres absentes
De
toutes ces belles passantes
Que
l'on n'a pas su retenir
Les
passantes
Le portrait des personnages de la comédie sociale, la
vieille, le bougnat, le facteur, le curé, le gendarme, épuré de toute référence
historique, s’élève au-dessus des contingences. Ce présent éternel s’inscrit la
plupart du temps dans un décor unique, le village. Dans cet univers soustrait
au temps, les chansons de Brassens portent sur des thèmes élémentaires :
l’amitié et l’amour, le vin et la musique, la mort.
https://www.youtube.com/watch?v=rrZPVQN8QDY
Elle
est à toi cette chanson
Toi
l’Auvergnat qui sans façon
M’as
donné quatre bouts de bois
Quand
dans ma vie il faisait froid
Toi
qui m’as donné du feu quand
Les
croquantes et les croquants
Tous
les gens bien intentionnés
M’avaient
fermé la porte au nez
Ce
n’était rien qu’un feu de bois
Mais
il m’avait chauffé le corps
Et
dans mon âme il brûle encore
À la
manièr’ d’un feu de joie
Toi
l’Auvergnat quand tu mourras
Quand
le croqu’mort t’emportera
Qu’il
te conduise à travers ciel
Au
père éternel…
Chanson
pour l’auvergnat
« Béni
par les fées qui lui donnèrent ces trésors de Golconde qui ont pour nom poésie
et musique, Georges Brassens n'a eu qu'à convaincre un seul adversaire, l'ordre
des choses, cet ordre des choses qui voulait qu'on soit gentil, mignon et
civilisé vis-à-vis du public. Il est des lois scéniques. Brassens n'a pas voulu
qu'elles lui fussent présentées. Il n'en a fait qu'à sa mauvaise tête de
mauvaise réputation et de mauvaise herbe. "S'ils n'aiment pas ça, c'est
qu'ils sont cons" Ils ne l'étaient pas tant que ça puisqu’aujourd’hui on chantonne
"Margot", "Les bancs publics" chez Renault et ailleurs.
Comme quoi l'intégrité paie plus que les concessions, le talent plus que le
"métier", la personnalité davantage que la caricature. Dure leçon
pour les cabots de toutes les sphères. Les amours -et les haines- que Brassens
porte en son cœur lui ont ouvert toutes les portes, et ce sans saluer. »
René
Fallet - Introduction à "La mauvaise réputation"
Denoël – 1954
D'autre part, les musiques de Brassens, apparemment monotones, renferment des richesses de swing, comme l’avait parfaitement relevé Boris Vian.
Romancier (L’écume des jours, L’arrache cœurs, L’herbe rouge) et humoriste proche de Jean- Paul Sartre, trompettiste à ses heures et critique des revues Arts et Jazz Hot, Boris Vian (1920- 1959) commence à écrire des chansons pour d’autres, puis pour lui-même pour se décider en 1955 à monter sur scène.
Vian produit près de cinq cents chansons dont Le déserteur (1954) qui sera interdite, des parodies
de rock’n’roll et d’autre rythmes américains avec Henri Salvador et Michel Legrand
(Blouse
de dentiste, Rock-hoquet, Va te faire
cuire un œuf, man, Une bonne paire de claques dans la gueule) …
https://www.youtube.com/watch?v=o1Zkp0jo8IU
…des satire ironiques et féroces contre le machisme (Vous mariez pas, les filles) …
https://www.youtube.com/watch?v=t3eHX91Y7dw
… le snobisme (J’suis snob) …
https://www.youtube.com/watch?v=yFdYZQmQtcs&t=62s
J'suis
snob... J'suis snob
C'est
vraiment l'seul défaut que j'gobe
Ça
demande des mois d'turbin
C'est
une vie de galérien
Mais
lorsque je sors à son bras
Je
suis fier du résultat
J'suis
snob... Foutrement snob
Tous
mes amis le sont
On est
snobs et c'est bon
Chemises
d'organdi, chaussures de zébu
Cravate
d'Italie et méchant complet vermoulu
Un
rubis au doigt... de pied, pas çui-là
Les
ongles tout noirs et un très joli p'tit mouchoir
J'vais
au cinéma voir des films suédois
Et
j'entre au bistro pour boire du whisky à gogo
J'ai
pas mal au foie, personne fait plus ça
J'ai
un ulcère, c'est moins banal et plus cher
J'suis
snob... J'suis snob
J'm'appelle
Patrick, mais on dit Bob
Je
fais du ch'val tous les matins
Car
j'ador' l'odeur du crottin
Je ne
fréquente que des baronnes
Aux
noms comme des trombones
J'suis
snob... Excessivement snob
Et
quand j'parle d'amour
C'est
tout nu dans la cour
On se
réunit avec les amis
Tous
les vendredis, pour faire des snobisme-parties
Il y a
du coca, on déteste ça
Et du
camembert qu'on mange à la petite cuiller
Mon
appartement est vraiment charmant
J'me
chauffe au diamant, on n'peut rien rêver d'plus fumant
J'avais
la télé, mais ça m'ennuyait
Je
l'ai r'tournée... d'l'aut' côté c'est passionnant
J'suis
snob... J'suis snob
J'suis
ravagé par ce microbe
J'ai
des accidents en Jaguar
Je
passe le mois d'août au plumard
C'est
dans les p'tits détails comme ça
Que
l'on est snob ou pas
J'suis
snob... Encor plus snob que tout à l'heure
Et
quand je serai mort
J'veux
un suaire de chez Dior !
J’suis
snob
… la police (La java des chaussettes à clous) …
https://www.youtube.com/watch?v=KWoI2ifgGGk&t=46s
… et surtout contre l’armée, des dizaines chansons dont Les joyeux bouchers.
https://www.youtube.com/watch?v=uewykneu7II
Mais il faudra attendre plusieurs années après sa mort en
1959 pour que ses chansons connaissent le succès populaire de la main
d’interprètes tels que Serge
Reggiani, Jacques
Higelin, Pauline
Julien et Joan
Baez.
L’humour corrosif de ses chansons, leur ironie, la satire
de la société moderne qu’elles renferment, les rendent indémodables.
« Boris Vian est un homme instruit et bien élevé, il sort de Centrale, ce n’est pas rien, mais ce n’est pas tout : Boris Vian a joué de la trompinette comme pas un, il a été un des rénovateurs de la cave en France ; il a défendu le style Nouvelle-Orléans, mais ce n’est pas tout : Boris Vian a aussi défendu le bibop, mais ce n’est pas tout : Boris Vian est passé devant la justice des hommes pour avoir écrit J’irai cracher sur vos tombes, sous le nom de Vernon Sullivan, mais ce n’est pas tout : Boris Vian a écrit trois autres pseudépygraphes, mais ce n’est pas tout : Boris Vian a traduit de véritables écrits américains authentiques absolument, et même avec des difficultés de langage que ç’en est pas croyable, mais ce n’est pas tout : Boris Vian a écrit une pièce de théâtre, L’équarrissage pour tous, qui a été jouée par de vrais acteurs sur une vraie scène (...) mais ce n’est pas tout : Boris Vian est un des fondateurs d’une société les plus secrètes de Paris, le Club des Savanturiers, mais ce n’est pas tout : Boris Vian a écrit de beaux livres, étranges et pathétiques, L’écume des jours, le plus poignant des romans d’amour contemporains ; Les Fourmis, la plus termitante des nouvelles écrites sur la guerre; L’automne à Pékin, qui est une œuvre difficile et méconnue, mais ce n’est pas tout: Car ceci n’est rien encore : Boris Vian va devenir Boris Vian. »
Raymond Queneau
Les jeunes artistes se succèdent aux Trois Baudets de Canetti dont Jacques Brel
Fils d’un industriel belge, Brel est destiné depuis son enfance à prendre la direction de l’usine familiale. Très jeune, il veut chanter et le fait dans les kermesses paroissiales jusqu’à ce qu’il arrive à Paris en 1953.
Le succès de Quand on n’a que l’amour (1956) met fin à une période de galères.
En 1959, il passe en vedette à l’Olympia.
Son œuvre est marquée par une obsession de la mort (Le moribond, Mon dernier repas, Vieillir) …
https://www.youtube.com/watch?v=2J-
5NfXbSiA
…un anticonformisme qui le fera l’ennemi de toutes les
bourgeoisies (Les
bourgeois, Les
dames patronnesses, Les
bigotes, Les flamandes) …
https://www.youtube.com/watch?v=dCHi5apc1lQ
Le cœur
bien au chaud,
Les
yeux dans la bière
Chez
la grosse Adrienne de Montalant
Avec
l'ami Jojo
Et
avec l'ami Pierre
On
allait boire nos vingt ans
Jojo
se prenait pour Voltaire
Et
Pierre pour Casanova
Et
moi, qui étais le plus fier
Moi je
me prenais pour moi
Et
quand vers minuit, passaient les notaires
Qui
sortaient de l'Hôtel "Des Trois Faisans"
On
leur montrait notr'cul et non bonn's manières
En
leur chantant :
Les
bourgeois c'est comm' les cochons
Plus
ça devient vieux, plus ça devient bête,
Les
bourgeois c'est comme les cochons
Plus
ça devient vieux plus ça devient...
(…)
Le cour
au repos,
Les
yeux bien sur terre
Au bar
de l'Hôtel "Des Trois Faisans"
Avec
Maître Jojo,
Et
avec Maître Pierre
Entre
notaires on pass' le temps Jojo parle de Voltaire
Et Pierre
de Casanova
Et
moi, qui suis resté le plus fier
Moi,
je parle encore de moi
Et
c'est en sortant,
Monsieur
l'Commissaire
Que
tous les soirs de chez la Montalant,
De
jeunes "peigne-cul" nous montrent leur derrière
En
leur chantant :
Les
bourgeois c'est comm' les cochons
Plus
ça devient vieux, plus ça devient bête,
Les
bourgeois c'est comme les cochons
Plus
ça devient vieux plus ça devient...
…une certaine misogynie (Les biches, Les remparts de Varsovie)
. https://www.youtube.com/watch?v=qD4MVAcfny0
Sur scène, il avait une technique gestuelle très au point qui amplifiait ses textes. Il menait ses tours de chant comme de vrais combats.
Connu dans le monde entier, traduit en anglais par Mort
Shuman, chanté en Argentine par Marikena Monti, il décide en 1967 de quitter la
scène et les tours dechant. Il joue dans la comédie musicale L’homme de la
Manche (1968), puis au cinéma comme acteur (Les risques du métier, Cayatte ; La bande à Bonnot, Fourastié; Mon oncle Benjamin, Molinaro) et même comme metteur en scène
mais sans aucun succès, avant de se retirer aux îles Marquises.
Il retourne au disque en 1977 et meurt en 1978 á Paris.
https://www.youtube.com/watch?v=V3BSj1cHX-M
Dans
le port d'Amsterdam
Y'a
des marins qui chantent
Les
rêves qui les hantent
Au
large d'Amsterdam
Dans
le port d'Amsterdam
Y'a
des marins qui dorment
Comme des oriflammes
Le
long des berges mornes
Dans
le port d'Amsterdam
Y'a
des marins qui meurent
Pleins
de bière et de drames
Aux
premières lueurs
Mais
dans le port d'Amsterdam
Y'a
des marins qui naissent
Dans
la chaleur épaisse
Des
langueurs océanes
Dans
le port d'Amsterdam
Y'a
des marins qui mangent
Sur
des nappes trop blanches
Des
poissons ruisselants
Ils
vous montrent des dents
A
croquer la fortune
A décroisser
la Lune
A
bouffer des haubans
Et ça
sent la morue
Jusque
dans le coeur des frites
Que
leurs grosses mains invitent
A
revenir en plus
Puis
se lèvent en riant
Dans
un bruit de tempête
Referment
leur braguette
Et
sortent en rotant
Dans
le port d'Amsterdam
Y'a
des marins qui dansent
En se
frottant la panse
Sur la
panse des femmes
Et ils
tournent et ils dansent
Comme
des soleils crachés
Dans
le son déchiré
D'un
accordéon rance
Ils se
tordent le cou
Pour
mieux s'entendre rire
Jusqu'à
ce que tout à coup
L'accordéon
expire
Alors
le geste grave
Alors
le regard fier
Ils
ramènent leur batave
Jusqu'en
pleine lumière
Dans
le port d'Amsterdam
Y'a
des marins qui boivent
Et qui
boivent et reboivent
Et qui
reboivent encore
Ils
boivent à la santé
Des
putains d'Amsterdam
De
Hambourg et d'ailleurs
Enfin
ils boivent aux dames
Qui
leur donnent leur joli corps
Qui
leur donnent leur vertu
Pour
une pièce en or
Et
quand ils ont bien bu
Se
plantent le nez au ciel
Se
mouchent dans les étoiles
Et ils
pissent comme je pleure
Sur
les femmes infidèles
Dans
le port d'Amsterdam
Dans
le port d'Amsterdam
Amsterdam, Brel
« Lentes
ou frénétiques, lyriques ou réalistes, vivantes toujours, chaudes, tendres,
dures, émouvantes, sensuelles, sceptiques, ses chansons insinuent en chacun
l’amour, réussi ou raté, l’amitié, la colère, la solitude, l’inquiétude face à
l’habitude, la bruine de la solitude, le soleil de la mort. Les textes de
Brel,
pudiques ou “putains”, originaux ou jouant la rengaine et le refrain, nous
offrent les miroirs de nos défaites, de nos regrets, de nos espoirs. »
Olivier
Todd – Jacques Brel, une vie
Robert Laffont – 1984
À la même époque où Brel fait ses débuts, Léo Ferré (1916-1993) est plus connu comme
auteur, chanté notamment par Catherine
Sauvage, que comme interprète. Il lui faudra, pour cela,
attendre un passage à l’Olympia en 1955. Dans les années 60, certaines de ses
chansons (Mon
général, Les temps difficiles, Madame la Misère) subissent la
censure.
https://www.youtube.com/watch?v=1Lc9N_qZ1Tc
Madame la misère, écoutez le vacarme
que
font vos gens, le dos vouté, la
langue
au pas,
Quand
ils sont assoiffés, ils se
soûlent
de larmes
Quand
ils ne pleurent pas, ils
crèvent
sous le charme
De la
nature et des gravats.
Ce
sont des enragés au ventre
translucide
Qui
vont sans foi ni loi, comme on le dit parfois,
Régler
son compte à Monsieur
Éphéméride
Qui a
pris leur jeunesse et l’a mise en ses rides
Quand
il ne leur restait que ça.
Madame
la misère, écoutez le tumulte
Qui
monte des bas-fonds comme un dernier convoi
Traînant
des mots d’amour, avalant des insultes
Et
prenant par la main leurs colères
adultes
afin de ne les perdre pas.
Ce
sont des enragés qui dérangent l’histoire
Et qui
mettent du sang sur les chiffres parfois
Comme
si l’on devait toucher du doigt pour croire
Qu’un
peuple heureux rotant tout seul dans sa mangeoire
Vaut
bien une tête de roi.
Madame
la misère, écoutez le silence
Qui
entoure le lit défait des magistrats
Le
code de la peur se rime avec potence.
Il
suffit de trouver quelques
pendus
d’avance
Et mon
Dieu, ça ne manque pas.
Madame
la misère
Mai 68 lui apporte une nouvelle jeunesse. Son disque Amour anarchie et son récital 1970 marquent une date importante dans sa carrière. Il se fait alors déclamateur de longs textes un peu hermétiques d’une grande beauté, (Les amants tristes, Il n’y a plus rien).
https://www.youtube.com/watch?v=KmqxbuPQujc
Il se lance, à la fin de sa vie qu’il passe en Italie,
dans l’écriture de grandes compositions qu’il interprète accompagné d’un grand
orchestre.
Son œuvre est considérable, une cinquantaine d’albums. Il
explore toutes les formes musicales, tango, musette, blues, java, oratorio (La chanson du mal aimé, d’après
Apollinaire), musique rock, musique symphonique.
Il se trouve dans la lignée des chansonniers anarchistes
et des poètes maudits en rupture avec l’époque. Il sait pourtant être un poète
délicat (L’étang
chimérique) mais le plus souvent sa voix fustige la société (Cannes braguette, T’es rock coco) et prend des positions politiques (Franco la muerte).
Il n’a pas chanté que ses propres textes, il a mis en
musique Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Cesare Pavese et surtout Aragon.
La postérité gardera de Léo Ferré le souvenir d’un homme
chaleureux, écorché, un poète maudit dont la tendresse se cache sous le cri.
https://www.youtube.com/watch?v=mPn4vAOv0Xo
Y´en a pas un sur cent et pourtant ils existent
La
plupart Espagnols allez savoir pourquoi
Faut
croire qu´en Espagne on ne les comprend pas
Les
anarchistes
Ils
ont tout ramassé
Des
beignes et des pavés
Ils
ont gueulé si fort
Qu´ils
peuv´nt gueuler encore
Ils
ont le coeur devant
Et
leurs rêves au mitan
Et
puis l´âme toute rongée
Par
des foutues idées
Y´en a
pas un sur cent et
pourtant
ils existent
La
plupart fils de rien ou bien fils
de si
peu
Qu´on
ne les voit jamais que
lorsqu´on
a peur d´eux
Les
anarchistes
Ils
sont morts cent dix fois
Pour
que dalle et pour quoi ?
Avec
l´amour au poing
Sur la
table ou sur rien
Avec
l´air entêté
Qui
fait le sang versé
Ils
ont frappé si fort
Qu´ils
peuvent frapper encor
Y´en a
pas un sur cent et pourtant ils existent
Et
s´il faut commencer par les coups d´pied au cul
Faudrait
pas oublier qu´ça descend dans la rue
Les
anarchistes
Ils
ont un drapeau noir
En
berne sur l´Espoir
Et la
mélancolie
Pour
traîner dans la vie
Des
couteaux pour trancher
Le
pain de l´Amitié
Et des
armes rouillées
Pour
ne pas oublier
Qu´y´en
a pas un sur cent et pourtant ils existent
Et
qu´ils se tiennent bien le bras dessus bras dessous
Joyeux,
et c´est pour ça qu´ils sont toujours debout
Les anarchistes
« ‘’T’es toute nue sous ton pull ! Y’a la rue qu’est maboule” c’est le“Mignonne, allons voir...” de la fin du siècle. Il le savait, mais il était trop occupé à gérer sa rage et ses larmes pour en être satisfait. Pour lui, il n’y avait de succès qu’arrachés à l’ennemi, de consécration qu’imposée aux salauds, de prière qu’assortie d’une menace. (...) Il se voyait sur terre pour venger Rutebeuf qui avait eu froid : “Et droit au cul quand la bise vente ! Le vent me vient ! Le vent m’évente...”, pour venger Mozart, enterré dans la fosse commune, pour venger Van Gogh et Verlaine et Rimbaud, et “tous ces pauvres types qui vivent de leur plume ! Ou qui ne vivent pas, c’est selon la saison. »
Pierre
Bénichou – Le roman du grand Ferré
Le nouvel Observateur - nº 2018 – juillet 2003
BREL,
BRASSENS ET FERRÉ SE RENCONTRENT
-Vous êtes tous les trois dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”...
Brassens
: On
n’est pas les seuls. Et puis, ça ne veut pas dire grand-chose, cette façon de
compartimenter.
-Vous
ne vous prenez pas pour un poète alors ?
Brassens
: Pas
tellement, je ne sais pas si je suis poète, il est possible que je le sois, mais
peu m’importe. Je mélange des paroles et de la musique, et puis je les chante.
-Je
crois que Jacques Brel aussi se défend d’être poète.
Brel
: Je
suis “chansonnier”, c’est le vrai mot ! Je suis un petit artisan de la chanson.
Ferré
: Les
gens qui se disent poètes, ce sont des gens qui ne le sont pas tellement au
fond. Les gens qui sont honorés qu’on les qualifie de poètes, ce sont les
poètes du dimanche qui ont des plaquettes éditées à compte d’auteur... Cela dit
…, si on me dit que je suis un poète, je veux bien. Mais c’est comme si on me
disait que je suis un cordonnier qui fait de belles chaussures. Je rejoins le
point de vue de Brel.
-La
chanson est-elle un art ? Un art majeur ou un art mineur ?
Ferré
: Brassens
a dit une chose vraie, “Je mélange des paroles avec de la musique”. Voilà ce
que je fais.
Brassens
: Eh
oui, c’est tout à fait différent de ce qu’on appelle couramment la poésie qui
est faite pour être lue ou dite. La chanson, c’est très différent.
Même
si des types comme Ferré ont réussi à mettre des poètes en musique, comme
Baudelaire, il est difficile d’utiliser la chanson comme les poètes qui nous
ont précédé utilisaient le verbe. Quand on écrit pour l’oreille, on est tout de
même obligé d’employer un vocabulaire un peu différent, des mots qui
s’accrochent à l’oreille plus vite...Bien qu’on l’ait aussi avec le disque, le lecteur
a plus facilement la possibilité de revenir en arrière...
Brel
: Oui,
mais le disque est un sous-produit de la chanson, il ne faut pas se leurrer...
La chanson est faite pour être chantée, pas en fonction d’un disque à diffuser.
(...)
Brassens
: Autrefois
on chantait.
Quand
un type faisait une chanson, les gens se la passaient, se l’apprenaient et se
la chantaient. Ils participaient, ils avaient des cahiers de chansons...
Aujourd’hui le public est devenu plus passif. (...)
Brel
: Autrefois,
quand un type écrivait une chanson, les gens la reproduisaient –comme le disait
Georges- alors qu’aujourd’hui c’est nous qui la reproduisons. Ça faisait
chaîne, avant...je veux dire avant le microsillon. (...)
Ferré
: C’est
ça. Vous disiez tout à l’heure qu’on était des poètes ou artisans, tout ça...
Non, vous savez ce qu’on est tous les trois ?
Brassens
: De
pauvres connards devant un micro !
Ferré
: Non,
on est des chanteurs. Parce que si on n’avait pas de voix, on ne pourrait pas
se produire. (...)
Brassens
: Tu es
bien gentil de me dire ça, parce que moi de ce côté-là, c’est
pas
terrible, hein !
Ferré
: Si, tu
as de la voix. Tu chantes. Et lui aussi. S’il n’avait pas de voix, qui chanterait
les chansons de Brel ? Tout ce qu’il a fait, il ne l’aurait pas écrit.
Il
écrit ses chansons parce qu’il les a “publiées” avec sa voix. Et moi aussi...
(...)
-Quoique
vous fassiez, vous êtes toujours seuls ? Est-ce à dire que, pour faire de
grandes et belles choses, il faut être seul et malheureux ?
Ferré
: Ah oui
! Les seules choses valables se font dans la tristesse et la solitude. Je crois
que l’art est une excroissance de la solitude. Les artistes sont seuls...
Brel
: L’artiste,
c’est un brave homme totalement inadapté qui n’arrive qu’à dire publiquement ce
qu’un type normal dit à sa bobonne le soir.
Ferré
: Plutôt
ce qu’un type normal pourrait dire à sa femme le soir.
Brassens
: Quelquefois,
il le dit mieux, quand même !
Brel : Oui, mais l’artiste, c’est un timide, c’est un type qui n’ose pas aborder les choses “de face” comme on dit, et qui n’arrive qu’à dire publiquement ce qu’il devrait dire d’une manière courante dans la vie... Il est un peu orgueilleux aussi. C’est finalement très clinique, très médical, l’artiste.
Cela
dit, le pire c’est l’artiste qui n’est pas artiste, le timide qui ne pond pas son
œuf. Alors là c’est effroyable, parce qu’on tombe carrément dans le cas clinique
(...)
-Avez-vous
l’impression d’être devenus des adultes ?
Brassens
: Aïe,
aïe, aïe !
Brel
: Moi
non.
Ferré
: Moi
non plus. (...)
-Avez-vous
le sentiment, tous les trois, d’avoir bien, ou très bien “réussi votre vie ” ?
Brel
: Elle
n’est pas encore finie !
Brassens
: On
verra ça à la fin. Peut-être que ça va mal finir ? Jusque-là, on a fait, à peu
près ce qu’on a voulu (...)
Ferré
: On est
libre. On fait ce que l’on veut, tout de même...
Brassens
: Écoutez,
faire des chansons, les chanter en public, et avoir le plaisir de voir que le
public les accepte et les reçoit, c’est quand même pas mal. Il y a de quoi être
content, oui.
Extraits des propos recueillis par François-René Cristiani et Jean-Pierre Leloir le 6 janvier 1969 par RTL
En 1954, Barbara débute à l’Écluse. Elle y interprète les premières chansons de Brel, de Brassens, le répertoire de la Belle Époque et de temps en temps ses propres œuvres (Dis, quand reviendras-tu ? Chapeau bas)
De son vrai nom Monique Serf (1930-1997), elle venait de
passer des années difficiles, avec sa famille pendant la guerre et puis, en Belgique,
essayant de débuter une carrière dans la chanson.
En 1964, elle finit par imposer au grand public sa longue
silhouette noire et son profil d’oiseau.
De grands yeux sombres aux paupières noircies, un casque
de cheveux aile de corbeau, une robe noire. Une chanteuse à la voix contenue,
assourdie, puis haut perchée qui murmure puis s’envole.
1964 est l’année de Nantes, Götingen, Au bois de Saint-Amand, Chapeau bas.
https://www.youtube.com/watch?v=6syRUP6bvz4
Pourquoi s’est-elle décidée à créer ses propres chansons.
“Je chantais des chansons d’hommes. Or, j’ai eu envie de m’exprimer comme une
femme”, a-t-elle expliqué.
Une
petite cantate (1965), Le
soleil noir (1968), L’aigle
noir (1970),
Marienbad
(1973), L’homme en habit rouge (1974), Seule (1981) sont quelques-unes de ses
chansons les plus connues.
https://www.youtube.com/watch?v=tk6YruMrx2s
Un beau jour,
Ou
était-ce une nuit ?
Près
d’un lac
Je
m’étais endormie,
Quand
soudain,
Semblant
crever le ciel
Et
venant de nulle part,
Surgit
un aigle noir.
Lentement,
les ailes déployées,
Lentement,
je le vis tournoyer
Près
de moi,
Dans
un bruissement d’ailes,
Comme
tombé du ciel,
L’oiseau
vint se poser.
Il
avait
Les
yeux couleur rubis
Et des
plumes de couleur de nuit,
À son
front,
Brillant
de mille feux,
L’oiseau
roi couronné
Portait
un diamant bleu.
De son
bec
Il a
touché ma joue,
Dans
ma main
Il a
glissé son cou.
C’est
alors
Que je
Surgissant le reconnus,
du
passé,
Il
m’était revenu.
Dis,
l’oiseau,
Oh !
Dis, emmène-moi !...
En 1986, elle présente au Zénith de Paris, Lili Passion, où elle partage l’affiche avec Gérard Depardieu,
Chaque présentation de Barbara était une séance
d’envoutement collectif, sa voix ensorceleuse qui cherchait perpétuellement son
souffle tenait les spectateurs en haleine et les transportaient dans des mondes
magiques.
Délicate, passionnée, subtile, envoutante, elle restera
toujours fidèle à cette déclaration d’amour qu’elle fit au public en 1965 : Ma plus belle histoire d’amour c’est vous.
https://www.youtube.com/watch?v=XoLcVzxwgvQ
«
Barbara : La communion solennelle
Barbara défie les lois du spectacle : Vingt-trois récitals à guichets fermés au Théâtre Musical de Paris ! Sans affiches ni fracas médiatique. Sans esbroufe ni innovation racoleuse. Seul un piano, un rocking-chair et un tabouret balisent l'immense plateau vide. Point de décor. Au fond, côté cour, relégués dans un coin, quatre musiciens discrets. Tout cet espace baigne dans l'obscurité. Une symphonie en noir qu'égaieront tout à l'heure les couleurs des lumières peintes par le magistral Jacques Rouvayrollis.
Et
puis, et surtout, cette dame en noir, elle aussi, au physique inchangé, surgie
des ténèbres, pour égrener inlassablement –à la notable exception près de
“Sid’amour à mort”- les mêmes chansons : du “Bois de Saint-Amand” à “L’Aigle
noir” en passant par “Marienbad”, une trentaine de titres.(...) Des chansons
qui n’ont pas subi l’outrage du temps. Éternelles, elles sont tissées d’amour
et de mélancolie. (...)
La
voix, comme il se doit, est au premier plan : on l’entend donc et l’on en perçoit
clairement le propos. Cette voix toujours au bord de la rupture, riche d’un
timbre cristallin et dotée d’un phrasé alangui, escalade les notes.
L’interprétation
repose sur la sobriété : les épanchements de l’âme ne s’accommodent guère
d’effets inutiles, le geste ici prolonge toujours un élan du cœur. (...)
Un
récital à l’ancienne pour un public jeune : l’auditoire de Barbara ne cesse de
se renouveler et de s’étendre. (...) Car c’est une communion profonde qui s’instaure
au fil des chansons, et jusqu’à l’ovation finale : une indicible clameur !
Dégustant à plein cœur cette ultime caresse, frêle silhouette, Barbara arpente
la scène de son inimitable démarche de héron... »
Jacques
Erwan
Paroles
et musique – 29 septembre 1987
https://www.youtube.com/watch?v=MORAn5Ascg8
Pour qui, combien, quand et pourquoi, contre qui, comment, contre quoi
C'en
est assez de vos violences
D'où
venez-vous, où allez-vous, qui êtes-vous, qui priez-vous
Je
vous prie de faire silence
Pour
qui, comment, quand et pourquoi, s'il faut absolument qu'on soit
Contre
quelqu'un ou quelque chose
Je
suis pour le soleil couchant, en haut des collines désertes
Je
suis pour les forêts profondes
Car un
enfant qui pleure qu'il soit de n'importe où est un enfant qui pleure
Car un
enfant qui meurt au bout de vos fusils est un enfant qui meurt
Que
c'est abominable d'avoir à choisir entre deux innocences
Que
c'est abominable d'avoir pour ennemis, les rires de l'enfance
Pour
qui, comment, quand et combien, contre qui, comment, et combien
À en
perdre le goût de vivre
Le
goût de l'eau, le goût du pain et celui du Perlimpinpin dans le square des
Batignolles
Mais
pour rien, mais pour presque rien pour être avec vous et c'est bien
Et
pour une rose entr'ouverte
Et
pour une respiration, et pour un souffle d'abandon, et pour un jardin qui
frissonne
Rien
avoir, mais passionnément, ne rien se dire éperdument, ne rien savoir
avec
ivresse
Riche
de la dépossession, n'avoir que sa vérité, posséder toutes les richesses
Ne pas
parler de poésie, ne pas parler de poésie, en écrasant les fleurs
sauvages
Et
voir jouer la transparence au fond d'une cour au murs gris, où l'aube n'a
jamais
sa chance
Contre
qui, ou bien, contre quoi, pour qui, comment, quand et pourquoi
Pour
retrouver le goût de vivre
Le
goût de l'eau, le goût du pain et celui du Perlimpinpin dans le square des
Batignolles
Et
contre rien et contre personne, contre personne et contre rien, mais pour
une
rose entrouverte
Pour
l'accordéon qui soupire, et pour un souffle d'abandon et pour un jardin
qui
frissonne
Et
vivre, vivre passionnément, et de combattre seulement qu'avec les feux
de la
tendresse
Et,
riche de dépossession, n'avoir que sa vérité, posséder toutes les richesses
Ne
plus parler de poésie, ne plus parler de poésie mais laisser vivre les fleurs
sauvages
Et
faire jouer la transparence, au fond d'une cour aux murs gris
Où l'aube aurait enfin sa chance
Barbara est avec Anne Sylvestre (1934-2020), l’une des seules femmes qui réussit à s’imposer comme auteur-compositeur-interprète.
Elle fait d’abord le circuit classique de la rive gauche,
la Contrescarpe, le Cheval d’or... Une chanson Mon mari est parti, semble annoncer le succès. Elle
chante à Bobino, à l’Olympia, mais la vague yé-yé la réduit au silence, silence
qu’elle brise pour présenter ses chansons pour enfants, les Fabulettes.
https://www.youtube.com/watch?v=3Kihs1JrvBk
Mon
mari est parti un beau matin d’automne,
Parti,
je ne sais où.
Je
m’rappelle bien, la vendange était bonne
Et le
vent était doux,
La
veille nous avions ramassé des girolles
Au
bois de Viremont.
Les
enfants venaient juste d’entrer à l’école
Et le
temps était bon.
Mon
mari est parti un beau matin d’automne,
Le
printemps est ici.
Mais
que voulez-vous bien que le printemps me donne,
Je
suis seule au logis.
Mon
mari est parti, avec lui, tous les autres
Maris
des environs,
Le
tien, Éléonore, et vous, Marie, le vôtre,
Et le
tien, Marion.
Je ne
sais pas pourquoi et vous non plus sans doute
Tout
ce que nous savons
C’est
qu’un matin d’octobre, ils ont suivi la route
Et
qu’il faisait très bon
Les
tambours sont venus pour nous jouer une aubade,
J’aime
bien les tambours.
Il m’a
dit “je m’en vais faire une promenade”,
Moi,
je compte les jours.
Mon mari
est parti, je n’ai de ses nouvelles
Que
par le vent du soir,
Je ne
comprends pas bien toutes ces péronnelles
Qui me
parlent d’espoir.
Un
monsieur est venu m’apporter son costume,
Il
n’était pas râpé,
Sans
doute qu’en chemin il aura fait fortune,
Il se
sera nippé.
Les
fleurs dans son jardin recommencent à poindre,
J’y ai
mis des iris,
Il le désherbera
en venant me rejoindre,
Lorsque
naîtra son fils.
Mon
mari est parti quand déjà la nature
Était
toute roussie,
Et
plus je m’en défends et plus le temps est dur
Et
plus je l’aime aussi.
Marion
m’a-t-on dit vient de se trouver veuve,
Elle
pleure beaucoup,
Éléonore
s’est fait une robe neuve
Et
noire et jusqu’au cou,
Pour
moi, en attendant que mon amour revienne,
Je
vais près de l’étang,
Je
reste près du bord, je joue, je me promène,
Je
parle à mon enfant.
Mon
mari est parti un beau matin d’automne,
Parti,
je ne sais quand.
Si les
bords de l’étang me semblent monotones,
J’irai
jouer dedans.
Mon mari
est parti
Après ce trou dans sa carrière, elle réapparaît en 1974 avec des titres plus mûris dont Une sorcière comme les autres, Comment je m’appelle …
https://www.youtube.com/watch?v=Q_xJthHy8PM
Si ses musiques s’inspirent du folklore et de la
tradition, les textes parlent de la fragilité des êtres (Les gens qui doutent), l’avortement (Non, tu n’as pas de nom), l’adolescence (Bleu) et surtout, la condition de la
femme
(Agressivement vôtre, La femme du vent, Madame ma voisine, Éléonore, Philomène).
Anne Sylvestre meurt en novembre 2020.
https://www.youtube.com/watch?v=WQuAugvtp2Y
« Seule
en scène avec son pianiste (...) Libre de tout micro apparent, elle évolue avec
aisance sur le plateau de ce théâtre (...) Sacrée femme et sacrée chanteuse...qui
nous “fout” les larmes avec ses petites dernières –“Petit velours”, “Les dames
de mon quartier”, “Pour aller retrouver ma source”...et a fortiori “Partage des
eaux”- qu’elle chante toutes, et des anciennes qui sont à jamais en nous, de
“Porteuse d’eau” aux “Gens qui doutent”.
Inimitable
coquine, aussi, qui nous fait rire aux larmes (...) entre “Ça n’se voit pas du
tout” ou “Les hormones Simone” d’aujourd’hui et “Les grandes balades” d’hier.
Bref, une pierre de la plus belle eau dans notre jardin. »
Daniel Pantchenko, Chorus – nº35 – Printemps 2001
1955 est l’année du début de Guy Béart (1930) qui a du mal a faire passer sa voix. Ses chansons sont toutefois bien mieux acceptées interprétées par Gréco, Patachou, Zizi Jeanmaire ou Montand. Comme auteur, il n’emploie pas deux fois le même procédé de versification et utilise le vocabulaire le plus simple (Les grands principes) comme le plus recherché (Chandernagor). Côté compositeur, il donne à ses chansons un air familier avec des mélodies simples.
https://www.youtube.com/watch?v=NkV8JQKSvdA
Ma
petite est comme l'eau, elle est comme l'eau vive
Elle
court comme un ruisseau, que les enfants poursuivent
Courez,
courez vite si vous le pouvez
Jamais,
jamais vous ne la rattraperez
Lorsque
chantent les pipeaux, lorsque danse l'eau vive
Elle
mène mes troupeaux, au pays des olives
Venez,
venez, mes chevreaux, mes agnelets
Dans
le laurier, le thym et le serpolet
Un
jour que, sous les roseaux, sommeillait mon eau vive
Vinrent
les gars du hameau pour l'emmener captive…
L’eau
vive
« Guy Béart était né au Caire et vivait à Garches, dans les Hautsde- Seine. A 80 ans, Guy Béart avait publié un nouvel album, Le Meilleur des choses, après onze ans d’un silence qui aurait pu avoir raison de sa carrière. Ce mercredi 16 septembre, frappé par une crise cardiaque, il est tombé en sortant de chez le coiffeur, à Garches, il n’a pu être réanimé.
A 84
ans, en janvier 2015, il avait tenu l’Olympia pendant près de quatre heures,
sans vouloir décoller de la scène, aidé par Julien Clerc ou par sa fille
Emmanuelle
Béart, affolant la twittosphère des amateurs de chansons française – admiration
et moqueries confondues.
Depuis
Bal chez Temporel écrit en 1957, d’abord chanté par Patachou, l’auteur-compositeur
avait écrit un chapitre entier de la chanson française
(Qu’on
est bien, Chandernagor, L’Eau vive, Suez, Les Grands Principes…) et accumulé un
catalogue de près de 250 chansons. Guy Béart s’était parfois absenté, mais en
vérité, il n’a jamais décroché. Il s’est parfois mis en retrait, pour cause de
maladie (cancer avoué), mais aussi parce que le chat Guy était échaudé par les
pratiques « des maisons de disques », majors ou labels indépendants, toutes
dans le même sac. »
Véronique Mortaigne, Le Monde, le 16 septembre 2015
Au Trois Baudets encore, on découvre Serge Gainsbourg (1928-1991).
“Sa
nervosité, son agressive timidité dénotent une sensibilité, une inquiétude,
grosses de possibilités encore mal exploitées”, écrivait Claude
Sarraute dans le Monde (novembre 1958).
Son père était un pianiste de bar qui jouait à la maison
du Chopin et du Liszt. Quand le recensement des Juifs est décrété, la famille
se réfugie dans le Midi. À la Libération, il s’inscrit aux Beaux-Arts et
découvre plus tard le monde de la chanson. D’ailleurs, il considèrera toujours
la peinture comme le “grand art” et la chanson comme un “art mineur”.
Son premier disque Le poinçonneur des lilas (1958) obtient
le grand prix du disque. Il laisse cependant aux autres le soin de populariser
ses œuvres : Gréco (La
Javanaise), Patachou, les Frères Jacques.
https://www.youtube.com/watch?v=eWkWCFzkOvU
En 1965, France Gall triomphe au grand prix d’Eurovision avec Poupée de cire, poupé de son. Gainsbourg interprète s’efface souvent devant l’auteur compositeur qui compose pour Brigitte Bardot (Bonnie and Clide, Harley Davidson), Petula Clark (La Gadou), Isabelle Adjani (Pull marine) et bien sûr Jane Birkin qui sera sa femme et sa muse (Je t’aime moi non plus, composé à l’origine pour Bardot, Lolita go home, Les dessous chic, Baby alone in Babylone). Au fil des années, Birkin est, et reste l’interprète de Gainsbourg par excellence. Son album 2003, Arabesque, qui reprend ses grands succès sur un rythme oriental en est la preuve.
https://www.youtube.com/watch?v=k3Fa4lOQfbA
Il faut ajouter les œuvres qu’il réserve à son plaisir personnel: il enregistre des albums comme des ensembles cohérents, Melody Nelson (1972), Vu de l’extérieur (1973), Rock around the bunker (1975), L’homme à la tête de chou (1976).
https://www.youtube.com/watch?v=6EBbGGykwug
Il se nourrit des rythmes à la mode, qu’il adapte à sa
personnalité.
En 1979, en pleine vogue du reggae, Aux armes et caetera ose toucher à la
Marseillaise. Michel Droit crie à la profanation et le classe (Le Figaro Magazine,
1er juin 1979) dans la catégorie des “provocateurs à l’antisémitisme”.
Gainsbourg répond à l’académicien en se demandant s’il doit remettre l’étoile
jaune qu’il portait en 1942.
Dans les années 80 (Ecce Homo) apparaît son double, Gainsbarre:
“barbe de trois nuits, cigare et coup de cafard”.
En 1981, après un voyage à New York, il présente l’album Love on the beat.
Sur la pochette, il apparaît grimé en travesti et il
chante le dernier titre Lemon
incest avec sa fille Charlotte.
Le 19 septembre 1985, il se présente au Casino de Paris dont
il descend même le fameux escalier.
https://www.youtube.com/watch?v=DkI5OlkIHb0
Ecoute
ma voix écoute ma prière
Ecoute
mon cœur qui bat laisse-toi faire
Je
t'en prie ne sois pas farouche
Quand
me vient l'eau à la bouche
Je te
veux confiante je te sens captive
Je te
veux docile je te sens craintive
Je
t'en prie ne sois pas farouche
Quand
me vient l'eau à la bouche
Laisse-toi
au gré du courant
Porter
dans le lit du torrent
Et
dans le mien
Si tu
veux bien
Quittons
la rive
Partons
à la dérive
Je te
prendrais doucement et sans contrainte
De
quoi as-tu peur allons n'aie nulle crainte
Je
t'en prie ne sois pas farouche
Quand
me vient l'eau à la bouche
Cette
nuit près de moi tu viendras t'étendre
Oui je
serai calme je saurai t'attendre
Et
pour que tu ne t'effarouches
Vois
je ne prends que ta bouche
L’eau à
la bouche
« Gainsbourg (...) nous fait le coup du travesti et de l’inceste (...) Là encore pas vraiment de chansons, mais des suites d’allitérations plus ou moins téléphonées sur des rythmes archirabachés, dont la seule excuse est d’être terriblement mode du côté de New York.
L’histoire
s’achève sur un ultime album “You’re under arrest”, bâti sur les mêmes ficelles
qui se refermera sur une parodie (...) le détournement de “Mon légionnaire”
traité à la manière gay (...) Drôle de fin pour un si grand artiste. »
Marc
Robine – L’être et le paraître - De Gainsbourg à Gainsbarre
Chorus nº 14 – Hiver 1995/96
On dit que la “véritable histoire” de la chanson
québécoise commence en
1950 quand jacques Canetti emmène Félix Leclerc à Paris et le présente à l’ABC et aux Trois Baudets. Le “phénomène Félix” fait que les Québécois se tournent vers leurs nouveaux chansonniers. De nombreuses boîtes, Chez Bozo, Le Patriote, Le Chat Noir accueillent les premières chansons de Gilles
Vigneault, Raymond Lévesque et Pauline Julien.
Félix
Leclerc (1914-1988), découvert en France par Jacques Canetti fait
entendre, avant Georges Brassens, la voix de la poésie dans la chanson. C’est
aussi celui qui a ouvert la porte à la chanson québécoise, porte
qu’emprunteront plus tard Gilles Vigneault, Pauline Julien, Charlebois, etc.
Des lors, il partagera son temps entre le Québec et la
France. Ses chansons disent la terre et l’homme qui la possède (Le roi heureux),
la nostalgie (Ailleurs) et des personnages comme Bozo. Son titre le plus connu,
Moi, mes
souliers, est un peu son portrait.
https://www.youtube.com/watch?v=aF80WSPx2ZI
Moi,
mes souliers
Ont
beaucoup voyagé,
Ils
m’ont porté de l’école à la guerre.
J’ai
traversé
Sur
mes souliers ferrés
Le
monde et sa misère.
Moi,
mes souliers
Ont
passé dans les prés.
Moi,
mes souliers
Ont piétiné
la lune,
Puis
mes souliers ont couché chez les fées
Et
fait danser plus d’une.
Sur
mes souliers
Y’a de
l’eau des rochers,
D’la
boue des champs
Et des
fleurs de femme.
J’peux
dire qu’ils ont respecté le curé,
Payé
l’bon Dieu et l’âme.
S’ils
ont marché
Pour
trouver l’débouché,
S’ils
ont traîné de village en village
J’m’suis
pas rendu
Plus
loin qu’à mon lever
Mais
devenu plus sage.
Tous
les souliers qui bougent dans les cités,
Souliers
de gueux
Ou
souliers de reine,
Un
jour cesseront d’user les planchers,
Peut-être
cette semaine.
Non,
mes souliers
N’ont
pas foulé Athènes.
Moi,
mes souliers
Ont
préféré les plaines.
Quand
les souliers iront dans les musées
Ce
s’ra pour s’y
S’y
accrocher.
Au
paradis paraît-il mes amis,
C’est
pas la place
Pour
les souliers vernis.
Dépêchez-vous
de salir vos souliers,
Si
vous voulez être pardonnés,
Si
vous voulez être pardonnés.
Moi, mes
souliers
Quand il ne chante pas avec Vigneault et Charlebois
(Francofête, 1974), Félix Leclerc continue d’enregistrer des chansons
marquantes : Le tour
de l’île, La complainte du phoque en Alaska, montrant qu’il
n’a rien perdu de son talent et affirmant ses positions du côté de
l’indépendantisme (L’encan).
https://www.youtube.com/watch?v=14Bpb90OHF4
Gilles Vigneault incarne pour son public le symbole du “Québécois”, tout comme Félix Leclerc avait été celui du “Canadien”. Gilles Vigneault est né en 1928 à plus de 1000 kilomètres de Montréal d’un père pêcheur, c’est dire s’il connaît les immensités dont parlent ses chansons. Il passe une licence de lettres, devient professeur et commence à publier des nouvelles et des recueils de poèmes. Il donne aussi une série de récitals de monologues en y ajoutant parfois une chanson.
https://www.youtube.com/watch?v=G551bmF4AhA
En 1961, il donne son premier tour de chant. Il acquiert bien vite une renommée égale à celle de Félix Leclerc, étant devenu le porte-parole de la prise de conscience de tout un peuple. Il décrit dans ses chansons des personnages typiques des zones pionnières (Berlu, Jos Hébert, Jack Monoloy). Il est fidèle à l’héritage québécois, sans pour autant tomber dans le passéisme dans ses reels (La danse à Saint-Dilon) et ses gigues (Tam di le dam).
https://www.youtube.com/watch?v=We1-cagx7TI
Il se produit pour la première fois en France en 1963.
Pauline Julien est née à Trois-Rivières en 1928. Elle suit des cours de théâtre puis fait un séjour de 6 ans, de 1951 à 1957 à Paris où elle entame une carrière de chanteuse.
À son retour au Québec, elle se produit dans le circuit
des cabarets montréalais. Son premier disque paraît en 1962.
Son répertoire se compose principalement d’auteurs québécois
bien qu’elle ait aussi chanté Anne Sylvestre.
Elle chante Gilles Vigneault, Ah ! que l’hiver, Les gens de mon pays, Raymond Levesque, Trois milliards d’hommes ; Michel Tremblay, 8 heures 10, As-tu
deux minutes ? et elle-même, Toi, les hommes, Litanie
des gens gentils, Je
n’irai pas au rendez-vous…
https://www.youtube.com/watch?v=nCmdDTFakP0
C’est une figure incontournable du nationalisme et du féminisme de la Belle Province.
Raymond Levesque (1928-2021) commence à chanter à l’âge de 20 ans. Il s’installe en France en 1954 et enregistre chez Barclay. C’est à Paris qu’il compose sa chanson la plus renommée Quand les hommes vivront d’amour, inspirée par la guerre d’Algérie.
https://www.youtube.com/watch?v=_LTVQoEKNps
Et la version mémorable de Félix Leclerc, Gilles Vigneault
et Robert Charlebois sur les Plaines d’Abraham, en 1974.
https://www.youtube.com/watch?v=cZfDRQ_kKOw
De retour au Québec, Raymond Levesque fonde la première
boîte à chansons de Montréal, Les
Bozos.
D’autres de ses chansons : Bozo les culottes, Québec mon pays, L’héritage humain…
https://www.youtube.com/watch?v=fqv5ijX0k6s
Qu’en était-il de la chanson en Afrique, pendant les années qui précédèrent
les indépendances, celles de la colonisation ?
Dans les sociétés africaines, rurales pour la plupart, la
musique était, et demeure souvent, omniprésente. Il n’était pas un moment de la
vie qui ne fût accompagné de chants et de danses.
La colonisation, et l’urbanisation qu’elle entraîna,
eurent leur écho dans la musique africaine.
Face au pouvoir colonial, des stratégies multiples furent
déployées, soutient et opposition, appropriation de ce qui fait la force du
conquérant pour mieux le combattre, ce qu’exprimait si bien Kateb Yacine quand il disait : « Le français est notre butin de guerre ».
La variété française mais surtout les rythmes en
provenance des Amériques, passagers clandestins des bateaux chargeurs,
inspirèrent les musiciens africains : la rumba cubaine, la samba brésilienne,
le calypso trinidadien, et, bien évidemment le jazz étasunien. Un voyage
aller-retour, toutes ces musiques avaient été créées par les esclaves venus
d’Afrique et leurs descendants.
C’est le cas de la rumba congolaise, inscrite en 2021 au
patrimoine immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Les spécialistes situent ses
origines dans l’ancien royaume du Kongo, où l’on pratiquait, il y a 500 ans,
une danse appelée N’kumba. Les esclaves
transportèrent la N’kumba dans les Antilles.
Dans sa version moderne, la rumba, qui venait de Cuba, prend son essor en Afrique dans les années 40.
Le Grand Kallé et l’African Jazz est l’un des premiers groupes de l’ancien Congo belge. Il a été fondé par Joseph Kabaselé Tshamala, connu sous le nom de Grand Kallé. Né en 1930 à Matadi, il est considéré le père de la musique congolaise moderne.
L’African Jazz voit passer dans ses rangs, parmi d’autres
musiciens de talent, le saxophoniste Manu Dibango et le guitariste Dr Nico ainsi que le chanteur Tabu Ley Rochereau .
En 1960, Grand Kallé fonde son propre label, Surboum African Jazz ce qui lui
permet de diffuser des enregistrements de qualité vers les marchés occidentaux.
https://www.youtube.com/watch?v=0IewtF2nJig&list=OLAK5uy_mXkXRA
RyA_75yqbKYzxCrhKzGqLzHY8xA&index=31
Comme on peut l’observer dans le titre Ko Ko qui est là, les paroles sont principalement en
langue vernaculaire et on y trouve, de ci et de là, quelques mots en français.
Avec la mouvance indépendantiste, les peuples récupèrent leur identité. Leurs
langues, considérées sauvages et primitives par le colonisateur, refont surface
et deviennent un symbole identitaire.
Un autre groupe voit le jour en 1956, l’OK Jazz fondé par François Luambo Makiadi, dit Franco.
À la fin des années 60, l’OK Jazz est l’un des groupes les
plus importants du Congo-Kinshasa et part en tournée en Afrique et en Europe.
https://www.youtube.com/watch?v=ZmtUyN8VXz8
Dans Nai na ngai na respect. Nous voyons,
rien que dans le titre, un mot français émerger des mots en lingala.
En Algérie, entre les
années 40 et l’indépendance, la chanson en français est principalement
l’apanage des chanteurs et chanteuses juifs qui pratiquent le chant
arabo-andalous traditionnel, en langue arabe, et un genre novateur appelé
françarabe qui mêle les deux langues.
La plupart d’entre eux choisit de s’expatrier en France en 1962. Lili Boniche (1922-2008), chanteur du répertoire arabo-andalous est le premier à mêler le français à l’arabe. Il s’installe en France à l’époque de l’exode des juifs et des pieds-noirs.
En 1990, il entame une deuxième carrière de chanteur, retrouve
le pianiste Maurice El Medioni et enregistre un disque.
https://www.youtube.com/watch?v=XfndAriojx8
Line Monty (1926-2003), de son vrai nom Éliane Serfati, est attirée par la chanson réaliste à la manière de Damia et Édith Piaf aussi bien que par la musique arabo-andalouse qui sera d’ailleurs son répertoire à la fin de sa carrière.
https://www.youtube.com/watch?v=UoXmr2JZsEw
Blond
Blond (1919-1999)
est le nom de scène d’Albert Roumi et
qui fait référence à son albinisme. Comme
ses collègues, il débutera dans le répertoire arabo-andalous pour se tourner
plus tard vers le françarabe, plus moderne.
Les Antilles
françaises, la Martinique et la Guadeloupe, deviennent départements
en 1946.
C’est le temps du grand essor de la biguine, une danse créée au XIXe siècle par
les descendants des esclaves. Aux tambours de la musique gwoka des débuts, on a ajouté des
instruments à vent et à cordes, ce qui la rapproche du jazz de la Nouvelle
Orléans.
Le gwoka est un genre de
musique né durant la période de l'esclavage et qui perpétuait les rythmes
africains dans les plantations. L'étymologie du mot serait la déformation
créole gwo ka de gros-quart, la contenance usuelle des tonneaux à partir
desquels les esclaves confectionnaient leurs tambours.
Remarquons que la biguine, comme tout le répertoire
antillais qui suivra, est principalement chantée en créole, cette langue hybride née du processus
colonial et esclavagiste et où se mêlent la langue du colonisateur, celles des
esclaves ainsi que celles des peuples autochtones.
On remarquera que, de la même manière, les chanteurs
maghrébins chantent surtout en arabe et que la rumba
congolaise se chante presque toujours en lingala.
L’une des figures les plus inspirantes de la chanson antillaise, Moune de Rivel (1918-2014) est née à Bordeaux de parents guadeloupéens, une mère musicienne et un père magistrat.
Très jeune elle accompagne son père chez l’écrivain René Maran.
Elle adhère plus tard au concept de la Négritude, porté par Césaire, Damas et
Senghor.
En 1956, Moune de Rivel participe du Congrès des
écrivains et artistes noirs à la Sorbonne. Elle est solidaire des mouvements
indépendantistes qui s’éveillent à cette époque.
Elle commence sa carrière à Paris, passe ensuite deux ans
aux États-Unis où elle chante au café Society. Elle rentre en France, chante,
anime des émissions de radio et fait du cinéma.
En 1995, la chanteuse crée à Paris un conservatoire de
musique traditionnelle créole « Misik an nous ».
https://www.youtube.com/watch?v=zBQuz_99O88
Bien avant Moune de Rivel, une autre étoile de la biguine avait ouvert la voie, Léona Gabriel (1891-1971), appelée aussi Mademoiselle Estrella.
Née à Rivière-Pilote, elle commence sa carrière de chanteuse
de biguine en 1920, en rejoignant le groupe du clarinettiste Alexandre Stellio.
Elle chante avec lui à l’Exposition coloniale de 1931.
Elle est l’autrice de Maladie d’amour, popularisée plus tard par Henri
Salvador.
https://www.youtube.com/watch?v=X6hAd5WaKwA
Gérard
La Biny (1933-2007) est fils d’un pianiste. Il apprend à son tour
le violon et la guitare.
Il quitte la Guadeloupe pour Paris et se présente au
restaurant Le Créole en 1953 Il connaît Henri Salvador et Joséphine Baker ainsi
que Boris Vian qui le fait enregistrer son premier 45 tours.
https://www.youtube.com/watch?v=tuowG1q1YSg
En Haïti, comme dans les
Antilles françaises, le créole est la langue la
plus parlée. Du grand bourgeois au pauvre paysan, tout le monde s’exprime en créole.
Le français, d’autre part, est l’apanage des classes cultivées.
La chanson haïtienne s’exprime donc principalement en
créole.
La musique d’Haïti est, comme celle de ses voisines, la
Martinique et la Guadeloupe, le résultat de multiples influences. Les rythmes
africains, bien entendu mais aussi certaines danses européennes et même celle
en provenance de la culture arawak, les premiers habitants de l’île.
Puis, déjà au XXe siècle, les influences se font sentir des Antilles hispanophones, la République Dominicaine, séparée par une frontière et Cuba.
L’occupation américaine, de 1915 à 1934, laisse aussi des
traces.
Notons également la grande importance dans la culture
haïtienne de la religion vaudou. Comme ce fut
le cas au Brésil et à Cuba, la plupart des esclaves provenaient de l’ethnie
yoruba, un peuple présent au Nigeria, au Bénin, au Ghana, au Togo, au Burkina
Faso et en Côte d’Ivoire.
Dans les années 40, le Jazz des Jeunes, l’une des premières formations urbaines,
pratique ce que l’on appelle la musique Racine issue du vaudou.
La chanteuse du groupe était Lumane Casimir.
https://www.youtube.com/watch?v=T7bBEg39xdA
Parallèlement, mariant la musique vaudou avec celle des
big bands afro-cubains et américains, apparaît l’Orchestre de Issa El Saieh qui sert de tremplin à de nombreux
chanteurs haïtiens comme Guy
Durosier…
https://www.youtube.com/watch?v=5wTa47AbfVw
… Herbie Widmaier …
https://www.youtube.com/watch?v=L8AziKUKIzE
… ainsi que Joe Trouillot, qui s’exile au Québec, où il obtient un grand succès,
durant la dictature de Duvalier.
https://www.youtube.com/watch?v=r7Ls7kJdPxg
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