L’esclavage en toutes lettres - La esclavitud con todas las letras (fin)


Quatre autrices et un auteur pour conclure cette série dont le but est de découvrir les rapports de l’esclavage et la littérature : quatre femmes, deux latino-américaines, une antillaise et la dernière afropéenne comme elle aime à se dire, et un Malgache.

En 1821, la ville de Montevideo s’émeut face à un crime : deux esclaves ont assassiné leur maîtresse. Elles seront condamnées à la peine de mort.

L’autrice uruguayenne Susana Cabrera s’empara de cette histoire pour écrire La esclavas del rincón (Les esclaves du coin) (2001). Elle y déconstruit notamment cette idée reçue, mise en place par les historiens de la fin du XIXe et le début du XXe siècles, de l’esclavage de la région du Rio de la Plata plus humain que dans le reste du continent.

« Nous, les esclaves, avons des croyances, mes arrière grands-parents sont venus avec la première cargaison d’esclaves, ils sont arrivés d’Afrique et ne sont pas morts malgré l’épidémie, nous avons l’ordre de raconter notre histoire, mes grands-parents l’ont fait et moi, j’ai l’ai fait connaître à mes enfants, cette nuit-là nous nous sommes réunis dans la cave pour conjurer l’éclipse qui augurait la mort mais la conjuration ne s’est pas finie, la maitresse est arrivée dans la pièce et nous a fait nous mettre à genoux, nus, grelotant de froid, elle ne nous a fouetté que trois fois chacun, mais elle nous a puni avec quelque chose de bien plus douloureux, elle a brisé un a un les cierges et toutes les statuettes, y compris la plus importante, le mage des pluies. »

Tout au long du roman, Susana Cabrera nous fait entendre la voix de tous les protagonistes du drame, dont celle de Celedonia, la patronne assassinée. On comprend que les racines de sa détestation des Noirs sont très profondes.

« Mais maintenant elle le voit sourire tandis qu’il embrasse Marina sur le cou et c’est alors qu’arrive quelque chose de terrible ; cachée derrière les rideaux, elle s’approche du lit de sa mère et la voit, les yeux fixes sur la scène d’amour. Elle ne peut même pas sécher ses larmes car ses mains sont attachées. »

« … dès qu’elle m’a connue et m’a choisie pour la tuer, sa mort aux mains d’une esclave ferait oublier tant de violence contre celles-ci, elle serait une épouse respectable et personne ne la critiquerai avec de la rage et de l’horreur, son plan s’emmêla alors à mon destin, et il a montré être prémédité et cruel car elle a réveillé avec un acharnement destructeur le pire de moi, seulement si elle me dépouillait du mieux, je serais sa proie, et elle l’a obtenu. »

Voici ce que dit Mariquita. On y trouve cette idée du destin inéluctable si chère à la tragédie antique.

Avec ce roman Susana Cabrera déconstruit l’histoire officielle de l’Uruguay, ainsi que de presque toute l’Amérique latine, patriarcale et raciste qui cache généralement sous le tapis les deux génocides qui sont à son origine, celui des populations aborigènes et celui des esclaves.

Déconstruction encore dans le roman Cielo de tambores (Un ciel de tambours) de l’Argentine Ana Gloria Moya. Une autrice de la province de Salta, dans le nord du pays.

L’héroïne du roman, María Kumbá, est inspirée d’une vraie héroïne des guerres d’indépendance du pays, María Remedios del Valle, qui fut nommée « la mère de la Patrie » et dont la mémoire fut effacée de l’histoire officielle, étant mulâtre et esclave affranchie.

Après avoir servi avec ses deux filles courageusement dans l’armée indépendantiste, oubliée de tous et déjà âgée, elle mendiait dans les rues de Buenos Aires quand elle fut reconnue par le général Viamonte. 

« Bien, je continue à te raconter comment il m’a découverte ce pauvre Viamonte. Ce dimanche dont je te parle, je me suis approchée d’un monsieur très élégant qui sortait de la cathédrale. Pas beaucoup, me faisant un peu la sotte, parce que parfois ma grand-mère princesse me gronde me voyant faire la manche. Et là même je sens qu’on me prend par la main y on me dit : Mais si c’est toi, la tante Maria ! Il était si ému qu’il en pleurait presque. Je lui disais ‘’je suis bien, je suis bien, ne vous inquiétez pas’’, en lui tapant sur le dos comme dans le temps, quand nous attendions l’ennemi au milieu de la nuit et qu’il tremblait à la mort », lisons-nous dans le roman.

Le texte de Moya met en lumière une couche de la société argentine effacé depuis longtemps par la culture officielle, celle des Noirs, esclaves et descendants d’esclaves. Cette même culture soi-disant européenne qui continue à regarder d’en haut les descendants des peuples qui habitaient le pays avant l’arrivée des Espagnols.

L’autre voix qui nous parle dans Cielo de tambores est, précisément, celle de Gregorio Rivas, métisse.

« Je m’appelle Gregorio Rivas et aujourd’hui que le temps s’est occupé du feu des passions, je commence cette écriture pour que la vérité ne se perde pas dans l’oubli. Pour que l’autre cloche, celle qui résonne étouffée par les chroniques officielles, soit entendue de vous. »

Le troisième protagoniste du roman, le général Manuel Belgrano, héros de l’indépendance, ne s’exprime pas lui-même. Il est présenté, en outre, comme un lettré venant de la ville et ignorant des réalités du peuple et détestant les Noirs, dont María qui est amoureuse de lui.

« La vieille obsession de Manuel Belgrano pour l’ordre et l’organisation devint aussi lourde qu’inutile. Il s’agrippait à de ridicules structures avec l’intuition qu’il jouait son prestige avec le succès de cette mission. Assi durant des nuits entières à la lumière d’une lampe à huile devant les cartes de la région, il choisissait la meilleure route… pour, le lendemain, la changer, furieux, devant la crue d’une rivière que l’on devait traverser, ou d’un chemin impraticable qui l’obligeait à faire un détour. Il eut du mal à apprendre que la nature n’a jamais l’ordre d’une ambassade et que la vie ne donne pas de feuilles de route qui indiquent les détours pour moins souffrir. Ce sont les plus faibles qui durent payer le prix de son apprentissage. »

Ces plus faibles, et c’est le cas de María, se rebiffent parfois, ce qu’elle fait lorsqu’elle se présente devant le général :

« -Bonjour votre excellence, je m’en vais avec vous. Les officiers et misié le général auront besoin de quelqu’un qui lave et qui repasse.

-Il n’y a pas de place pour les femmes et moins encore pour les Noires.

-Je vous offre mon travail, misié, je ne suis pas faible, et j’ai tué plein d’Anglais. ! »

Elle impose sa présence aussi bien pour des tâches strictement féminines que pour celles qui ont trait à la guerre.

Le général fait partie de cette Argentine qui encore actuellement se veut blanche et européenne, celle qui fait que, ces jours-ci, un animateur de la télévision et son équipe se moquent du haut de leur « blanchitude » d’un couple appartenant à un des peuples originaires du pays.

Ce roman, qui se penche sur une pensée coloniale qui subsistait pendant les guerres de l’indépendance, nous alerte sur le fait que cette pensée qui permet qu’une couche de la société puisse se croire autorisée â en exploiter une autre rien qu’à cause de ses origines et de la couleur de sa peau.

« Où sont mes sables, mes fleurs, mes soleils ? Mon tout petit pays avec ses ciels qui pleurent et rient ? Cette maison est trop vaste, ce n’est pas la mienne. Pas cela, pas moi, ce corps qui pousse », voici le désarroi d0une femme esclave tel nous le décrit Fabienne Kanor dans son roman Humus (2006) inspiré d’un fait réel : En 1774, 14 femmes sautèrent par-dessus bord d’un bateau négrier, le Soleil, en route pour Saint-Domingue.

« J’ai.

Je.

Nous avons sauté.

Ensemble. Nous avons.

Sauté. Mer. Sautez !

Nous.

L’avons fait. »

Toutes ces femmes prendront la parole dans le roman, y compris l’autrice sous de nom de « l’héritière ». La première d’entre elles est « la muette »

« Allongée sur le dos, je passe en revue chaque bout de moi. C’est comme un jeu, ma main qui marche sur mon corps, traverse les jambes, les hanches, contourne le ventre. Pas lui ! Surtout pas, depuis qu’ils l’ont cassé. Une fois, c’est arrivé. Je veux dire par là que l’homme est entré en moi, a gâté cette musique qui berce l’enfance.

Je hais les hommes !

Et je ne crois pas que cela changera. »

Et aussi la Blanche, que l’on appelle ainsi parce qu’elle couche avec un Blanc.

« La Blanche. C’est comme cela que l’on m’appelle. Ce qu’elles disent lorsqu’elles se figurent que je ne les entends pas. La Blanche, et bien d’autres choses encore. Des mots qui souillent, gâtent mon nom, leur donnent des airs de mesdames quand elles ne sont plus rien.

Ce qu’elles pensent au fond, m’en fous pas mal. Ce que je crois, moi, c’est qu’il est des jours où l’on a pas le choix. Où un homme qui vit est un homme qui risque. Et moi, La Blanche, j’ai décidé de ne pas mourir. »

Et puis la vieille Baoulé, l’Esclave, les Jumelles, l’Employée. Certaines d’entre elles sauteront dans la mer, d’autres arriveront à leur sordide destin en Amérique.

Toutes ces femmes, arrachées à leur terre, se réapproprient une parole effacée, confisquée par l’histoire, « une, des, plusieurs bouches gueulent pour que leur cri soit enfin entendu.

« La traite des Noirs est une honte pour l’humanité. Un crime contre l’humanité. Qu’elle soit le fait des Européens, via l’Atlantique. Ou des Arabes, via le Sahara ou Zanzibar. Pourtant, il serait inexact d’affirmer que le Blanc capturait tout seul le Noir pour le réduire en esclavage. La part de responsabilité des Noirs dans la traite négrière reste un tabou parmi les Africains, qui refusent d’ordinaire de se regarder dans un miroir », écrivait le Congolais Alain Mabanckou dans Le sanglot de l’homme noir (2012).

Ce sujet tabou avait déjà été soulevé par Yambo Ouologuem dans Le devoir de violence, dont nous avons parlé dans le chapitre 4.

Léonora Miano, née en 1973 au Cameroun, se penche aussi sur cette partie bien souvent occultée de l’histoire, dans son roman La saison de l’ombre (2013), qui remporta le prix Femina.

Un incendie a ravagé le village des Mulongo, en Afrique centrale. Des jeunes hommes, récemment initiés, ont disparu. Leurs mères sont mises au ban de la communauté.

L’équilibre est rompu.

« Elles l’ignorent, mais cela leur arrive au même moment. Celles dont les fils n’ont pas été retrouvés ont fermé les yeux, au bout de plusieurs nuits sans sommeil. Les cases n’ont pas toutes été rebâties après le grand incendie. Regroupées dans une habitation distante des autres, elles combattent de leur mieux le chagrin. Le jour durant, elles ne disent rien de l’inquiétude, ne prononcent pas le mot de perte, ni les noms de ces fils que l’on n’a pas revus. En l’absence du guide spirituel, lui aussi perdu on ne sait où, le Conseil a pris les décisions qui semblaient s’imposer. Des femmes ont été consultées : les plus âgées. Celles qui ne voient plus leur sang depuis de longues lunes. Celles que le clan considère désormais comme les égales des hommes. »

L’une de ces femmes, Eyabe, se démarque et refuse de rester dans l’ignorance. Elle retourne, tout d’abord, dans sa propre case.

« Eyabe soutient le regard perplexe de Musima, se lève sans y avoir été invitée. Pas une seule fois, elle n’a baissé la tête. Au lieu de rejoindre ses compagnes assises devant la case, elle se rend derrière l’habitation commune. Quand elle revient, elle s’est lavée, coiffée d’une couronne de feuilles, enduit le visage et les épaules de kaolin. Les autres femmes tressaillent à sa vue. L’homme réprime un cri. L’argile blanche, appliquée sur la face, symbolise la figure des trépassés qui viennent visiter les vivants. Le blanc est la couleur des esprits. Sans accorder la moindre attention à quiconque, Eyabe pénètre maintenant dans la case. Elle fredonne une complainte, tape doucement des mains.

Bientôt, elle ressort, vêtue d’un dibato en écorce battue. C’est un costume d’apparat, pas comme la manjua. Eyabe se dirige vers le centre du village, avance lentement. Chaque pas est une affirmation. Elle n’a rien à se reprocher. D’abord, c’est pour elle-même qu’elle prononce ces mots. Puis, elle les énonce à voix haute, sans crier, inclut les autres femmes dans cette dénégation : Nous n’avons rien fait de mal. Nous n’avons pas avalé nos fils et ne méritons pas d’être traitées comme des criminelles. »

Elle fuit ensuite le village, arrive à la côte et découvre que la peuplade voisine des Bwele avait capturé les hommes pour les vendre aux « hommes aux pieds de poule » qui possèdent des « armes qui crachent la foudre », c’est-à-dire, les Blancs.

Les « pieds de poule » font référence aux souliers qui enveloppent les extrémités des Européens.

« Mundene a été emporté avec les captifs inconnus. S’il a survécu à la traversée, il se trouve à présent dans un pays situé de l’autre côté de l’océan. Pas étonnant, si son esprit doit enjamber toute cette eau pour se manifester, qu’on n’ait pas eu de ses nouvelles. Mukudi, quant à lui, a été ramené à terre. Il était mal en point. Les étrangers n’en voulaient pas, disaient avoir été floués. »

L’autre personnage phare du roman est la vieille Ebeise, l’accoucheuse qui clôt La saison de l’ombre avec une phraser d’espoir :

« En une nuit, immédiatement après cette découverte, une fleur appelée

manganga s’est mise à pousser en abondance dans cette partie du marais.

Peu à peu, l’eau a commencé à rendre des effets : les sagaies, les amulette des soldats mulongo ; le mpondo du chef, celle de ses mbondi que la tourbe avait emprisonnée – l’autre ayant été retrouvée plus tard par Ebeise –, son ekongo et son bâton d’autorité. Le tout sera remis à l’ancienne, en attendant l’érection du sanctuaire. La femme dit que vingt-sept personnes ont été mises en terre dans le pays d’avant. Leurs noms seront transmis ici, afin qu’ils sachent qu’un peuple les reconnaît, les réclame. La vieille hoche la tête. De peur d’être mal comprise, elle n’ose dire : Tout est bien. Alors, elle murmure : Sachons accueillir le jour lorsqu’il se présente. La nuit aussi. »

Des mots d’espoir pour clore ce magnifique roman qui, comme Humus, fait entendre la voix des femmes pour témoigner du drame de l’esclavage.

 


Et pour clore cette série, j’ai choisi un texte du poète et dramaturge malgache, Jean-Luc Raharimanana, Les ruines, mis en scène par Thierry Bedard en 2010.

« Sourire.

Ne pas me souvenir du passé.

Ne pas assener des coups d’état à mon présent.

Arrêter de parler de colonisation ou d’esclavage.

Me regarder en face et arrêter de me prendre pour un blanc.

Sourire.

Surpasser l’état naturellement tragique et cruel de mon histoire (sinon choper la mouche tsé-tsé pour oublier tout ça et dormir comme un bon sauvage au pied de mon baobab où ne nichent pas des singes capables de me jeter à la figure leurs noix de coco de merde).

Ne pas me demander comment diantre fichtre merdre des singes ont pu se procurer des noix de coco dans un baobab… et surtout des noix de coco made in China.

Effacer d’un coup de fétiche magique les siècles de domination, de massacre et de déportation.

(…)

Que l’esclavage finalement, que la colonisation finalement, que ces siècles de douleur finalement, étaient peut-être mieux pour moi, moi qui ne saurai jamais me prendre en charge ? Regardez où j!en suis maintenant… Ruines.

Etrange comme le bourreau de ces siècles, par le miracle du don et du prodige s’est mué en sauveur impuissant

(…)

Pour ne point rajouter à la douleur de l’Occident, je me dois d’être sans mémoire,

sans mémoire pour rappeler,

sans mémoire pour dire,

sans mémoire pour contester,

sans mémoire pour recréer,

mon passé n’a pas de bouche,

pas d’entendement …

Ou alors, crier ensemble, se scandaliser…

J’en ai assez de parler, j’en ai assez d‘évoquer ce que tous savent, assez de faire de ma bouche l’entrepôt des mots sales charriés des lâchetés. Je voudrais me poser un peu, me tenir loin de la nausée, mais je suis trop près de moi encore, trop près de l’humain… »

https://www.theatre-contemporain.net/video/Extrait-de-Des-Ruines-1-2?autostart

https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Des-ruines/videos/media/Extrait-de-Des-Ruines-2-2

La poésie puissante de Raharimanana interroge le monde contemporain, l’histoire et l’oubli de cette histoire…

« Ce n’est pas la parole qui est scandaleuse, c’est le monde », déclarait l’auteur malgache en 2016, et c’est bien ce que nous ressentons devant ce texte où la violence côtoie l’ironie et qui nous oblige à ne pas détourner le regard.

 

Bibliographie

Susana Cabrera S, Las esclavas del Rincón, Fin de Siglo, 2012.

Ana Gloria Moya, Cielo de tambores, Emecé Editores, 2003

Fabienne Kanor, Humus. Gallimard, 2006.

Léonora Miano, La saison de l’ombre, Grasset, 2013.

Jean-Luc Rahimanana, Des ruines, Vents d’ailleurs, 2012

 

Nous arrivons ainsi à la fin de ce panorama des auteur·ices qui se sont penché·es sur le sujet brûlant de l’esclavage. Un sujet trop souvent occulté par l’histoire officielle. La liste des auteur·ices n’est bien évidemment pas exhaustive, il y manque sûrement des œuvres aussi importantes que celles recensées ici, toute recherche étant naturellement interminable.

 


Cuatro autoras y un autor para concluir esta serie cuya meta fue descubrir los nexos entre la esclavitud y la literatura: cuatro mujeres, dos latinoamericanas, una antillana y una afropea, como le gusta llamarse, y un malgache.

En 1821, la ciudad de Montevideo se conmueve frente a un crimen, dos esclavas asesinaron a su ama. Serán condenadas a la pena de muerte.

La autora uruguaya Susana Cabrera se apoderó de esta historia para escribir Las esclavas del rincón (2001). Deconstruye en ella el lugar común, creado por los historiadores de fines del siglo XIX y comienzos del XX, de la esclavitud del Río de la Plata más humana que en el resto del continente. 

“Nosotros los esclavos tenemos creencias, mis bisabuelos vinieron con el primer cargamento de esclavos, llegaron de África y no murieron a pesar de la epidemia, nosotros tenemos la orden de contar nuestra historia, mis abuelos lo hicieron y yo se la hice conocer a mis hijos, esa noche nos reunimos en el sótano para conjurar contra el eclipse que auguraba muerte pero el conjuro no se terminó de cumplir, el ama llegó a la habitación y nos hizo arrodillar desnudos, tiritando de frío, fue extraño, solo nos pegó tres latigazos a cada uno pero nos castigó con algo mucho más doloroso, rompió una a una las velas y todas las estatuillas incluyendo la más importante, el mago de las lluvias.”

A lo largo de la novela, Susana Cabrera nos hace oír la voz de todos los protagonistas del drama, entre las cuales la de Celedonia, el ama asesinada. Comprendemos que las raíces de su odio son muy profundas.

“…pero ahora lo ve sonreír mientras besa a Marina en el cuello, y entonces sucede algo terrible; escondida detrás de las cortinas se va acercando a la cama de su madre y la ve con los ojos fijos en la escena de amor, ni siquiera puede secar sus propias lágrimas porque está con las manos atadas.”

“…desde que me conoció me eligió para matarla, su muerte en manos de una esclava haría olvidar tanta violencia contra ellas, sería una esposa respetable y nunca nadie más le criticaría con encono y horror, entonces su plan se fue enredando en mi destino, y supo ser premeditado y cruel porque con saña destructora despertó lo peor de mí misma, sólo si me despojaba de lo mejor sería su presa, y lo consiguió.”

Esto es lo que dice Mariquita. Encontramos la idea del destino inevitable tan cara de la tragedia antigua.

Con esta novela, Susana Cabrera deconstruye la historia oficial del Uruguay, así como de casi toda América Latina, patriarcal y racista que esconde generalmente bajo la alfombra los dos genocidios que se encuentran en su origen, el de las poblaciones aborígenes y el de los esclavos.

 Deconstrucción también en la novela Cielo de tambores de la argentina Ana Gloria Moya. Una autora de la provincia de Salta, en el norte del país.

La heroína de la novela, María Kumbá, se inspira en una verdadera heroína de las guerras de independencia del país, , María Remedios del Valle, quien fue llamada “la madre de la Patria” y cuya memoria fue borrada de la historia oficial siendo mulata y esclava liberta.  

Después de haber servido con sus dos hijas valientemente en el ejército de la independencia, ilvidada por todo y ya anciana, mendigaba en las calles de Buenos Aires cuando fue reconocida por el general Viamonte. Après avoir servi avec ses deux filles courageusement dans l’armée indépendantiste, oubliée de tous et déjà âgée, elle mendiait dans les rues de Buenos Aires quand elle fut reconnue par le général Viamonte. 

“Bueno, le sigo contando cómo me descubrió el pobre Viamonte. Ese domingo que le digo, me le acerqué a un señor bien elegante que salía de la Catedral. No mucho, medio haciéndome la tonta, porque a veces mi abuela princesa me reta al verme pedigüeñar. Y ahí nomás siento que me agarran de la mano y me dicen: ¡Pero si sos la tía María! De lo emocionado que se puso casi lloraba el hombre. Yo le decía “estoy bien, estoy bien, no se preocupe”, y lo palmeaba como antes, cuando esperábamos al enemigo en medio de la noche y él le temblaba a la muerte.” Leemos en la novela.

El texto de Moya pone a la luz una capa de la sociedad argentina borrada desde hace mucho por la cultura oficial, la de los negros, esclavos y descendientes de esclavos. Esa misma cultura pretendidamente europea que sigue mirando de arriba a los descendientes de los pueblos que habitaban el país antes de la llegada de los españoles.

La otra voz que nos habla en Cielo de tambores es, precisamente la de Gregorio Rivas, un mestizo.

“Mi nombre es Gregorio Rivas y hoy, que del fuego de las pasiones se encargó el tiempo, inicio esta escritura para que la verdad no se pierda en el olvido. Para que la otra campana, la que tañe sofocada por las crónicas oficiales, sea oída por ustedes.”

El tercer protagonista de la novela, el general Manuel Belgrano, héroe de la independencia, no se expresa por sí mismo. Es presentado, además, como un letrado que llega de la ciudad, que ignora las realidades del pueblo y que detesta a los negros, entre los cuales a María que está enamorada de él. 

“La vieja obsesión de Manuel Belgrano por el orden y la organización resultó tan pesada como inútil. Se aferraba a ridículas estructuras intuyendo que con el éxito de aquella misión se jugaba su prestigio. Sentado durante noches enteras a la luz de un quinqué frente a los planos de la zona, elegía la mejor ruta... para al día siguiente alterarla, furioso, ante un río crecido que debía vadearse, o un camino intransitable que obligaba a dar un rodeo. Le costó aprender que la naturaleza jamás tuvo el orden de una embajada,

y que la vida no da hojas de rutas que indiquen atajos para sufrir menos. Y el precio de su aprendizaje debieron pagarlo los más débiles. »

Estos más débiles, y es el caso de María, se rebelan a veces, lo que hace cuando se presenta ante el general:

“-Buen día su Excelencia, voy con usté. Los oficiales y el Senó Generá van a necesitar quién les lave y les planche…

-No hay lugar para mujeres, y menos si son negras

-Yo ofrezco mi trabajo, señó, no soy floja, y maté montones de ingleses”

Impone su presencia tanto para tareas estrictamente femeninas como para aquellas en relación con la guerra.

El general forma parte de esa Argentina que aún hoy se quiere blanca y europea, lo que hace que, en estos días, un presentador de la televisión y su equipo se burlaran, desde lo alto de su blancura, se burlaran f rimas pareja perteneciente a los pueblos originarios del país.

Esta novela, que se ocupa de un pensamiento colonial que subsistía durante las guerras de independencia, nos alerta sobre el hecho de que el pensamiento que permite que una parte de la sociedad pueda creerse autorizada a explotar a otra sólo a causa de sus orígenes y del color de su piel. 

“¿Dónde están mis arenas, mis flores, mis soles? ¿Mi país chiquito con sus cielos que lloran y ríen? Esta casa es demasiado amplia, no es la mía. Esto no, yo no, este cuerpo que crece.”, este es el desconcierto de una mujer esclava tal como lo describe Fabienne Kanor en su novela Humus (2006) inspirada en un hecho real: En 1774, 14 mujeres saltaron por encima de la borda de un barco negrero, el Soleil, en ruta hacia Santo Domingo.

“He.

Yo.

Hemos saltado.

Juntas. Hemos.

Saltado. Mar. ¡Salten!

Nosotras.

Le hemos hecho.”

Todas estas mujeres tomarán la palabra en la novela, incluso la autora bajo el nombre de “la heredera”- La primera entre ellas, es ”la muda”.

Acostada sobre la espalda, paso en revista cada pedazo de mí. Es como un juego, mi mano que anda sobre mi cuerpo, atraviesa las piernas, las caderas, bordea el vientre. ¡Él no! De ninguna manera, desde que lo rompieron. Una vez ocurrió. Quiero decir que el hombre entró en mí, arruinó esa música que acuna la infancia.

¡Odio a los hombres!

Y no creo que cambie.” 

Y también “la Blanca”, llamada así porque se acuesta con un blanco.

“La Blanca. Es así como me llaman. Lo que dicen cuando creen que no las oigo. La Blanca y muchas cosas más. Palabras que ensucias, que arruinan mi nombre, les dan aires de señoras cuando ya no son nada.

Lo que piensan, en el fondo, poco me importa. Lo que creo es que hay días en que no tenemos elección. En que un hombre que vive es un hombre que se arriesga. Y yo, la Blanca, decidí no morir.’’

Y además la vieja Baulé, la Esclava, las Gemelas, la Empleada. Algunas saltarán al mar, otras llegarán a su sórdido destino en América.

Todas estas mujeres, arrancadas de su tierra, se reapoderan de una palabra borrada, confiscada por la historia, “una, unas, varias bocas aúllan para que su grito sea oído por fin.”

“La trata de negros es una vergüenza para la humanidad. Un crimen contra la humanidad. Que sea obra de los europeos, por la vía del Atlántico. O de los árabes, por la vía del Sahara o de Zanzíbar. Sin embargo, sería inexacto afirmar que el blanco capturaba solo al negro para reducirlo a la esclavitud. La parte de responsabilidad de los negros en la trata de esclavos sigue siendo un tabú entre los africanos, que se niegan habitualmente a mirarse en el espejo”, escribía el congoleño Alain Mabanckou en El sollozo del hombre negro (2012).  

Este tema tabú ya había sido tratado por Yambo Ouologuem en El deber de violencia, del que hablamos en el capítulo 4.

Léonora Miano, nacida en 1973 en Camerún, se ocupa de esta parte muy a menudo ocultada de la historia en su novela La estación de la sombra (2013) que ganó el premio Femina.

Un incendio destruyó el poblado de los mulongo en África central. Han desaparecido hombres jóvenes, recientemente iniciados. Sus madres son condenadas al ostracismo.  

El equilibrio se rompió.

“Ellas lo ignoran, pero esto les ocurre en el mismo momento. Aquellas cuyo hijo no ha sido encontrado cerraron los ojos, al cabo de varias noches sin sueño. Las chozas no fueron todas reconstruidas después del gran incendio. Agrupadas en una vivienda lejos de las otras, combaten lo mejor que pueden su pena. Durante el día no dicen nada de la inquietud, no pronuncian la palabra pérdida, ni los nombres de esos hijos que no han vuelto a ver. En ausencia del guía espiritual, él también perdido quién sabe dónde, el Consejo tomó las decisiones que parecían imponerse. Consultaron a mujeres: las de más edad. Las que ya no ven su sangre desde hace muchas lunas. Las que el clan considera desde entonces como iguales a los hombres.”

Una de estas mujeres, Eyabe, se separa y se niega a permanecer en la ignorancia. Vuelve, en un principio a su propia choza.

“Eyabe sostiene la mirada perpleja de Musima, se levanta sin haber sido invitada. Ni una sola vez inclinó la cabeza. En lugar de reunirse con sus compañeras sentadas delante de la choza, se dirige detrás de la habitación común. Cuando vuelve, se ha lavado, peinado con una corona de hojas, untado el rostro y los hombros con caolín. Las otras mujeres se sobresaltan al verla. El hombre reprime un grito. La arcilla blanca, aplicada sobre la cara, simboliza la figura de los difuntos que llegan a visitar a los vivos. El blanco es el color de los espíritus. Sin prestarle la menor atención a quien seas, Eyabe penetra ahora en la choza. Tararea una canción, golpea suavemente las manos.

Pronto, vuelve a salir vestida con un dibato de corteza golpeada. Es un traje de gala, no como la manjua. Eyabe se dirije al centro del poblado, avanza lentamente. Cada paso es una afirmación. No tiene nada que reprocharse. Pronuncia en principio esas palabras para ella misma. Luego las enuncia en voz alta, sin gritar, incluye a las otras mujeres en esta denegación: No hicimos nada malo. No nos hemos tragado a nuestros hijos y no merecemos ser tratadas como criminales.”

Huye luego del poblado, llega a la costa y descubre que el pueblo vecino de los Bwele había capturado a los hombres para venderlos a los “hombres con pies de gallina” que poseen “armas que escupen el rayo”, es decir los blancos. 

Los “pies de gallina” hacen referencia al calzado que envuelve las extremidades de los europeos.

Mundene fue llevado con los cautivos desconocidos, Si sobrevivió a la travesía, se encuentra ahora en un país situado del otro lado del Océano. No es asombroso, si su espíritu debe cruzar toda esta agua para manifestarse, que no hayamos tenido noticias suyas. Mukudo, en cuanto a él, fue vuelto a traer a tierra. Estaba mal. Los extranjeros no lo quisieron, decían que los habían engañado.”

El otro personaje faro de la novela es la vieja Ebeise, la partera que cierra La estación de la sombra con una frase esperanzada:

En una noche, inmediatamente después de este descubrimiento, una flor llamada manganga se puso a crecer en abundancia en esta parte del estero.

Poco a poco r lagua comenzó a devolver objetos: lanzas, amuletos de los soldados mulongo ; el mpondo del jefe, la de sus mbondi que la turba había aprisionado -el otro fue encontrado más tarde por Ebeise-, su  ekongo y su bastón de autoridad. Todo será entregado a la anciana, esperando la construcción del santuario. La mujer dice que 27 personas han sido enterradas en el país de antes. Sus nombres serán transmitidos aquí, para que sepan que un pueblo los reconoce, los reclama. La vieja inclina la cabeza. Por miedo a ser mal entendida, no se atreve a decir : Todo está bien. Murmura entonces: Sepamos recibir al día cuando se presente. Y a la noche también.”

Palabras de esperanza para cerrar esta magnífica novela que, como Humus, hace oír la voz de las mujeres para atestiguar del drama de la esclavitud

Y para cerrar esta serie, elegí un texto del poeta y dramaturgo malgache Jean-Luc Raharimanana, Las ruinas, puesto en escena por Thierry Bedard en 2010.

« Sonreir.

No recordar el pasado.

No dar golpes de estado en mi presente.

Dejar de hablar de colonización y de esclavitud.

Mirarme de frente y dejar de tomarme por un blanco.

Sonreir.

Sobrepasar el estado naturalmente trágico y cruel de mi historia (si no agarrar la mosca tse-tse para olvidar todo eso y dormir como un   buen salvaje al pie de mi baobab en que cual no anidan monos capaces de tirarme por la cabeza sus cocos de mierda.

No preguntarme como demonios miércoles mierda los monos pudieron conseguir cocos en un baobab… y sobre todo cocos made in China..

Borrar con un golpe de fetiche mágico los siglos de dominación, de masacre y de deportación.

(…)


Que la esclavitud finalmente, que la colonización finalmente, que esos siglos de dolor finalmente, eran quizás lo mejor para mí que nunca sabré tomarme a cargo? Miren en lo que estoy ahora… Ruinas.

Extraño como el verdugo de estos siglos, por el milagro del don y del prodigio mutó en salvador impotente.

(…)

Para no agregar nada al dolor de Occidente, debo ser sin memoria,

sin memoria para recordar,

sin memoria para decir,

sin memoria para cuestionar,

sin memoria para recrear,

mi pasado no tiene boca,

ni entendimiento …

O entonces, gritar juntos, escandalizarse…

Estoy harto de hablar, estoy harto de evocar lo que todos saben, harto de hacer de mi boca el depósito de las palabras sucias traídas por cobardías. Querría detenerme un rato, mantenerme lejos de la náusea, pero estoy demasiado cerca de mí todavía, demasiado cerca de lo humano…”

https://www.theatre-contemporain.net/video/Extrait-de-Des-Ruines-1-2?autostart

https://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Des-ruines/videos/media/Extrait-de-Des-Ruines-2-2

La poesía potente de Raharimanana interroga al mundo contemporáneo, la historia y el olvido de esta historia…

‘’No es la palabra que es escandalosa, es el mundo’’, declaraba el autor malgache en 2016, y es lo que sentimos frente a este texto en que la violencia se acerca a la ironía y que nos obliga a no volver la mirada.


Llegamos así al finalo de este panorama de los autore(a)s que se ocuparon del tema ardiente de la esclavitud. Un tema demasiadas veces ocultado por la historia oficial. La lista de los autore(a)s no es evidentemente exhaustiva, faltan seguramente obras tan importantes como las analizadas aquí, toda investigación siendo naturalmente interminable.

 

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