L’esclavage en toutes lettres (2) - La esclavitud con todas la letras (2)
Bien que l’esclavage ait été aboli en 1848, le racisme, son fondement et sa principale excuse, pris un essor inouï dans la société française. Le concept de « race » se place alors au cœur de la réflexion anthropologique.
Ce fut précisément l’époque où la France
entreprit vraiment la colonisation de l’Afrique.
Jules Verne, né â Nantes, l’une des capitales françaises de la traite négrière, s’inscrivit dans ce courant raciste. Son premier grand succès, 5 semaines en ballon, raconte la traversée de l’Afrique, de Zanzibar au Sénégal, par trois Britanniques.
L’homme subsaharien y est présenté
comme un « sauvage » plus proche de l’animal que de l’humain.
« — Nous t’avions cru assiégé par
des indigènes.
— Ce n’étaient que des singes,
heureusement ! répondit le docteur
— De loin, la différence n’est pas
grande, mon cher Samuel.
— Ni même de près, répliqua Joe. »
Cette animalité de l’homme se traduit
dans leurs habitudes et leurs religions.
« — Ces tribus éparses sont comprises sous la dénomination générale de Nyam-Nyam, et ce nom n’est autre chose qu’une onomatopée ; il reproduit le bruit de la mastication.
— Parfait, dit Joe ; Nyam! Nyam !
— Mon brave Joe, si tu étais la cause
immédiate de cette onomatopée, tu ne trouverais pas cela parfait.
— Que voulez-vous dire ?
— Que ces peuplades sont considérées
comme anthropophages.
— Cela est-il certain
— Très certain ; on avait aussi
prétendu que ces indigènes étaient pourvus d’une queue comme de simples
quadrupèdes ; mais on a bientôt reconnu que cet appendice appartenait aux peaux
de bête dont ils sont revêtus.
— Tant pis ! Une queue est fort
agréable pour chasser les moustiques.
— C’est possible, Joe ; mais il faut
reléguer cela au rang des fables, tout comme les têtes de chiens que le
voyageur Brun-Rollet attribuait à certaines peuplades.
— Des têtes de chiens ? Commode pour aboyer
et même pour être anthropophage !
— Ce qui est malheureusement avéré,
c’est la férocité de ces peuples, très avides de la chair humaine qu’ils
recherchent avec passion. »
Ce n’est pas beaucoup mieux du côté de Guy de Maupassant. Le Noir est pour lui un personnage ridicule qui attire le rire.
« Tout à coup un nègre énorme,
vêtu de noir, ventru, chamarré de breloques sur un gilet de coutil, la face
luisante comme si elle eût été cirée, passa devant eux avec un air de triomphe.
Il riait aux passants, il riait aux vendeurs de journaux, il riait au ciel
éclatant, il riait à Paris entier. Il était si grand qu’il dépassait toutes les
têtes ; et, derrière lui, tous les badauds se retournaient pour le contempler
de dos.
Mais soudain il aperçut les officiers,
et, culbutant les buveurs, il s’élança. Dès qu’il fut devant leur table, il
planta sur eux ses yeux luisants et ravis, et les coins de sa bouche lui
montèrent jusqu’aux oreilles, découvrant ses dents blanches, claires comme un
croissant de lune dans un ciel noir. Les deux hommes, stupéfaits, contemplaient
ce géant d’ébène, sans rien comprendre à sa gaieté.
Et il s’écria, d’une voix qui fit rire
toutes les tables :
— Bonjou, mon lieutenant.
Un des officiers était chef de
bataillon, l’autre colonel. Le premier dit :
— Je ne vous connais pas, monsieur ;
j’ignore ce que vous me voulez.
Le nègre reprit :
— Moi aimé beaucoup toi, lieutenant
Védié, siège Bézi, beaucoup raisin, cherché moi.
L’officier, tout à fait éperdu,
regardait fixement l’homme, cherchant au fond de ses souvenirs ; mais
brusquement il s’écria :
— Tombouctou ?
Le nègre, radieux, tapa sur sa cuisse
en poussant un rire d’une invraisemblable violence et beuglant :
— Si, si, ya, mon lieutenant, reconné
Tombouctou, ya, bonjou.
Le commandant lui tendit la main en
riant lui-même de tout son cœur. Alors Tombouctou redevint grave. Il saisit la
main de l’officier, et, si vite que l’autre ne put l’empêcher, il la baisa,
selon la coutume nègre et arabe. »
Alexandre Dumas, se trouvait, pourrait-on dire, sur le trottoir d’en face. C’était le fils du général Dumas, fils lui-même d’un colon de Saint-Domingue, M Davy de la Paillerie et d’une esclave, Marie-Cessette Dumas.
M de la Paillerie vendit comme esclaves
les quatre enfants qu’il avait eu avec Marie-Cessette et récupéra ensuite
Tomas-Alexandre, le futur général, à qui il fit donner une éducation soignée.
Il est, cependant, des gestes impossibles de pardonner, Thomas Alexandre entra
dans l’histoire avec le nom de sa mère.
Après une carrière fulgurante dans
l’Armée, Thomas-Alexandre fut nommé général, le premier d’origine africaine en
France. Il dut subir, cependant, la haine raciste de Napoléon.
À sa mort, en 1806, sa femme et ses
enfants, dont l’écrivain, âgé alors de 3 ans, étaient dans le dénuement. Celui-ci
put poursuivre des études grâce à l’abbé Grégoire, l’un des premiers défenseurs
des Noirs.
Bien que l’œuvre d’Alexandre Dumas se
nourrisse principalement de l’histoire de France, au moins deux de ses romans
touchent le sujet de l’esclavage.
Le grand écrivain fut lui-même victime
de racisme. « Grattez l’œuvre de M Dumas et vous trouverez le
sauvage » écrivait de Mirecourt. Mlle Mars, célèbre actrice s’exclamait à
son tour : « Il pue le nègre. Il est venu, ouvrez toutes les
fenêtres ! ». Pour découvrir ce racisme, il nous suffit aussi de
regarder les caricatures d’Alexandre Dumas par Cham.
Le
capitaine Pamphile, est une sorte de fable pour enfants
critiquant une société régie par le profit â tout prix dans laquelle ce
capitaine Pamphile amasse une énorme fortune grâce aux négoces les moins
propres, dont l’escroquerie financière, le trafic, d’ivoire et la traite
négrière.
Georges, roman publié en 1843, nous présente un mulâtre qui, après de brillantes études en France et de retour sur sa terre natale, l’île Maurice, face à l’injustice et à la ségrégation, se met â la tête d’une révolte contre l’esclavage.
« – Tu conserves donc toujours la
même résolution, Nazim ? dit Laïza.
– Plus que jamais, frère. Je mourrais
ici, vois-tu. J’ai pris sur moi de travailler jusqu’à présent, moi, Nazim, moi,
fils de chef, moi, ton frère ; mais je me lasse de cette vie misérable : il
faut que je retourne à Anjouan ou que je meure.
Laïza poussa un soupir.
– Il y a loin d’ici à Anjouan, dit-il.
– Qu’importe ? répondit Nazim.
– Nous sommes dans le temps des
grains.
– Le vent nous poussera vite.
– Mais si la barque chavire ?
– Nous nagerons tant que nous aurons
de forces ; puis, lorsque nous ne pourrons plus nager, nous regarderons une
dernière fois le ciel où nous attend le Grand-Esprit, et nous nous engloutirons
dans les bras l’un de l’autre.
– Hélas ! dit Laïza.
– Cela vaut mieux que d’être esclave,
dit Nazim. »
De l’autre côté de l’océan, à Haïti,
au lendemain de l’indépendance, les écrivains, bien qu’encore tributaires de la
France du point de vue stylistique, faisaient preuve d’un nationalisme qui les
menait à se pencher sur les luttes de leur pays pour la liberté et
l’indépendance.
Stella, d'Émeric Bergeaud (1859), un roman poétique qui relate de manière symbolique les principaux épisodes de la guerre d’indépendance et présente ses principaux héros.
Ceux.ci sont aussi des figures
allégoriques et se nomment Romulus et Rémus, comme les frères ennemis qui
fondèrent Rome.
Leur mère, l’Africaine, se présente
ainsi :
« Je suis née bien loin d’ici,
disait-elle à ses fils, au sein de la joie et de l’abondance.
Mon père était chef d’une tribu
puissante ; ma mère était fille de roi. […] L’époux que me choisit mon père
était un officier attaché à sa personne, beau, jeune, brave, s’il en fut. Hélas
! que n’a-t-il vécu plus longtemps ! […] Mon père avait été tué dans le combat
; mon mari était mort vaillamment à son côté. Je fus, ainsi que ma mère,
conduite prisonnière chez nos vainqueurs ; ils nous vendirent à des marchands
d’hommes, qui nous embarquèrent pour Saint-Domingue. »
Or, Romulus est le fils du héros,
tandis que son frère est le produit d’un viol, c’est le fils d’un Blanc, d’un
colon.
Avec cette allusion, Bergeaud demande
à ceux qui gouvernent de le faire sur des bases solides mais sans s’entretuer.
C’est-à-dire, mieux que Romulus et Rémus.
C’est d’ailleurs ce que sollicite le génie
de la patrie à Rémus pour qu’il cesse de s’opposer à son frère :
« Rémus, tu as déjà tout fait pour ta réputation. Tu t’es montré intrépide dans les combats, tu as vaillamment contribué à chasser l’étranger de ce pays. Nul ne saurait contester les éminentes qualités militaires qui te distinguent. Tu as justement acquis le titre de brave. Sans doute il est grand et beau, le courage qui sait défier la mort sur les champs de bataille. Les hommes le déifient. Il est pourtant un autre courage plus grand et plus beau, c’est celui de l’abnégation. Beaucoup peuvent être énergiques et résolus en présence d’un danger qui ne menace que leur vie ; bien peu ont la force de braver une infortune qui doit les faire souffrir dans leur amour-propre. »
Amédée Brun, né en 1868 et ayant étudié le droit en France, écrivait :
« Plutôt que d'écrire avec leurs
souvenirs et de demeurer éternellement dans cette domesticité littéraire dont
parle Musset, que nos jeunes gens ne regardent-ils autour d'eux et ne s’inspirent-ils
pas du milieu où ils vivent, de cette atmosphère spéciale où leurs talents se
développeront et mûriront à l'aise comme de beaux fruits au soleil
tropical. »
Se premiers vers parurent en 1892,
suivis trois ans plus tard par Pages retrouvées, un recueil de nouvelles et
d’un roman, Deux amours, dont l’histoire peut être mise en parallèle
avec Bug Jargal : deux hommes, un Noir et un Blanc, amoureux de la
même femme blanche, dans le cadre de la révolution haïtienne. Les ressemblances
s’arrêtent là !
« C’est d’elle, de Sor Rose, toute
ratinée et ployée sur sa chaise de paille, avec son bâton plus haut qu’elle et
ses sourcils blancs, aussi blancs que le pitre, d’un effet si doux et si
étrange sur l’expression ternie des yeux et l’ébène de la peau, que je tiens le
récit suivant : ‘’ Cette plaine verdoyante […] était autrefois le quartier
général des colons qui y possédaient de grandes et riches habitations. Les
blancs, mon fils, aiment les maisons sans étage…’’ »
« Oui, il y avait dans la promesse d’une levée en masse des esclaves, une issue à son amour. Rendu enfin digne d’elle, par une action héroïque et bonne. Toute sa peau noire qui le relevait à un rang de misère pouvait disparaître, fondu dans la lumière de quelque chose d’impossible et de beau comme le soleil. Elle pourrait aimer, qui sait, l’acte qu’il aurait fait, mettre ses mains dans celles du banni transformées »
Cette carrière littéraire prometteuse fut fauchée par la mort en 1896.
Tout près d’Haïti, en Martinique,
naquit, en 1913, Aimé Césaire, l’un des plus grands poètes du XXe
siècle.
Après des études à Paris où il rencontra Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas, avec qui il fonda le mouvement littéraire de la Négritude, il publia, en 1939, le Cahier s’un retour au pays natal. Il s’agit d’un long poème, en vers libres aussi bien qu’en prose, où il fait le portrait de son île malade de misère, d’inertie et de résignation. Une île aux blessures encore ouvertes :
« Et ce pays cria pendant des
siècles que nous sommes des bêtes brutes ; que les pulsations de l’humanité
s’arrêtent aux portes de la négrerie ; que nous sommes un fumier abondant
hideusement prometteur de cannes tendres et de coton soyeux et l’on nous
marquait au fer rouge et nous dormions dans nos excréments et l’on nous vendait
sur les places et l’aune de drap anglais et la viande salée d’Irlande coûtaient
moins cher que nous, et ce pays ét ait calme, tranquille, disant que l’esprit
de Dieu était dans ses actes.
Nous vomissure de négrier
nous vénerie des Calabars
Quoi ? Se boucher les oreilles
Nous, soûlés à crever de roulis, de risées, de brume humée
Pardon tourbillon partenaire
J’entends de la cale monter les
malédictions enchaînées, les hoquètements
des mourants, le bruit d’un qu’on
jette à la mer…
les abois d’une femme en gésine…des
raclements d’ongles cherchant des
gorges…des ricanements de fouet… des
farfouillis de vermine parmi les
lassitudes…
Rien ne put nous insurger jamais vers
quelque noble aventure désespérée.
Ainsi soit-il. Ainsi soit-il.
Je ne suis d’aucune nationalité prévue
par les chancelleries.
Je défie le craniomètre. Homo sum,
etc.
Et qu’ils servent et trahissent et
meurent. Ainsi soit-il.
Ainsi soit-il. C’était écrit dans la forme de leur bassin. »
Dans sa première pièce de théâtre, Et
les chiens se taisaient, Aimé
Césaire met en scène un esclave, le Rebelle, à la tête d’un groupe de coupeurs
de cannes, assassine son maître et affronte sa propre mort comme un sacrifice
propitiatoire.
« Tout s’efface, tout s’écroule
il ne m’importe plus que mes ciels
mémorés
il ne me reste plus qu’un escalier à
descendre marche par marche
il ne me reste plus qu’une petite rose
de tison volé
qu’un fumet de femmes nues
qu’un pays d’explosions fabuleuses
qu’un éclat de rire de banquise
qu’un collier de perles désespérées
qu’un calendrier désuet
que le goût, le vertige, le luxe du
sacrilège capiteux.
Rois mages
yeux protégés par trois rangs de
paupières gaufrées
sel des midis gris
distillant ronce par ronce un maigre
chemin
une piste sauvage
gisement des regrets et des attentes
fantômes pris dans les cercles fous
des rochers de sang noir
j’ai soif
oh, comme j’ai soif
en quête de paix et de lumière verdie
j’ai plongé toute la saison des perles
aux égouts
sans rien voir
brûlant »
Né à Cayenne (Guyane) en 1912, Léon-Gontran Damas, est un autre fondateur de la Négritude.
« Damas est un poète qui a commencé
par le silence : il a été muet pendant cinq ans. Sortir des mots lui est
difficile. Et quand il y a des morts, c’est encore plus difficile. Partant du
silence, il va essayer de forger des poèmes à partir de l’impossibilité de
parler. C’est pour cela qu’il choisit la poésie, la parole essentielle. Il y a
peu de mots, qu’il va falloir bien choisir, bien mettre en évidence, des mots
coupés en morceaux », nous dit de lui Daniel Maximin.
Comme chez Césaire la matrice de
l’esclavage se trouve à la base de son œuvre.
« Il est des nuits sans nom
il est des nuits sans lune
où jusqu'à l'asphyxie
moite
me prend
l'âcre odeur du sang
jaillissant
de toute trompette bouchée
Des nuits sans nom
des nuits sans lune
la peine qui m'habite
m'oppresse
la peine qui m'habite
m'étouffe
Nuits sans nom
nuits sans lune
où j'aurais voulu
pouvoir ne plus douter
tant m'obsède d'écœurement
un besoin d'évasion
Sans nom
sans lune
sans lune
sans nom
nuits sans lune
sans nom sans nom
où le dégoût s'ancre en moi
aussi profondément qu'un beau poignard malais. »
(Pigments,
1939)
« …Ceux
qui parvinrent exténués mais vivants au rivage
avant que de
n’avoir à quitter à jamais voiles au vent
les rives du
Congo
du Gabon
du Bénin
de Guinée
de Gambie
de Gorée
Ceux qui ne
s’étonnèrent de rien de voir un navire au Large
Ceux dont les
Ancêtres étampés
fleurdelisés
marqués de fer
rouge
aux lettres du
navire au Large
puis parqués
enchaînés
rivés
cadenassés
et calés
furent bel et
bien du voyage
dans air
sans eau
sans fin
Ceux dont les
Ancêtres furent jetés au cours du voyage
sans fin
sans eau
sans air
Ceux dont les
Ancêtres
eurent la
chair toute brûlée à vif
au-dessus des
seins
sur les
omoplates
sur le gras du
bras »
(Black Label, 1956)
Le troisième père de la Négritude, Léopold Sédar Senghor (1906-2001) s’insurge contre ce que l’on peut considérer une autre forme d’esclavage, celui mis en place par la France en recrutant de force des milliers de jeunes Africains, que l’on a nommé les « tirailleurs sénégalais », pour défendre son territoire durant les deux guerres mondiales.
« Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères
noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est
votre frère d’armes, votre frère de sang ?
Je ne laisserai pas la parole aux
ministres, et pas aux généraux
Je ne laisserai pas – non ! - les
louanges de mépris vous enterrer furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux
poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania
sur tous les murs de France.»
(Hosties noires, 1948)
Bibliographie
Françoise Simasotchi-Bronès,
Littératures francophones et esclavage transatlantique, https://doi.org/10.4000/diasporas.282
Dantès Louis BELLEGARDE, Écrivains
haïtiens.Notices biographiques et pages choisies, Port-au-Prince, Haïti :
Société d’Éditions et de Librairie, 1947
Alexandre Dumas, Georges, Gallimard
Jules Verne, 5 semaines en ballon,
Livre de poche, 1976
Guy de Maupassant, Contes du jour et
de la nuit, Livre de Poche, 1988
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au
pays natal, Présence Africaine
Encres métisses, voix marronnes : mémoires
d’esclaves noires dans le roman antillais francophone et le roman latino-américain
hispanophone
Rocio Munguia Aguilar, Université de Strasbourg,2019.
L’œuvre poétique de Léopold Sédar Senghor
: esthétique de la réception, procès de la création, Issiaka Ahmadou Singare, Université
de Cergy Pontoise, 2012.
Léon-Gontran
Damas, Black Label, Gallimard, 2011
Léon-Gontran Damas, Pigments,
Présence Africaine, 2003
Léopold Sedar Senghor, Hosties noires, Seuil, 1948
La esclavitud con todas las letras (2)
Por más que la esclavitud haya sido abolida en 1848, el racismo, su fundamento y su principal excusa, tomaron una fuerza inaudita en la sociedad francesa. El concepto de «raza» se ubica entonces en el centro de la reflexión antropológica.
Fue precisamente la época en que Francia emprendió
realmente la colonización de África.
Julio Verne, nacido en Nantes, una de las capitales francesas de la trata negrera, se inscribió en esta corriente racista. Su primer gran éxito, 5 semanas en globo, cuenta la travesía por África, de Zanzíbar a Senegal, de tres británicos.
El hombre subsahariano es presentado como un
“salvaje” más cercano del animal que del humano.
“Creíamos que te habían sitiado los indígenas.
— Sólo eran monos, ¡felizmente!, respondió el
doctor.
— De lejos, la diferencia no es muy grande, mi
querido Samuel.
— Ni aún de cerca, replicó Joe.”
Esta animalidad del hombre se traduce en sus
costumbres y sus religiones.
«— Estas tribus dispersas están comprendidas bajo
la denominación general de Nyam-Nyam, y este nombre sólo es una
onomatopeya ; reproduce el ruido de la masticación.
— Perfecto, dijo Joe; ¡Nyam! Nyam!
— Mi buen Joe, si fueras la causa inmediata de esta
onomatopeya, no te parecería tan perfecta.
— ¿Qué quiere decir?
— Que estos pueblos son considerados como
antropófagos.
— ¿Es esto seguro?
— Muy seguro, se pretendió también que estos
indígenas estaban provistos de cola como simples cuadrúpedos; pero pronto se
vio que este apéndice pertenecía a las pieles de animales con las que se
vestían.
— ¡No importa!
Una cola es muy agradable para espantar a los mosquitos.
— Es posible, Joe; pero hay que dejarlo del lado de
las fábulas, así como las cabezas de perro que el viajero Brun-Rollet atribuía
a ciertos pueblos.
— ¿Cabezas de perro? ¡Algo cómodo para ladrar aún
para un antropófago!
— Lo que sí ha sido probado es la ferocidad de
estos pueblos, muy ávidos de carne humana que buscan apasionadamente,»
El panorama no es mucho mejor del lado de Guy de Maupassant. El negro es para él un personaje ridículo que atrae la risa.
«De pronto un negro enorme, vestido de negro,
panzón, con un chaleco de dril adornado con dijes, la cara reluciente como si
la hubiesen encerado, pasó delante de ellos con aspecto triunfal. Les reía a los paseantes, a los vendedores de
diarios, reía al cielo resplandeciente, reía a todo París. Era tan alto que
sobrepasaba todas las cabezas; y, detrás de él, todos los curiosos se daban
vuelta para observarlo de espaldas.
Pero de pronto, descubrió a los oficiales, y, atropellando
a los bebedores, se apresuró. Cuando estuvo delante de su mesa, plantó en ellos
sus ojos brillantes y encantados, y las extremidades de su boca llegaron fasta
sus orejas, descubriendo sus dientes blancos. Claros con un aluna creciente en
un cielo negro. Los dos hombres, estupefactos, contemplaban a este gigante de
ébano, sin entender nada de su alegría.
Y gritó, con una voz que provocó la risa en todas
las mesas:
— Bundía, mi teniente.
Uno de los oficiales era jefe de batallón, el otro
coronel. El primero dijo:
— No lo conozco, señor; ignoro lo que quiere de mí.
El negro continuó:
— Yo quiero mucho vos, teniente Védié, sitio Bézi, mucha
uva, buscar yo.
El oficial, totalmente extraviado, buscaba en el
fondo de sus recuerdos; pero, bruscamente, gritó:
— ¿Tombuctú?
El negro, radiante, golpeó su pierna largando una
risa de una violencia inverosímil y aullando:
— Sí, sí, ya, mi teniente, reconocer Tombuctú, ya,
bundía.
El comandante le dio la mano riendo el mismo de todo corazón. Entonces, Tombuctú se volvió grave. Tomó la mano del oficial, y con tal rapidez que el otro no pudo impedirlo, se la besó, según la costumbre negra y árabe.»
Alejandro Dumas, se encontraba, podríamos decir, en la vereda de enfrente. Era el hijo del general Dumas, hijo por su parte de un colono de Santo Domingo, el señor Davy de la Paillerie y de una esclava, Marie-Cessette Dumas.
El sr. de la Paillerie vendió como esclavos a los
cuatro hijos que había tenido con Marie-Cessette y recuperó luego a Tomas-Alexandre,
el futuro general, a quien hizo impartir una educación cuidadosa. Hay, sin
embargo, gestos imposibles de perdonar, Thomas Alexandre entró en la historia
con el apellido de su madre.
Después de una carrera brillante en el ejército,
Thomas-Alexandre fue nombrado general, el primero de origen africano en
Francia. Debió sufrir, sin embargo, el odio racista de Napoleón.
Cuando murió, en 1806, su mujer y sus hijos, entre
los cuales el escritor que tenía entonces tres años, se encontraron en la
miseria. Este último pudo seguir sus estudios gracia al cura Grégoire, uno de
los primeros defensores de los negros.
Aunque la obra de Alejandro Dumas se nutra
principalmente de la historia de Francia, por lo menos dos de sus novelas tocan
el tema de la esclavitud.
El gran escritor fue también víctima de racismo. “Rasquen la obra del Sr. Dumas y encontrarán al salvaje”, escribía de Mirecourt. Mlle Mars, célebre actriz exclamaba a su vez: “Hiede a negro. ¡Llegó, abran todas las ventanas!” Para descubrir este racismo nos basta también mirar las caricaturas de Alejandro Dumas por Cham.
Le capitaine Pamphile (El capitán Pamphile) es una suerte de fábula para
niños que critica una sociedad manejada por el provecho a toda costa en la que
este capitán Pamphile amas auna enorme fortuna gracias a los negocios más
sucios, entre los cuales la estafa financiera, el tráfico de marfil, y la trata
negrera.
Georges, novela publicada en 1843, nos presenta a un mulato que, después de brillantes estudios en Francia y de vuelta en su tierra natal, la isla Mauricio, frente a la injusticia y la segregación, se pone a frente de una revuelta contra la esclavitud.
«– ¿Siempre conservás la misma resolución, Nazim?,
dijo Laiza.
– Más que nunca, hermano. Moriré aquí, ves, Decidí
trabajar hasta ahora, yo, Nazim, yo, hijo del jefe, yo, tu hermano, pero me
cansa esta vida miserable: debo volver a Anjuan, o muero.
Laiza suspiró-
–Anjuan es lejos de aquí, dijo.
– ¿Que importa?, respondió Nazim..
– Estamos en época de vientos fuertes.
– El viento nos empujará rápido.
– ¿Pero si la barca zozobra?
– Nadaremos mientras tengamos fuerzas; luego,
cuando ya no podamos nadar, miraremos por última vez al cielo donde nos espera
el Gran Espíritu y nos hundiremos abrazados.
– ¡Ay!, dijo Laiza.
– Es mejor que ser esclavo, dijo Nazim.»
Del otro lado del océano, en Haití, después de la
independencia, los escritores, aunque todavía tributarios de Francia desde el
punto de vista estilístico, mostraban un nacionalismo que los llevaba a inclinarse
sobre las luchas de su país por la libertad y la independencia.
Stella, de Émeric Bergeaud (1859), una novela poética que relata de manera simbólica los principales episodios de la guerra de independencia y presenta a sus héroes.
Estos son también figuras alegóricas y se llaman
Rómulo y Remo, como los hermanos enemigos que fundaron Roma.
Su madre, la Africana, se presenta así:
«Nací muy lejos de aquí, decía a sus hijos, en el
seno de la alegría y la abundancia.
Mi padre era jefe de una tribu poderosa; mi madre
era hija de rey. (…) El esposo que eligió mi padre para mí era un oficial de su
guardia, bello, joven, valiente, como pocos. ¡Ay! ¡Por qué no vivió más tiempo!
(…) Mi padre había sido muerto en combate; mi marido muerto valientemente a su
lado- Fui, igual que mi madre, hecha prisionera por nuestros vencedores; nos
vendieron a mercaderes de hombres que nos embarcaron hacia Santo Domingo.»
Rómulo, sin embargo, es el hijo del héroe mientras
que su hermano es el producto de una violación, es el hijo de un blanco, de un
colono.
Con esta alusión, Bergeaud le pide a los que
gobiernan hacerlo sobre bases sólidas, pero sin matarse entre ellos. Es decir,
mejor que Rómulo y Remo.
Es por otra parte lo que le solicita el genio de la
patria a remo para que deje de oponerse a su hermano:
«Remo, ya hiciste todo por tu reputación. Te mostraste intrépido en los combates, contribuiste valientemente a echar al extranjero del país. Nadie podría cuestionar las eminentes cualidades militares que te distinguen. Adquiriste justamente el título de valiente. El coraje que sabe desafiar a la muerte en los campos de batalla es sin dudas grande y bello. Los hombres te consideran un dios. Hay sinb embargo otro coraje más grande y más bello, es el de la abnegación. Muchos pueden ser enérgicos y resueltos en presencia de un peligro que sólo amenaza su vida; bien pocos tienen la fuerza de enfrentar un infortunio que debe hacerles sufrir en su amor propio.»
Amédée Brun, nacido en 1868 y después de estudiar derecho en Francia, escribía:
«Más que escribir con sus recuerdos y permanecer
eternamente en esa domesticidad literaria de la que habla Musset, que nuestros
jóvenes miren a su alrededor y se inspiren en el medio en que viven, en esta
atmósfera en que sus talentos se desarrollarán y madurarán cómodamente como
bellos frutos al sol tropical.»
Sus primeros versos vieron la luz en 1892, seguidos
tres años más tarde por Pages retrouvées (Páginas encontradas), un volumen de
cuentos y por una novela, Deux amours (Dos amores), cuya historia puede
compararse con Bug Jargal: dos hombres, un negro y un blanco, enamorados de la
misma mujer blanca, en el marco de la revolución haitiana. ¡Las semejanzas se
detienen aquí!
«Es ella, Sor Rose, marchita y doblada en su silla
de paja, con su bastón más alto que ella y sus cejas tan blancas como el
payaso, con un efecto tan suave y tan
extraño en la expresión opaca de sus ojos y el ébano de su piel quien me dijo
el relato siguiente: ‘’ Esta llanura verde (…) era otrora el
cuartel general de los colonos que poseían grandes y ricas habitaciones. A los
blancos, hijos míos, les gustan las casas de planta baja…’’»
«Sí, había en la promesa de un levantamiento en masa de los esclavos, una salida para su amor. Vuelto por fin digno de ella, por una acción heroica y buena. Toda su piel negra que lo ponía en un rango de miseria podía desaparecer, fundido en la luz de algo imposible y bello como el sol. Ella podría amar, quien sabe, el acto que habría hecho, poner sus manos transformadas entre las del excluido.»
Esta prometedora carrera literaria fue interrumpida por la muerte en 1896.
Muy cerca de Haití, en Martinica, nació en 1813, Aimé Césaire, uno de los mayores poetas del siglo XX.
Después de estudios en París donde conoció a Léopold
Sédar Senghor y Léon-Gontran Damas, con quienes fundó el movimiento literario
de la Negritud, publicó, en 1939, el Cuaderno de un retorno al país natal.
Se trata de un largo poema, en verso libre tanto como en prosa en que retrata a
su isla enferma de miseria, de inercia y de resignación. Una isla con heridas
aún abiertas:
«y este país gritó durante siglos que somos unos
brutos; que las pulsaciones de la humanidad se detienen
ante las puertas de la negrería; que somos un
estercolero ambulante horriblemente prometedor de cañas tiernas y de algodón
sedoso y nos marcaban con hierro
candente y dormíamos sobre nuestros excrementos y
nos
vendían en las plazas y la vara de paño inglés y la
carne
salada de Irlanda costaban menos que nosotros, y este
país vivía calmado, tranquilo, diciendo que el
espíritu
de Dios estaba en sus actos.
Nosotros vómito de negrero
Nosotros montería de los calabares
¿Qué? ¿Taparnos los oídos?
[Nosotros, perdidamente borrachos <le balanceo,
de
risotadas, de bruma aspirada!
[Perdón compañero torbellino!
Oigo subir de la cala las maldiciones encadenadas,
los hipos de los agonizantes, el ruido de uno que
es
echado al mar.… los gritos de una parturienta. . .
raspaduras de uñas que buscan gargantas.
.. risas burlonas de látigo. ..
revolturas de piojos y otros parásitos
entre Iasitudes ,
Nada pudo nunca lograr que nos rebelásemos a favor
de alguna noble aventura desesperada.
Así sea. Así sea.
Yo no soy de ninguna nacionalidad prevista por las
cancillerías.
Reto al craneómetro. Horno sum etc.
y que sirvan y traicionen y mueran.
Así sea. Así sea. Estaba escrito en la forma de sus
pelvis.»
(Traducción Agusti Bartra)
En su primera obra de teatro, Y los perros se
callaban, Aimé Césaire pone en escena a un esclavo, el Rebelde, a la cabeza
de un grupo de cortadores de caña, asesina a su amo y enfrenta su propia muerte
como un sacrificio propiciatorio.
«Todo se borra, todo se derrumba
sólo me importan mis cielos recordados
sólo me que una esc alera por bajar peldaño por
peldaño
sólo me queda una pequeña rosa de ascua robada
sólo un aroma de mujeres desnudas
sólo un país de explosiones fabulosas
sólo una carcajada de bloque de hielo
sólo un collar de perlas desesperadas
sólo un calendario antiguo
sólo el gusto, el vértigo, el lujo del sacrilegio embriagador.
Reyes magos
ojos protegidos por tres capas de párpados
acolcachados
sal de los mediodías grises
destilando zarza a zarza un magro camino
una pista salvaje
yacimiento de lamentos y de esperas
fantasmas encerrados en los círculos locos de las
rocas de sangre negra
tengo sed
oh, cuanta sed tengo
en busca de paz y de luz verde
hundí toda la estación de las perlas
en los desagües
sin ver nada
ardiente»
Nacido en Cayena (Guyana) en 1912, Léon-Gontran Damas, es otro fundador de la Negritud.
«Damas es un poeta que empezó con el silencio:
estuvo mudo durante cinco años. Sacar palabras le es difícil. Y cuando hay
palabras es aún más difícil. Partiendo del silencio, va a tratar de forjar
poemas a partir de la imposibilidad de hablar. Por ello elije la poesía, la
palabra esencial. Hay pocas palabras, hay que elegirlas bien, poner bien en
evidencia palabras cortadas en pedazos», nos dice de él Daniel Maximin.
Como con Césaire, la matriz de la esclavitud se encuentra en la base de su obra.
«Hay noches sin nombre
hay noches sin luna
en que gasta la asfixia
húmeda
me atrapa
el acre olor a sangre
surgiendo
de cualquier trompeta tapada
Noches sin nombre
noches sin luna
la pena que me habita
me oprime
la pena que me habita
me ahoga
Noches sin nombre
noches son luna
en que hubiera querido
poder ya no dudar
tanto me obsesiona de asco
una necesidad de evasión
Sin nombre
sin luna
sin luna
sin nombre
noches sin luna
son nombre sin nombre
en que el asco se ancla en mí
tan profundamente
como un bello puñal malayo.»
(Pigmentos, 1939)
«…Los que llegaron extenuados pero vivos a la
ribera
Antas de tener que abandonar con las velas al
viento
las riberas del Congo
de Gabón
de Benín
de Guinea
de Gambia
de Gorea
Los que no se asombraron de nada al ver una nave a lo largo
Aquellos
cuyos antepasados estampados
flordelisados
marcados
a fuego
con
las letras de la nave a lo largo
luego encerrados
encadenados
atados
bloqueados
y trabados
formaron exactamente parte del viaje
sin aire
sin agua
sin fin
Aquellos cuyos Antepasados fueron arrojados durante
el viaje
sin fin
sin agua
sin aire
Aquellos cuyos Antepasados
tuvieron la carne quemada viva
arriba de los senos
sobre los omóplatos
sobre la grasa de los brazos»
(Black Label, 1956)
El tercer padre de la Negritud, Léopold Sédar Senghor (1906-2001) se subleva contra lo que puede considerarse otra forma de esclavitud, aquella puesta en marcha por Francia para reclutar por la fuerza miles de jóvenes africanos, llamados «tiradores senegaleses», para defender su territorio durante las dos guerras mundiales.
«Ustedes, Tiradores
Senegaleses, mis hermanos negros de mano cálida bajo el hielo y la muerte
¿Quién podrá cantarles si no es su hermano de
armas, su hermano de sangre?
No dejaré la palabra a los ministros, ni a los generales
No dejaré - ¡no! – las alabanzas de desprecio
enterrarlos furtivamente.
No son pobres con bolsillos vacíos sin honor
Pero romperé las risas banania en todas las paredes
de Francia»
(Hosties noires, 1948)
Banania: bebida a base de chocolate y banana cuya publicidad
era un tirador senegalés muy caricaturesco.
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