QUAND LES POÈTES ÉCRIVENT DES ROMANS – CUANDO LOS POETAS ESCRIBEN NOVELAS

Emmelie Prophète, Le testament des solitudes, Mémoires d’encrier, 2022.

Omar Youssef Souleimane, Une chambre en exil, Flammarion, 2022

Quand les poètes écrivent des romans, leur poésie transparaît dans leurs textes. C’est le cas de ces deux romans, bien différents, toutefois, l’un de l’autre, que viens de lire.


« Les voyages s’achevaient toujours par un café. J’aimais le goût des aéroports.

Je traînais depuis une semaine des milliers d’images d’elles. J’avais encore pris un coup d’inachevé. Des visages liés, aimés, perdus dans des terres inconnues, partis sans mots d’amour usuels, sans avoir sauvé aucune apparence. L’amour, chez ces femmes, a toujours été une mauvaise nécessité, une triste valeur d’échange.

Je ne connaîtrai jamais que la fin de ces histoires : un cercueil que l’on glisse au fond d’un trou, dans un vacarme de fleurs et de douleurs. Des chemins de sable, des lunes pour se mirer, s’agrandir, se faire peur, tricher face à la solitude.

Les mots m’avaient rarement laissé le choix, ils s’introduisaient aux fins de nuits. Invincibles explorateurs de temps. Je suis toujours trop pressée de partir avec mes images. J’ai les manches qui dépassent dans la foule. J’aimerai toujours les voyages. Ceux que j’ai faits toute seule dans ma tête et dans le froid. Ceux que j’essaie encore de faire. Sentier de chair. Ville de folie. »

 

Ainsi se présente Le testament des solitudes d’Emmelie Prophète, dont la première édition date de 2007. Son autrice, née à Port-au-Prince en 1971, diplômée en lettres et en droit de l’université d’État d’Haïti et en communication de la Jackson Stare University des USA.  Elle est actuellement ministre de la culture d’Haïti. Elle a publié chez Mémoires d’Encrier trois recueils de poésie et cinq romans.

La narratrice de Le Testament des Solitudes est une jeune haïtienne qui, au lendemain de l’attentat du 11 septembre 2001, et au début du livre, attend d’embarquer dans l’avion qui la ramènera dans son pays natal. Elle y tisse et retisse les morceaux épars de l’histoire de trois femmes, ses deux tantes et sa mère, ayant fui leur « province bleue » et sa misère.

« Trois filles nées ici quand il fallait naître ni ici, ni femmes. Entre champs morts et rivières tristes, le seul rêve dont elles avaient hérité était celui de partir. Partir loin de ces terres silencieuses, marâtres. La route qui menait à l'école était trop longue. Elles ne voyaient pas la nécessité d'y aller tôt tous les matins, moitié endormies, le ventre vide, pour revenir trop tard, trop fatiguées pour s'atteler aux corvées de rigueur pour les filles. »

Christie et Odile ont quitté leur île et sont parties bien loi. Les deux sont mortes et leurs fantômes, faits de vieilles photos et de souvenirs tout aussi brumeux, hantes les pages du livre.

La troisième sœur, celle qui n’a pas de nom, est la mère de la narratrice. Sa fuite de la province bleue s’est arrêtée à Port-au-Prince. Les retrouvailles avec sa fille se font dans le silence. 


« Chère mère, j'ai peur de vous voir aujourd'hui. J'ai honte de vous expliquer des choses qui ne s'expliquent pas. Cela veut sans doute dire qu'il ne faut pas me regarder ni me comprendre. Chère mère aux yeux étranges et tristes, j'aurais été si belle si je vous avais ressemblé. Je ne ressemble à personne au fond. Même pas à moi-même. J'ai trop souvent changé de peau et de convictions, trop souvent changé d'épaule et d'amour.

Je suis une porteuse de nouvelles. J'ai peur. Je refuse votre héritage de corvées, de servitudes, de solitudes séculaires. Je refuse vos regards tristes, vos résignations, vos peurs.

Je revois cette ville défigurée, sans chant, sans vous. Vous n'avez peut-être même pas existé, les cahiers de l'état civil se souviennent-ils de vous ? Cette ville sans mémoire, blanchie, délavée par les pluies. »

Par bribes, par touches, Emmelie Prophète recompose l’histoire de ces femmes que l’on pourrait croire, vues de l’extérieur, sans importance. Des femmes qui sont un portrait possible de cette île tragique, Haïti.

Nous plongeons, nous les lecteurs, dans cette langue ciselée, poétique, pour ainsi suivre le parcours des trois sœurs ainsi que celui de la narratrice dans l’aéroport et de retour à Port-au-Prince.

Un sourire, un café, une lumière, aussi bien qu’un silence, un sentier, le désespoir et la passion, la fuite et le retour, dressent le portrait de trois femmes et celui d’une île de merveilles et de souffrance.

 


Omar Youssef Souleimane
est poète. Le protagoniste et narrateur d’Une chambre en exil, qui a beaucoup de lui, selon ses propres déclarations, nous parle de la poésie comme de son premier émerveillement littéraire, le poète soufi Tarafa Ibn al.Abd , tout d’abord, et puis Paul Éluard, dont la découverte se produit dans sa Syrie natale et qui le suit, particulièrement le poème Liberté, en exil.

Souleimane est poète et en voici la preuve :

« Aujourd’hui

Aujourd’hui

mon pays ne me semble plus très loin

car la terre est un monde

plus petit qu’une pomme de pin

Aujourd’hui

l’exil ne m’importe pas plus qu’un grain de sable

accroché sur une boucle d’oreille

et sa rosée ornée de cerises

Que faire de ce nuage itinérant

que l’enfant a exhumé de son oreiller blanc ?

Aujourd’hui je renais de la lumière de ton ventre

Je n’ai pas besoin d’y traquer le reflet de mon visage

car son odeur est incrustée dans un cyprès

qui a bu comme moi

la sève d’un improbable matin

(Traduction de Salah Al Hamdani et Isabelle Lagny) » 


Or, quand Souleimane devient romancier, sa langue devient plus naturaliste, je dirais même plus terre à terre.  Ce qui, d’ailleurs, n’enlève absolument rien à la valeur littéraire d’Une chambre en exil. Ainsi qu’à sa valeur poétique.

« Dès que j’ai vu cette chambre, je suis tombé amoureux de sa grande fenêtre. Peu m’importait que l’ancienne locataire m’ait appris qu’un des murs était humide, ça ne me dérangeait pas. Je suis en train d’effacer l’humidité de mes jours. D’abord faire face à la difficulté de vivre en tant que réfugié, l’état des murs viendra plus tard, beaucoup plus tard », lit-on au tout début du livre et on découvre ainsi qu’une certaine poésie a sa place dans le discours d’Omar Youssef Souleimane.

L’auteur syrien nous offre un texte, largement inspiré de sa propre expérience, qui retrace la vie d’un exilé à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus délaissés de France, où une grande partie de la population est issue de l’immigration.

« Une petite fille, une enfant, voilée, suit son père barbu, la tête baissée vers le sol. Elle tombe, le voile aussi. Le père revient vers elle, la tire par le bras, lui remet son foulard. Il regarde autour de lui pour s’assurer que personne n’a entraperçu les cheveux de la gamine. Le feu a changé de couleur. Un chauffeur klaxonne afin que le barbu libère le passage, ce dernier l’insulte, le chauffeur descend, ils se disputent. L’enfant se met à pleurer. Les deux excités commencent à se bagarrer, le chauffeur attrape la longue barbe de l’autre, la tire, son adversaire le repousse pour mieux lui donner un coup de poing au visage. Des passants les séparent rapidement.

Qu’est ce qui m’attend dans cette ville ? »

Outre son talent d’écrivain, Souleimane a le mérite de décrire la banlieue sans manichéisme : un imam salafiste qui protège les dealers ainsi que les employés de la mairie qui draguent les islamistes en vue des élections.

« — Avant je venais pour le sport, mais maintenant c’est pour Dieu. Je connais l’imam depuis des années, il est cool. Je vais aussi à la mosquée pour l’écouter lors de la prière du vendredi. Il prend soin de moi, quand j’ai un souci, c’est lui qui m’aide.

Il met un grand morceau de chocolat dans sa bouche et continue :

« Ne pense pas que je ne sois pas croyant parce que je vends du haschisch. Je sais que c’est haram, mais Allah pardonne, je serai même peut-être avant toi, l’intellectuel, au paradis. Je n’ai pas de chance dans cette vie de merde, je souhaite la voir de là-haut. »

Il désigne le ciel. Quand l’imam sort, le dealer embrasse sa main et s’en va.

— Tu as aimé la conférence ? me demande le barbu. »

Le narrateur, qui se déclare apostat, qui a quitté sa famille salafiste pour cette raison, est choqué par la présence et l’importance de ces fondamentalistes dans le paysage banlieusard.

Il s’en prend aussi la bureaucratie kafkaïenne de la France :

« — C’est pourquoi, monsieur ? me dit l’employé.

Je l’informe en mettant mon dossier sur la table. Il jette un coup d’œil, le referme.

— Les photos ne conviennent pas.

— Mais elles sont conformes.

— Elles sont anciennes, prenez des photos récentes et revenez, bonne journée.

Le taux de caféine dans mon sang s’effondre. J’ai le temps de prendre des photos aujourd’hui, mais il faut obtenir un nouveau rendez-vous, ça ne sera pas avant des jours et des jours. »

Une histoire d’amour malheureuse s’ajoute à ce récit placé sous le signe de l’humour et de l’autodérision.

Une chambre en exil, le portrait sans ambigüité d’une société.

Cuando los poetas escriben novelas, su poesía aparece en sus textos. Es el caso de dos novelas, muy diferentes, sin embargo, uno y otro, que acabo de leer. 


«Los viajes terminan siempre con un café. Me gustaba el gusto de los aeropuertos.

Desde hacía una semana iba y venía entre miles de imágenes de ellas. Lo inacabado me golpeaba nuevamente. Rostros ligados, amados, perdidos en tierras desconocidas, idos sin las palabras usuales de amor, sin haber resguardado ninguna apariencia. El amor, en esas mujeres, fue siempre una mala necesidad, un triste valor de cambio.

Sólo conoceré el final de estas historias: un féretro que deslizan al fondo de un pozo, en un estruendo de flores y de dolor. Caminos de arena, lunas para mirarse, agrandarse, darse miedo, hacer trampa frente a la soledad.

Las palabras rara vez me habían dejado otra elección, se introducían al final de las noches, invisibles exploradoras del tiempo. Estoy siempre demasiado apurada de partir con mis imágenes. Mis mangas sobresalen en la multitud. Siempre me gustarán los viajes. Los que hice sola en mi mente y en el frío. Los que trato aún de hacer. Sendero de carne. Ciudad de locura

Así se presenta El testamento de las soledades de Emmelie Prophète, cuya primera edición es de 2007. Su autora, nacida en Puerto Príncipe en 1971, graduada en letras y en derecho en la Universidad de Estado de Haití y en comunicación de la Jackson Stare University de EEUU.  Es actualmente ministra de la cultura de Haití. Publicó en Mémoires d’Encrier tres libros de poesía y cinco novelas.

La narradora de El Testamento de las Soledades es una joven haitiana que, días después del atentado del 11 de septiembre de 2001, y a comienzos del libro, espera embarcar en un avión que la llevará de vuelta a su país natal. Teje y vuelve a tejer los retazos de la historia de tres mujeres, sus dos tías y su madre, que huyeron de su «provincia azul» y su miseria.

«Tres chicas nacidas aquí cuando no había que nacer aquí ni mujeres. Entre campos muertos y ríos tristes, el único sueño que habían heredado era el de partir. Partir lejos de estas tierras silenciosas, madrastras. La ruta que llevaba a la escuela era demasiado larga. No veían la necesidad de ir temprano cada mañana, medio dormidas, hambrientas, y volver demasiado tarde, demasiado cansadas para encarar las tareas asignadas a las chicas

Christie y Odile dejaron su isla y se fueron muy lejos. Ambas murieron y sus fantasmas, hechos de viejas fotos y de recuerdos igual de brumosos, pueblan las páginas del libro.

La tercera hermana, la que no tiene nombre, es la madre de la narradora. Su huida de la provincia azul se detuvo en Puerto Príncipe. Los reencuentros con su hija se producen en el silencio. 


Querida madre, tengo miedo de verla hoy. Tengo vergüenza de explicarle cosas que no se explican. Sin dudas, esto quiere decir que no hay que mirarme ni entenderme. Querida madre de ojos extraños y tristes, habría sido tan bella si me hubiese parecido a usted. No me parezco a nadie en el fondo. Ni siquiera a mí misma. Cambié demasiado a menudo de piel y de convicciones, demasiado a menudo cambié de hombro y de amor.  

Soy una portadora de noticias. Tengo miedo. Rechazo su herencia de faenas, de servidumbres, de soledades seculares. Rechazo sus miradas tristes, sus resignaciones, sus miedos.

Vuelvo a ver esta ciudad desfigurada, sin canto, sin ustedes. ¿Quizás ni siquiera hayan existido, los cuadernos del registro civil se acuerdan acaso de ustedes? Esta ciudad sin memoria, blanqueada, lavada por las lluvias.”

Con fragmentos, con toques, Emmelie Prophète recompone la historia de estas mujeres que podríamos creer, viéndolas desde afuera, sin importancia. Mujeres que son un retrato posible de esta isla trágica, Haití. 

Nos sumergimos, lectores, en esta lengua cincelada, poética, siguiendo así el recorrido de tres hermanas tanto como el de la narradora en el aeropuerto y de vuelta en Puerto Príncipe.

Una sonrisa, un café, una luz, tanto como un silencio, un sendero, la desesperación y la pasión, la huida y el retorno, trazan el retrato de tres mujeres y el de una isla de maravillas y de sufrimiento.


Omar Youssef Souleimane es poeta. El protagonista y narrador de Una habitación en exilio, que se le parece mucho, según sus propias declaraciones, nos habla de la poesía como de su primera fascinación literaria; el poeta sufí Tarafa Ibn al.Abd , primero, y luego Paul Éluard, cuyo descubrimiento se produjo en su Siria natal y que lo acompaña, particularmente el poema Libertad, en exilio.

Souleimane es poeta y acá está la prueba :

«Hoy

Hoy

mi país ya no me parece muy lejano

ya que la tierra es un mundo

más pequeño que una piña

Hoy

el exilio no me importa más que un grano de arena  

colgado de un aro

y su rocío adornado con cerezas

 

¿Qué hacer con esta nube itinerante

que el niño exhumó de su almohada blanca?

 

Hoy renazco de la luz de tu vientre

No necesito acechar el reflejo de ni rostro

ya que su olor está incrustado en un ciprés

que bebió como yo  

la savia de una mañana improbable 

(Traducción de Salah Al Hamdani e Isabelle Lagny)»

Cuando Souleimane, empero, se vuelve novelista, su lengua se vuelve más naturalista, aún diría con los pies en la tierra. Lo que, por otra parte, no quita absolutamente nada al valor literario de Una habitación en exilio.

«Cuando vi esta habitación, me enamoré de su gran ventana. Poco importaba que la anterior inquilina me hubiese dicho que una de las paredes era húmeda, lo que no me molestaba.  Estoy borrando la humedad de mis días. Primero hacer frente a la dificultad de vivir como un refugiado, el estado de las paredes llegará más tarde, mucho más tarde», leemos en el comienzo del libro y descubrimos así que una cierta poesía tiene su lugar en el discurso de Omar Youssef Souleimane.


El autor sirio nos ofrece un texto, ampliamente inspirado en su propia experiencia, que traza la vida de un exiliado en Bobigny, en Seine-Saint-Denis, uno de los departamentos más dejados de lado de Francia, en él que gran parte de la población proviene de la inmigración.

«Una niña, pequeña, velada, sigue a su padre barbudo, con la cabeza inclinada hacia el piso. Cae, el velo también. El padre vuelve hacia ella, le tira del brazo, le vuelve a poner el velo. Mira a su alrededor para asegurarse de que nadie entrevió el cabello de la niña. El semáforo cambió de color. Un chofer toca la bocina para que el barbudo libere la calle, este último lo insulta, el chofer baja, se pelean. La niña se pone a llorar. Los dos excitados comienzan a golpearse, el chofer agarra la larga barba del otro, tira, su adversario lo empuja para darle mejor un puñetazo en el rostro. Unos caminantes los separan rápidamente.

¿Qué me espera en esta ciudad?»

Además de su talento de escritor, Souleimane tiene el mérito de describir el suburbio sin maniqueísmo: un imam salafista que protege a los dealers, así como a los empleados de la municipalidad que coquetean con los islamistas en vista de las elecciones.

«— Antes venía por el deporte, pero ahora es por Dios. Conozco al imam desde hace años. Es cool. También voy a la mezquita para escucharlo en la oración del viernes. Se ocupa de mí cuando tengo un problema, el me ayuda.  

Pone un gran pedazo de chocolate en su boca y continúa:

«No pienses que no soy creyente porque vendo hachich. Ya sé que es haram, pero Alla perdona, estaré aún quizás antes que vos, el intelectual, en el paraíso. No tengo suerte en esta vida de mierda, deseo verla ahí arriba.»

Muestra el cielo. Cuando sale el imam, el dealer le besa la mano y se va.

- ¿Te gustó la conferencia? Me pregunta el barbudo.»

El narrador, quien se declara apóstata, que abandonó a su familia salafista por esta razón, se asombra de la presencia y la importancia de estos fundamentalistas en el paisaje suburbano.

Apunta también a la burocracia kafkiana de Francia:

«—¿Por qué asunto es, señor? Me dice el empleado.

Le informo poniendo mi legajo sobre la mesa. Le echa un vistazo, lo cierra.

— Las fotos no convienen.

— Pero están conformes.

— Son antiguas, tome fotos recientes y vuelva, buenos días.

La taza de cafeína en mi sangre se derrumba. Hoy tengo tiempo para tomarme fotos, pero hay que obtener un nuevo turno, y eso no será antes de días y días

Una historia de amor desgraciada se agrega a este relato ubicado bajo el signo del humor y de la auto ironía.

Una habitación en exilio, el retrato sin ambigüedad de una sociedad.

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