UNE PETITE HISTOIRE DE LA CHANSON EN FRANÇAIS (5)
DU PREMIER AU SECOND EMPIRE
Ah ! je l’attends, je l’attends, je l’attends !
L’attendrai-je encore longtemps – Quand viendra-t-elle ? – Eugène Pottier
Sous Napoléon 1er, la chanson fut muselée par la censure. Si les
chansons à la gloire de l’Empereur sont nombreuses, celles qui contestent son
régime sont presque inexistantes.
Il faudra attendre la Campagne de Russie et son échec pour qu’apparaissent quelques chansons contestataires. La Campagne de Russie malmenait Bonaparte sur l’air de “Il était un petit homme”. Le départ du conscrit, appelée aussi Le conscrit du Languedo, exprime la résistance à la conscription des soldats de plus en plus jeunes pour faire face à des guerres de plus en plus fréquentes. L’insoumission s’étendait et les réfractaires devenaient nombreux, surtout dans les campagnes éloignées de Paris.
https://www.youtube.com/watch?v=SdzZ2kTZQs0
« Je suis t’-un pauvre conscrit,
De l’an mille huit cent dix,
Faut quitter le Languedo
Le Languedo, le Languedo.
...
Adieu donc, chers parents
N’oubliez pas votre enfant,
Crivez li de temps en temps,
De temps en temps, de temps en temps,
Crivez li de temps en temps,
Pour lui envoyer de l’argent. »
Jean de Béranger (1780-1857) fut considéré comme l’un des plus grands poètes de son temps, non seulement par les gens du peuple, mais aussi par les gens de lettres, chateaubriand, Lamartine, Hugo et même Flaubert l’admirèrent.
Quand il mourut en 1857, le
gouvernement de Napoléon III décida de lui accorder des funérailles nationales.
Il n’eut, toutefois, pas toujours les faveurs du pouvoir et ses chansons lui
valurent plusieurs séjours en prison.
Pendant la Restauration, il
critique ses excès. Il est républicain et libéral.
En 1821, il publie son deuxième
recueil de chansons. Seize d’entre elles sont interdites et Béranger passe en
cour d’assises. Une foule envahit le Palais de justice.
En 1828, son quatrième recueil
est aussi saisi. On y trouve Les souvenirs du peuple (Parlez-nous de
lui, grand-mère), une vision idéalisée de Napoléon. D’autres de ses chansons L’ange
gardien, Le sacre de Charles le simple et La Gérontocratie constituent
des délits contre la religion et le roi. On le traduit en justice, la foule est
au rendez-vous et il est condamné à neuf mois de prison et 10 000 F d’amende.
En prison, il reçoit la visite de toutes les personnalités politiques et
littéraires parisiennes. Pendant cette captivité, il composa Le 14 juillet
où il chante le souvenir interdit de la prise de la Bastille.
https://www.youtube.com/watch?v=Q9WNDjsuaeQ
Marc-Antoine Désaugiers (1772-1827) a une jeunesse qui ressemble à un roman
d’aventures. Royaliste, il dut quitter la France à la Révolution pour se
réfugier chez sa sœur, à Saint-Domingue, où il arriva en pleine insurrection.
Prisonnier, il réussit à
s’évader et s’embarqua sur un navire qui faisait route vers les États-Unis. Il
tomba malade et les marins le débarquèrent sur la côte. Il finit par arriver à
Philadelphie où il gagna sa vie en donnant des leçons de clavecin.
Il regagna la France en 1797,
où il fit représenter de nombreuses comédies, Monsieur et Madame Denis, La
veille de la Saint-Jean...
En 1806 on le nomme président
du Caveau moderne et en 1815, Louis XVIII lui confie la direction du
Théâtre du Vaudeville.
Désaugiers reste le chansonnier
de Paris. Il a décrit en chansons les différents quartiers de la capitale : les
Halles, le Palais-Royal, Tableau de Paris à cinq heures du matin,
Tableau de Paris à cinq heures du soir, Paris en miniature...
https://www.youtube.com/watch?v=Uji-QvtVHzA
« L’ombre s’évapore,
Et déjà l’aurore,
De ses rayons dore
Les toits d’alentour.
Les lampes palissent,
Les maisons blanchissent,
Les marchés s’emplissent ;
On a vu le jour.
De la Villette,
Dans sa charrette,
Suzon brouette
Ses fleurs sur le quai,
Et de Vincennes
Gros-Pierre amène
Ses fruits que traîne
Un âne efflanqué.
Déjà l’épicière,
Déjà la fruitière,
Déjà l’écaillère
Saute au bas du lit.
L’ouvrier travaille,
L’écrivain rimaille,
Le fainéant baille
Et le savant lit.
J’entends Javotte,
Portant sa hotte,
Crier : “Carottes,
Panais, choux-fleurs !”
Perçant et grêle,
Son cri se mêle
À la voix frêle
Du noir ramoneur.
L’huissier carillonne,
Attend, jure et sonne,
Résonne, et la bonne
Qui l’entend trop bien,
Maudissant le traître,
Du lit de son maître
Prompte à disparaître,
Regagne le sien.
Gentille, accorte,
Devant sa porte,
Perrette apporte
Son lait encore chaud ;
Et la portière, sous la gouttière,
Pend la volière
De Dame Margot.
Le joueur avide,
La mine livide
Et la bourse vide,
Rentre en fulminant ;
Et, sur son passage,
L’ivrogne plus sage,
Rêvant son breuvage,
Ronfle en fredonnant.
Tout, chez Hortense,
Est en cadence ;
On chante, on danse,
Joue et cætera...
Et, sur la pierre
Un pauvre hère,
La nuit entière,
Souffrit et pleura.
Le malade sonne,
Afin qu’on lui donne
La drogue qu’ordonne
Son vieux médecin,
Tandis que sa belle,
Que l’amour appelle
Au plaisir fidèle,
Feint d’aller au bain.
Quand vers Cythère,
Le solitaire,
Avec mystère
Dirige ses pas,
La diligence
Part pour Mayence,
Bordeaux, Florence,
Ou les Pays-Bas.
“Adieu donc, mon père !
Adieu donc, mon frère !
Adieu donc, ma mère !
Adieu, mes petits !”
Les chevaux hennissent,
Les fouets retentissent,
Les vitres frémissent :
Les voilà partis !
Dans chaque rue
Plus parcourue,
La foule accrue
Grossit tout-à-coup :
Grands, valetaille,
Vieillards, marmaille,
Bourgeois, canaille
Abondent partout.
Ah ! quelle cohue !
Ma tête est perdue,
Moulue et fendue :
Où donc me cacher ?
Jamais mon oreille
N’eut frayeur pareille !
Tout Paris s’éveille...
Allons-nous coucher ! »
La révolution de Juillet, en 1830, provoque le départ des Bourbons, et
l’arrivée des Orléans, à Charles X, roi de France, succède Louis-Philippe, roi
des Français
À la chanson littéraire des
caveaux s’oppose une chanson sociale œuvre des chansonniers qui ont créé en
1831 une autre société lyrique, la Lice chansonnière, où ils se
réunissent chaque mois.
Ils participent aussi à des
goguettes, sociétés chantantes populaires, qui siègent dans des cafés ou des
salles de Paris et sa banlieue.
Les chansonniers qui s’y
produisent ne sont pas des professionnels mais des travailleurs qui aiment
mettre en chansons leurs inspirations poétiques et politiques.
Dans les années 1840, Pierre
Dupont, un chansonnier né à Lyon, arrive à Paris et chante dans les goguettes
ses premières œuvres, Les bœufs, Le braconnier, Les louis d’or.
Il fréquente ensuite les
milieux républicains, participe aux banquets démocratiques. Ses chansons
deviennent alors plus engagées, Le chant des ouvriers, Le chant du pain.
https://www.youtube.com/watch?v=CBaKWE9Yy24
« Quand dans l’air et sur la rivière
Des moulins se tait le tic-tac ;
Lorsque l’âne de la meunière
Broute et ne porte plus le sac :
La famine comme une louve,
Entre en plein jour dans la maison ;
Dans les airs un orage couve,
Un grand cri monte à l’horizon :
On n’arrête pas le murmure
Du peuple, quand il dit : J’ai faim !
Car c’est le cri de la nature :
Il faut du pain ! Il faut du pain !
La faim arrive du village,
Dans la ville, par les faubourgs ;
Allez donc barrer le passage
Avec le bruit de vos tambours.
Malgré la poudre et la mitraille,
Elle traverse à vol d’oiseau,
Et sur la plus haute muraille
Elle plante son noir drapeau.
On n’arrête pas le murmure
Du peuple, quand il dit : J’ai faim !
Car c’est le cri de la nature :
Il faut du pain ! Il faut du pain !
C’est que le pain est nécessaire
Autant que l’eau, l’air et le feu :
Sans le pain on ne peut rien faire ;
Le pain est la dette de Dieu.
Mais Dieu nous a payé sa dette ;
A-t-il refusé le terrain ?
Le soleil luit sur notre tête
Et peut toujours mûrir le grain.
On n’arrête pas le murmure
Du peuple, quand il dit : J’ai faim !
Car c’est le cri de la nature :
Il faut du pain ! Il faut du pain !
Que nous font les querelles vaines
Des cabinets européens ?
Faudrait-il encore pour ces haines
Armer nos bras cyclopéens ?
Du peuple océan qui se rue
Craignez le flux ou le reflux ;
Donnez la terre à la charrue,
Et le pain ne manquera plus.
On n’arrête pas le murmure
Du peuple, quand il dit : J’ai faim !
Car c’est le cri de la nature :
Il faut du pain ! Il faut du pain ! »
La révolution de 1848 provoque une éclosion de chansons qui durera ce que durera la République.
Un poète ouvrier, Gustave
Leroy, (1818-1860) s’inspirera d’un fait divers pour composer Le bal et
la guillotine : le président donne un bal à l’Elysée pendant que l’on
prépare l’exécution de deux insurgés de juin.
https://www.youtube.com/watch?v=12WmDTdUOyI
Après le coup d’État du 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte devient Napoléon III. Le Second Empire (1852-1870) est une époque de croissance industrielle, d’expansion coloniale et de grande misère du prolétariat urbain et rural.
La censure préalable, la
surveillance de la presse, des salles de spectacle et des goguettes rendent
difficile l’expression d’idées opposées à l’Empire. Les chansonniers jugés
subversifs finissent en prison. On interdit même la Marseillaise et toute autre
chanson à caractère social ou républicain.
Les goguettes, qui étaient une
centaine en 1860, commencent à disparaître l’une après l’autre.
Même si l’économie nationale est en pleine expansion, les ouvriers
vivent dans la misère la plus noire.
En 1865, Alexis Bouvier
et Joseph Darcier créent une des chansons les plus célèbres de l’époque,
La canaille.
https://www.youtube.com/watch?v=sxw5SYESCB0
« Dans la vieille cité française
Existe une race de fer,
Dont l’âme comme une fournaise
A de son feu bronzé la chair.
Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais, ils n’ont qu’un taudis.
C’est la
canaille !
Eh bien
! j’en suis !
Ce n’est pas le pilier du bagne ;
C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau gagne,
En suant, son morceau de pain.
C’est le père, enfin, qui travaille
Les jours et quelquefois les nuits.
C’est la
canaille ! etc.
C’est l’artiste, c’est le bohème
Qui, sans souper, rime rêveur
Un sonnet à celle qu’il aime,
Trompant l’estomac par le cœur.
C’est à crédit qu’il fait ripaille,
Qu’il loge et qu’il a des habits.
C’est la
canaille ! etc.
C’est l’homme à la face terreuse,
Au corps maigre, à l’œil de hibou,
Au bras de fer à main nerveuse
Qui sortant d’on ne sait pas où,
Toujours avec esprit vous raille,
Se riant de votre mépris.
C’est la
canaille ! etc.
C’est l’enfant que la destinée
Force à rejeter ses haillons,
Quand sonne sa vingtième année,
Pour entrer dans nos bataillons.
Chair à canon de la bataille,
Toujours il succombe sans cris…
C’est la
canaille ! etc.
Ils fredonnaient la Marseillaise,
Nos pères, les vieux vagabonds,
Attaquant en quatre-vingt-treize
Les bastilles dont les canons
Défendaient la vieille muraille !
Que de trembleurs ont dit depuis :
« C’est
la canaille ! » etc.
Les uns travaillent par la plume,
Le front dégarni de cheveux.
Les autres martèlent l’enclume,
Et se soûlent pour être heureux ;
Car la misère, en sa tenaille,
Fait saigner leurs flancs amaigris…
C’est la
canaille ! etc.
Enfin, c’est une armée immense,
Vêtue en haillons, en sabots.
Mais qu’aujourd’hui la vieille France
Les appelle sous ses drapeaux,
On les verra dans la mitraille,
Ils feront dire aux ennemis :
C’est la
canaille !
Eh bien
! j’en suis ! »
“L’empire c’est la paix”,
avait promis Napoléon III, or l’empire ne fut qu’une succession de guerres. De
1854 à 1856, la guerre de Crimée. Certains chansonniers, comme Pierre Dupont,
exalteront la vaillance de l’armée française.
En 1857, l’armée soumet la
Kabylie, en Algérie ; en 1859, elle occupe Saigon, puis la Cochinchine. La même
année, c’est la guerre contre l’Autriche, en Italie. De 1861 à 1867 ce sera la
folle aventure au Mexique.
Malgré la censure, certaines
chansons contre la guerre voient le jour : L’empire c’est la paix, d’Alfred
Durin, La Palisse Ratapoil, d’Eugène Pottier et Le soldat
de Marsala de Gustave Nadaud.
https://www.youtube.com/watch?v=nkeBSz238RE
« Nous étions au nombre de mille
Venus d’Italie et d’ailleurs
Garibaldi dans la Sicile
Nous conduisions en tirailleurs.
J’étais un jour seul dans la plaine,
Quand je trouve en face de moi
Un soldat de vingt ans à peine
Qui portait les couleurs du roi.
Je vois son fusil se rabattre,
C’était son droit, j’arme le mien.
Il fait quatre pas, j’en fait quatre.
Il vise mal, je vise bien.
Ah ! que maudite soit la guerre
Qui fait faire de ces coups-là!
Qu’on verse dans mon verre
Le vin de Marsala !
Le soldat de Marsala »
Les cafés-concerts, qui, sous le nom de café chantants, existaient déjà
au XVIIIe siècle, réapparaissent sous le Second Empire quand les goguettes sont
obligées de fermer. Dans ces établissements où boire et fumer étaient permis,
les places coûtaient un prix modique. Le répertoire des artistes qui s’y
produisaient n’était pas compliqué, chansonnettes à sous-entendus, scies,
chansons sentimentales.
Thérésa (1837-1913), de son vrai nom Emma Valendin, était la fille d’un musicien de guinguette et connaissait de ce fait toutes les rengaines de l’époque. Elle n’obtient, cependant, aucun succès comme chanteuse de romances.
En 1852 elle se reconvertit en
chanteuse comique et devient Thérésa. Le succès est prodigieux. Elle chante à
l’Alcazar et en moins d’un mois tout Paris accourt pour voir et entendre ce
phénomène drolatique. Son répertoire est à la limite de ce qui est permis sous
Napoléon III.
À la limite aussi de ce que l’on appellera plus tard, la chanson
idiote.
Pendant la guerre de 1870, Thérésa déploie sa fougue, quête pour les
blessés. Après la défaite, et faute d’engagements, elle se rend à Grenoble et à
Marseille.
Vers 1877, elle se tourne vers
des chansons plus réalistes. C’est alors qu’elle apparaît souvent comme une
menace à l’ordre social.
Elle crée en 1884 une
complainte qu’allaient reprendre Yvette Guilbert et Polaire, La
glu, de Jean Richepin.
https://www.youtube.com/watch?v=qTdVZz_YlpI
LA COMMUNE
Le 9 juillet 1870, l’empire déclare la guerre à la Prusse. Les défaites
françaises se succèdent : Wissembourg, Froeschwiller et Forbach. L’Alsace et la
Lorraine sont évacuées. Le 2 septembre, c’est le désastre de Sedan.
Le 4 septembre, le peuple de
Paris envahit le Palais-Bourbon, oblige le Corps législatif à déchoir Napoléon
III. Ce 4 septembre, la Marseillaise, que l’empire défaillant avait fini par
tolérer, reprend tous ses droits.
Le 31 octobre, les gardes
nationaux des quartiers populaires viennent à l’Hôtel de Ville réclamer la
déchéance du général Trochu, censé défendre Paris, et la proclamation de la
Commune.
Le 22 janvier, une nouvelle
manifestation populaire est réprimée. Six jours après, l’armistice est signé.
Adolphe Thiers devient chef du pouvoir exécutif.
Le 10 mars, Paris cesse d’être
la capitale de la France au profit de Versailles où s’installe l’Assemblée.
Les Parisiens qui, sous le
siège, avaient acheté des canons par souscription, les transportent dans les
quartiers populaires, Montmartre, Belleville, la place des Vosges. Le 18 mars,
Thiers ordonne à la troupe d’enlever les canons, mais celle-ci fraternise avec
les habitants ce qui déclenche l’insurrection populaire. Le gouvernement se
replie immédiatement à Versailles.
Le Comité central de la Garde
nationale est nommé gouvernement de la République.
Le 28 mars, la Commune est
proclamée solennellement place de l’Hôtel de Ville.
Les cafés-concerts avaient
rouvert leurs portes dès le 19 mars sans grands changements dans leur programme.
Une Fédération des auteurs et
artistes des théâtres et concerts est cependant créée qui propose à la Commune
d’organiser des représentations au bénéfice des veuves et des orphelins de la
Garde nationale.
Dans ce sens, trois concerts
sont donnés le 11 mai 1871 aux Tuileries avec la participation d’acteurs de la
Comédie Française, de l’Odéon, de chanteurs de l’Opéra, de poètes et d’artistes
de café-concert.
Parmi ceux-ci, Rosa Bordas
(1841-1901) qui est arrivé à Paris en 1869 après avoir sillonné le Midi de
café-concert en café-concert. À Paris, elle devient “la Bordas”, vêtue d’un
péplum de laine blanche, les bras nus, la chevelure en désordre. À la
déclaration de la guerre de 1870, elle chante la Marseillaise dont l’Empire
vient de lever l’interdit... Pendant la Commune elle lance le fameux
La canaille
eh bien! j’en suis!
Les trois principaux poètes
révolutionnaires de la Commune n’ont pour ainsi dire rien écrit pendant les
évènements mêmes, Jean-Baptiste Clément et Eugène Pottier avaient
été élus membres de la Commune et Louise Michel avait bien trop à faire
à Montmartre.
Le dimanche 21 mai, pendant
qu’un nouveau concert public se déroule aux Tuileries, les troupes de
Versailles entrent dans Paris. C’est le début de ce qu’on appelle la Semaine
sanglante.
Les troupes enlèvent barricade
après barricade massacrant les Communards. On compte 30 000 morts, tués au
combat ou fusillés.
Le 28, les dernières barricades
de Belleville sont prises mais la chasse aux Communards se poursuit pendant des
mois.
Clément et Pottier, qui doivent se cacher et puis s’enfuir pour avoir la vie sauve, nous en ont laissé deux chansons-témoignage.
« Sauf des mouchards et des gendarmes
On ne voit plus par les chemins
Que des vieillards tristes aux larmes,
Des veuves et des orphelins.
Paris suinte la misère,
Les heureux même sont tremblants
La mode est au conseil de guerre
Et les pavés sont tout sanglants. »
La semaine sanglante
Jean Baptiste Clément
https://www.youtube.com/watch?v=3leg9LNV-fQ
Jean-Baptiste Clément (1836-1903) publie ses premières chansons, mises
en musique par Darcier, en 1859. Ce sont des œuvres destinées au grand public
des cafés-concerts. Thérésa en interprète plusieurs.
En 1867, Clément part pour Bruxelles à la recherche d’une meilleure situation économique. Il y rencontre le chanteur et musicien Antoine Renard qui lui vient en aide. Le poète lui fait cadeau de deux romances dont Le temps des cerises que Renard met en musique.
Clément n’y chante donc pas la
“Semaine sanglante” mais tout simplement le printemps et les peines d’amour.
La chanson prendra un bien
autre sens au retour d’exil des Communards, surtout grâce à la dédicace “À
la vaillante citoyenne Louise, l’ambulancière de la rue Fontaine-au-Roi, le
dimanche 28 mai 1871” que lui imprime Clément en 1885.
https://www.youtube.com/watch?v=Wzmsy5OTDbI
« Quand nous chanterons le temps des cerises
Et gai rossignol et merle moqueur
Seront tous en fête
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux du soleil au cœur
Quand nous chanterons le temps des cerises
Sifflera bien mieux le merle moqueur !
Mais il est bien court le temps des cerises
Où l’on s’en va deux cueillir en rêvant
Des pendants d’oreilles
Cerises d’amour, aux robes pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang...
Mais il est bien court le temps des cerises
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant !
Quand vous en serez au temps des cerises
Si vous avez peur des chagrins d’amour
Evitez les belles !
Moi qui ne crains pas les peines cruelles
Je ne vivrai point sans souffrir un jour...
Quand vous en serez au temps des cerises
Vous aurez aussi des peines d’amour !
J’aimerai toujours le temps des cerises,
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte !
Et dame Fortune en m’étant offerte
Ne pourra jamais fermer ma douleur...
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur ! »
L’engagement politique de
Clément date de 1868, quand il se lance dans le journalisme d’opposition, ce
qui lui vaut trois ans de prison. Il en sort à la chute de l’Empire et prend
une part active à la Commune. Obligé de s’expatrier, il fait paraître depuis
l’Angleterre La semaine sanglante, L’invasion, Les volontaires...
Eugène Pottier (1816-1887) n’a fréquenté l’école que jusqu’à 12 ans.
Il publie, cependant, en 1831 son premier recueil de poèmes, La jeune Muse,
dédié à Béranger.
Il chante ensuite dans les
goguettes et en 1848 il est sur les barricades.
Le 16 avril 1871, il est élu
membre de la Commune de Paris et maire du IIe arrondissement. Après l’échec, il
doit fuir en Angleterre, pour finalement s’exiler aux États-Unis où il restera
jusqu’en 1880.
On pourrait dire que l’œuvre la
plus connue de Pottier, L’Internationale a fini par faire oublier son
auteur.
Pottier en écrivit une ébauche
en 1871, pendant qu’il voyait, traqué dans Paris après la “Semaine sanglante”,
la ville livrée aux forces de la répression.
L’Internationale ne fut publiée qu’en 1887
dans le recueil Chants révolutionnaires.
Pierre Degeyter,
animateur de la chorale socialiste de Lille, la mit en musique un an après.
En 1899, elle devient l’hymne
du mouvement ouvrier français et en 1910, interprétée par 500 musiciens et
choristes au Congrès socialiste international de Copenhague, l’Internationale
s’imposa comme le chant par excellence du mouvement socialiste mondial.
Elle fut traduite en toutes les
langues, dont le russe en 1902 et devint, en1917, l’hymne de la Révolution
d’Octobre.
https://www.youtube.com/watch?v=Ykln5iQqw1E
« Debout, les damnés de la terre
Debout, les forçats de la faim
La raison tonne en son cratère,
C'est l'éruption de la faim.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout, debout
Le monde va changer de base,
Nous ne sommes rien, soyons tout.
C'est la lutte finale ;
Groupons-nous et demain
L'Internationale
Sera le genre humain.
Il n'est pas de sauveurs suprêmes
Ni Dieu, ni César, ni Tribun,
Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes
Décrétons le salut commun.
Pour que le voleur rende gorge,
Pour tirer l'esprit du cachot,
Soufflons nous-même notre force,
Battons du fer tant qu'il est chaud.
L'Etat comprime et la Loi triche,
L'impôt saigne le malheureux ;
Nul devoir ne s'impose au riche ;
Le droit du pauvre est un mot creux
C'est assez languir en tutelle,
L'Egalité veut d'autres lois ;
" Pas de droits sans devoirs, dit-elle
Egaux pas de devoirs sans droits ".
Hideux dans leur apothéose,
Les rois de la mine et du rail
Ont-ils jamais fait autre chose
Que dévaliser le travail ?
Dans les coffres-forts de la banque
Ce qu'il a crée s'est fondu,
En décrétant qu'on le lui rende,
Le peuple ne veut que son dû.
Les rois nous saoulaient de fumée,
Paix entre nous, guerre aux Tyrans
Appliquons la grève aux armées,
Crosse en l'air et rompons les rangs !
S'ils s'obstinent ces cannibales
A faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.
Ouvriers, paysans, nous sommes
Le grand parti des travailleurs,
La terre n'appartient qu'aux hommes,
L'oisif ira loger ailleurs.
Combien de nos chairs se repaissent !
Mais si les corbeaux, les vautours,
Un de ces matins disparaissent,
Le soleil brillera toujours. »
Commentaires
Enregistrer un commentaire