UNE PETITE HISTOIRE DE LA CHANSON EN FRANÇAIS (8)

 

LA CHANSON COLONIALE

Moi tout faire pour te plaire ... toujours/ La cuisine, la vaisselle ... l’amour

(Bertal-Maubon-Chamfleury-Simons, 1934)


 

La Belle Époque voit l’apogée de l’expansionnisme colonial européen. La chanson, sous couvert d’exotisme et de dépaysement, va tomber dans l’apologie de l’impérialisme colonial.

  Les refrains de caf’conc’ feront prendre conscience aux Français des ressources de leur empire et du haut de leur soi-disant supériorité occidentale, ils s’amuseront à écouter des chansons qui parlent de noirs ou d’annamites, d’exotisme mais aussi d’érotisme.

  L’exotisme colonial dans la chanson naît vraiment en 1900 avec À la cabane bambou, suivront La Petite tonkinoise, À la Martinique, Sous le soleil marocain.

Comiques, ridiculisant les “indigènes”, parfois agressives, ces chansons séduisent pourtant le grand public

https://www.youtube.com/watch?v=Yochox_YOVo

https://www.youtube.com/watch?v=mMEGSbqSZ_M

 

« Moi bon nègre, tout noir, tout noir

De la tête aux pieds, si vous voulez voir,

Venu à Paris, pensant rigoler;

Mais moi bien trompé, toujours m’ennuyer,

Aussi, gros chagrin, moi le dire à vous,

Vouloir retourner chez nous.

À la cabane bambou bambou

À la cabane bambou you

Moi mis à la mode française

Parce que moi forcé, mais pas être à l’aise

Avec pantalon et tout le fourbi :

Bretelles, faux-col et souliers vernis

Moi, j’aime bien mieux à la mode de chez nous

Avec pas de costume du tout.

À la cabane bambou

(Marinier, 1900) »

 

Ce fut l’un des grands succès de Félix Mayol.

  La Petite Tonkinoise (Villard-Christiné-Scotto, 1906), chantée tout d’abord par le tourlourou Polin, est dans un certain sens la transposition au café-concert de l’exotisme extrême-oriental de Pierre Loti. Il y perd de son aura, certes, mais gagne de la popularité.

  Quand Joséphine Baker la reprend un quart de siècle plus tard, elle en fait une lecture au deuxième ou troisième degré.

https://www.youtube.com/watch?v=iGr3c1dCm74

 « ...

Au Tonkin je suis parti

...

et je suis devenu l’chéri

d’une petite femme du pays

qui s’appelle Mélaoli.

 

Je suis gobé d’une petite,

C’est une Anna, c’est une Anna, une Annamite,

Elle est vive, elle est charmante,

C’est comme un z’oiseau qui chante.

Je l’appelle ma p’tite bourgeoise,

Ma Tonkiki, ma Tonkiki, ma Tonkinoise,

Y’en a d’autres qui m’font les doux yeux

Mais c’est elle que j’aime le mieux.

C’est cependant les années 30 qui verront se développer à foison ces chansons qui traduisent l’imaginaire des Français et des Blancs en général et les vieux archétypes valorisants et bien pratiques comme celui du “nègre Banania”.

Banania, créé en 1914, est un cacao additionné de farine de banane. L’affiche publicitaire du produit nous montre un tirailleur sénégalais assis sous un arbre, son fusil à ses pieds en train de déguster du Banania.

L’illustrateur reprend tous les clichés racistes : l’uniforme d’opérette, la peau très noire et les dents très blanches exhibées dans un grand rire, et, bien entendu, la locution « Y’a bon ! » qui sera l’un des signes distinctifs de la marque jusqu’en 1970.

« Je déchirerai les rires Banania sur tous les murs de France », écrivait, en 1948, Léopold Sédar Senghor.

  Les expositions coloniales attireront des foules affamées d’exotisme auxquelles on jettera en pâture Noirs et Asiatiques. Nénufar (Roger-Féval-Monteux), chantée par Alibert, était la marche officielle de l’exposition coloniale de 1931 !

https://www.youtube.com/watch?v=PoNxtBUAJbk


 « Quittant son pays

Un p’tit négro

Vint jusqu’à Paris

Voir l’exposition coloniale

C’était Nénufar

Un joyeux lascar

Pour être élégant

C’est aux pieds qu’il se mettait des gants

Nénufar

T’as du r’tard

Mais t’es un p’tit rigolard

T’es un comme un ver

Tu as le nez en l’air

Et les ch’veux en paille de fer

Nénufar

T’as du r’tard

T’as fait la conquête des Parisiennes

T’es leur fétiche

Et tu leur portes veine ! »

 

  Germaine Sablon et plus tard Edith Piaf ont chanté Le grand voyage du pauvre nègre. Elles s’apitoyaient sur le sort ce pauvre sauvage qui ne sait même pas parler correctement et que l’on emmène loin de sa brousse natale. La bonne conscience du colonisateur.

https://www.youtube.com/watch?v=7QsUYiwW2ac

« Soleil de feu sur la Mer rouge,

Aucune vague, rien ne bouge

Dessus la mer, un vieux cargo

Et dans la soute, pleure un nègre

Un pauvre nègre, maigre, maigre,

Un nègre maigre dont les os

Semblent trouer la peau.

Ohio! Ohio!

Monsieur bon Dieu, vous n’êtes pas gentil

Moi pas vouloir quitter pays...

Pays à moi très loin sur l’eau

Et moi travailler au fond bateau

Toujours ici comme dans l’enfer 

Jamais voir danser la mer

Jamais voir grand ciel tout bleu

Et pauvre nègre malheureux

 

Monsieur bon Dieu n’est pas gentil

Y’en a maintenant perdu pays

Ohio ! Ohio !

...

Et dans la mer il a bondi

Et dans la vague chante un nègre

...

Et viens bon Dieu, viens au secours

Moi pas pouvoir nager toujours

Pays trop loin pour arriver

Et pauvre nègre tout fatigué

Ça y est fini, Monsieur bon Dieu

Adieu pays, tout le monde adieu

Le grand voyage du pauvre nègre

Asso-Cloarec, 1936 »

 

Le comédien Michel Simon chantait dans les années 30, Un petit négro (amour en noir et blanc) où l’on trouve encore et toujours, sous couvert d’histoire, l’image du bon sauvage, agrémenté ici d’un grain d’érotisme.

 

https://www.youtube.com/watch?v=I7N1ZIYeYnc

 

  « “-C’est une histoire assez curieuse, Amélie n’avait rien voulu savoir avec un blanc. Au bout de quinze ans de fidélité conjugale, elle a marché avec un nègre.

 -Comment un nègre ?

 -Oui, avec un petit porteur de parasol, un cadeau de Louis XV amoureux, sacré Louis XV !”

...

c’était un petit négro

tout ce qu’il y a de rigolo

il avait des histoires

de jolies dents blanches

dans une bouche toute noire.

Quand Amélie recevait

C’est lui qui servait

Et l’ joli négro

Passait les bonbons en disant aux gens

Y’a bon !

...

Oui mais un soir qu’Amélie

Allait pour se mettre au lit

En retroussant sa chemise

Elle vit surprise

Au milieu de ses draps blancs

Le petit nègre tremblant

Moi y’en a avoir froid

Toi réchauffer moi !

...

Amélie et son négro

Firent méli-mélo

Elle passa, dit l’histoire,

Des tas de nuits blanches

Près de sa passion noire

Elle acquit en peu de temps

Du tempérament

En chipant le jargon

De son négrillon

Elle criait dans le noir

Y’a bon !

Un petit négro

Willemetz-Christiné, 1934 »

 

L’exotisme provenant d’Afrique du Nord à plutôt le visage des envahisseurs, légionnaires, soldats... Il suffira de puiser dans le premier répertoire d’Edith Piaf pour en trouver plusieurs : Mon amant de la Coloniale, Mon légionnaire, Le fanion de la Légion.

https://www.youtube.com/watch?v=pKraNIUxAXo

 


 « Tout en bas, c’est le Bled immense

Que domine un petit fortin.

Sur la plaine c’est le silence

Et là-haut, dans le clair matin,

Une silhouette aux quatre vents jette

Les notes aiguës d’un clairon,

Mais, un coup de feu lui répond.

 

Ah la la la, la belle histoire,

Y’a trente gars dans le bastion,

Torse nu, rêvant de bagarres

Ils ont du vin dans leurs bidons,

Des vivres et des munitions.

Ah la la la, la belle histoire

Là-haut sur les murs du bastion

Dans le soleil plane la gloire

Et dans le vent claque un fanion,

C’est le fanion de la Légion.

 

Les “salopards” tiennent la plaine,

Là-haut dans le petit fortin,

Depuis une longue semaine

La mort en prend chaque matin

...

Le fanion de la Légion

(Asso-Monnot, 1937) »

 

  À l’opposé et dès le début des guerres coloniales, sont apparues de temps à autre des chansons anticolonialistes. Charles Gille, chansonnier prolétaire, écrivit en 1943, lors du soulèvement d’Abdel-Kader, le héros de la résistance algérienne contre l’envahisseur français, L’arabe en fuite.

 « Le sang des miens a payé leur victoire

Pars, il est temps, l’air me pèse en ces lieux

Pars, mon cheval, vieux compagnon de gloire ;

À leur pouvoir dérobons-nous tous deux,

Vers l’oasis, l’espérance nous guide,

Pour échapper aux pièges qu’on nous tend.

Fuis leur cité, fuis mon coursier rapide

Dans le désert la liberté m’attend.

...

Adieu patrie, ô terre des ancêtres

J’emporte au loin, proscrit, persécuté,

L’amour du sol, la haine de ses maîtres,

Un bras robuste, un courage indompté.

Un jour Allah de la race Numide

Éclairera le triomphe éclatant,

Fuis leurs cités, fuis mon coursier rapide

Dans le désert, la liberté m’attend.

L’arabe en fuite »

 

  À une époque charnière (fin de la guerre d’Indochine et début de la guerre d’Algérie), Boris Vian écrit en 1954 Le Déserteur. Elle est d’abord chantée par Mouloudji dans une version légèrement censurée, “Monsieur le président” devient “Messieurs qu’on nomme grands”. Elle sera toutefois interdite sur les ondes pendant dix ans mais connaîtra un regain de popularité à la fin des années 60.

https://www.youtube.com/watch?v=TmJuEJvdqbk


 « Monsieur le président

Je vous fais une lettre

Que vous lirez peut-être

Si vous avez le temps.

Je viens de recevoir

Mes papiers militaires

Pour partir à la guerre

Avant mercredi soir.

Monsieur le président

Je ne veux pas la faire,

Je ne suis pas sur terre

Pour tuer des pauvres gens.

C’est pas pour vous fâcher

S’il faut que je vous dise,

Ma décision est prise,

Je m’en vais déserter,

Depuis que je suis né

J’ai vu mourir mon père,

J’ai vu partir mes frères,

Et pleurer mes enfants.

Ma mère a tant souffert

Qu’elle est dedans sa tombe

Et se moque des bombes

Et se moque des vers.

Quand j’étais prisonnier

On m’a volé ma femme,

On m’a volé mon âme

Et tout mon cher passé.

Demain de bon matin,

Je fermerai ma porte

Au nez des années mortes.

J’irai sur les chemins,

Je mendierai ma vie

Sur les routes de France

De Bretagne en Provence

Et je dirai aux gens

Refusez d’obéir,

Refusez de la faire,

N’allez pas à la guerre,

Refusez de partir.

S’il faut donner son sang

Allez donner le vôtre,

Vous êtes bon apôtre,

Monsieur le président.

Si vous me poursuivez,

Prévenez vos gendarmes

Que je n’aurai pas d’armes

Et qu’ils pourront tirer.

Le Déserteur

Boris Vian, 1954 »

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